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Par Carenews INFO - Publié le 18 avril 2024 - 14:15 - Mise à jour le 18 avril 2024 - 17:37 - Ecrit par : Célia Szymczak
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« Le camping résidentiel est emblématique de la crise du logement » (Gaspard Lion, auteur de Vivre au camping)

Le sociologue Gaspard Lion publie un ouvrage sur le camping résidentiel, sur la base d'entretiens avec les personnes concernées. Cette forme de logement non ordinaire prend beaucoup d’ampleur ces dernières décennies, sous l’effet de la crise du logement. Le chercheur montre la forte hétérogénéité des situations.

Le sociologue Gaspard Lion a enquêté pendant plusieurs années sur le situation des personnes vivant au camping à l'année. Crédits : Hermance Triay.
Le sociologue Gaspard Lion a enquêté pendant plusieurs années sur le situation des personnes vivant au camping à l'année. Crédits : Hermance Triay.

 

Gaspard Lion publie Vivre au camping. Un mal logement des classes populaires, ce mois-ci, aux éditions du Seuil. Un ouvrage basé sur plus de cinq ans d’enquête sociologique, qui donne la parole aux personnes qui vivent au camping à l’année. 100 000 personnes, issues des classes populaires en grande majorité, seraient concernées en France. Cette réalité est pourtant très peu étudiée par la recherche. 

 

Qu’est ce qui vous a amené à travailler sur ce sujet ?

D’abord, le contexte actuel de crise du logement exacerbée, crise qui n’a cessé de s’amplifier au cours des dernières décennies. Il n’y a jamais eu autant de personnes en attente de logement social et de personnes sans domicile. La part du budget des ménages consacrée au logement a explosé, les inégalités en matière de coût du logement sont de plus en plus prononcées. La précarité énergétique, le surpeuplement et le nombre de personnes vivant dans des logements insalubres ou sans accès à l’eau augmentent. Et les statuts d’occupation très faiblement protecteurs juridiquement se multiplient, à l’instar du camping résidentiel. J’ai découvert que cette pratique s’est très nettement développée depuis les années 1990 et surtout 2000, avec l'envolée des prix du logement. Elle apparaît emblématique à certains égards de la crise du logement. 

Par ailleurs, c’est une manière d’éclairer la crise du logement différemment de la façon dont on l’aborde le plus souvent, c’est à dire du point de vue des grandes agglomérations. Les difficultés de logement sont pourtant très prononcées dans les territoires ruraux et périurbains. 

 

L’une des premières choses que l’on apprend dans votre ouvrage, c’est que ce ne sont pas forcément les franges les plus précaires de la population qui habitent au camping à l’année. C’est un signe de l’ampleur de la crise du logement  ? 

Ce sont parfois des personnes qui sont en emploi, même qualifié, qui ont des ressources qui les situent au 4e ou 5e décile de la distribution des revenus. La majorité sont en couple. Ces personnes ne peuvent pas accéder à la propriété et à l’habitat individuel autrement qu’au camping. 

Le camping résidentiel témoigne aussi du nombre important de trajectoires de déclassement social et résidentiel. Des personnes qui appartenaient au haut des classes populaires ou au bas des classes moyennes peuvent se retrouver, à la moindre rupture biographique, en très grande difficulté de logement. Elles vivent dans une caravane très dégradée, sans accès à l’eau l’hiver ; leur situation est très stigmatisée. Cela produit énormément de souffrance sociale pour ces personnes, puisqu’il y a un décalage très fort avec leur logement précédent et la manière dont elles perçoivent leur position dans la société.

 

Il y a donc là deux des profils que vous identifiez parmi vos enquêtés : ceux et celles pour qui le camping permet d’accéder à la propriété et ceux et celles qui connaissent une trajectoire de déclassement. Vous en identifiez aussi un troisième. Quel est-il ? 

Ce sont les personnes les plus précarisées, pour qui le camping résidentiel est souvent une manière de se préserver de la rue ou d’en sortir. Elles vivent souvent leur arrivée au camping positivement. Elles ont accès à des ressources en eau dans les sanitaires communs et sortent d'une situation de violence extrême, pour celles qui vivaient à la rue. Leur situation est marquée par la privation économique et les défaillances des politiques sociales : leur arrivée au camping est une manière de survivre. 

Ces personnes sont loin de la stigmatisation sociale et du discrédit rattachés à leur forme de logement, dans un camping où elles cohabitent avec des personnes également précarisées. Elles accèdent finalement à des formes de valorisation par les groupes de pairs. Par ailleurs, elles apprécient de pouvoir se livrer à des activités comme le jardinage, la pêche ou le bricolage, ce qui leur permet d'une certaine manière de joindre l'utile à l'agréable.

 

Une partie de vos enquêtés tirent de la satisfaction de leur mode de vie. Ce sont donc les franges les plus précaires, mais aussi les « mieux lotis », les franges intermédiaires des classes populaires qui résident en mobilhome, dans les campings haut de gamme. Quelles sont les raisons qui expliquent cette satisfaction ?

Ce sont des personnes qui ont grandi en maison ou pavillon, qui sont restées très attachées au modèle de l’habitat individuel et de la propriété, assez partagé dans la société française et particulièrement parmi les classes populaires.

Le camping est une manière de quitter le parc social pour un tiers des personnes rencontrées. Les personnes se libèrent des contraintes de la location et de logements parfois dégradés, peuvent aménager leur mobilhome à leur image et à leur goût. Elles affirment aussi leur respectabilité sociale en se distinguant d’un parc social de plus en plus stigmatisé. Dans les campings haut de gamme, les gérants effectuent d’ailleurs une sélection comme dans le parc ordinaire : ils demandent des fiches de paye ou des cautions, par exemple. 

Les personnes apprécient également le cadre résidentiel et la qualité de vie. Le camping offre des infrastructures, comme des piscines pour les enfants ou des terrains de jeux. 

Le camping leur permet aussi de réduire les dépenses en matière de logement. Elles peuvent mettre cet argent de côté ou le dépenser pour partir en vacances, par exemple, alors que l’accès aux vacances est de plus en plus inégalitaire.

 

Malgré cette satisfaction, ces personnes connaissent une très grande fragilité statutaire, puisque leur statut dépend du code du tourisme et pas du droit du logement. 

Quelle que soit l’expérience des ces habitants, ces personnes sont exclues des droits des locataires du parc ordinaire. Elles sont privées du fonds solidarité logement et généralement des aides personnalisées au logement. Elles sont soumises aux pratiques des gérants qui peuvent paraître très abusives. Elles peuvent par exemple être contraintes de signaler l’hébergement d’autres personnes, les gérants peuvent même facturer ces nuitées. Ils peuvent aussi obliger les résidents à racheter des mobilhomes après plusieurs années d’installation : ils sont souvent propriétaires de leur propre entreprise de mobilhomes ou en contrat avec des entreprises. Les personnes peuvent être évincées de la parcelle à tout moment, elles ne sont jamais propriétaires des terrains. 

 

Je mets l’accent sur la nécessité de réguler davantage ces rapports locatifs et de garantir l’accès aux droits, y compris par rapport aux expulsions.

 

Je mets l’accent sur la nécessité de réguler davantage ces rapports locatifs et de garantir l’accès aux droits, y compris par rapport aux expulsions. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier de la trêve hivernale, être accompagnées et relogées. Cela ne concerne pas que les personnes qui logent au camping, mais toutes celles qui résident dans des logements non ordinaires. Je pense notamment aux gens du voyage. 

 

Est-ce qu’il n’y a pas un risque que plus de régulation conduise à une banalisation de la situation ? 

Tout dépend des mesures qui sont prises. Si on ne change rien hormis le fait de rendre légitime cet habitat, cela viendrait acter l’idée d’un système à deux vitesses. Le parc locatif rendu accessible aux ménages qui en ont les moyens et un autre parc destiné aux fractions les plus paupérisées.

 

Si on ne change rien hormis le fait de rendre légitime cet habitat, cela viendrait acter l’idée d’un système à deux vitesses. Le parc locatif rendu accessible aux ménages qui en ont les moyens et un autre parc destiné aux fractions les plus paupérisées.

 

Il faut intervenir sur les causes structurelles de la crise du logement : réguler de manière beaucoup plus massive le marché immobilier, lutter contre la spéculation foncière et immobilière, investir dans le logement social et le rendre accessible aux ménages les plus modestes. Cela suppose un changement politique d’ampleur, une politique qui rompt avec l’orientation de ces dernières décennies. 

 

Vous dites également qu’une partie des élus utilisent les campings de leur territoire pour loger des personnes qu’elles ne peuvent ou souhaitent pas loger. Quelle est l'ampleur de ce phénomène ?

C’est loin d’être rare. Vous avez beaucoup de communes qui ferment les yeux. D’autres municipalités accompagnent le développement de cette situation en orientant les personnes vers des terrains de camping municipaux ou des gérants privés qui accueillent des résidents à l’année. 

Il s’agit d’un des trois facteurs expliquant l’ampleur du phénomène. Ces facteurs sont donc la crise du logement, le nombre de terrains de camping en France - il s’agit du deuxième parc mondial après les États-Unis -, et les pratiques des gérants privés ou municipaux, très peu contrôlées.

 

Vous décrivez à plusieurs reprises la volonté des personnes enquêtées de se différencier des personnes les plus précaires des classes populaires et surtout des personnes racisées. Comment expliquer ce phénomène ?

Les personnes immigrées et racisées sont qualifiées à longueur de discours politiques et médiatiques comme des personnes qui posent problème à la société. Il y a aussi des politiques sécuritaires extrêmement violentes à l’encontre des personnes racisées. C’est un contexte ambiant. Il devient de plus en plus difficile de se rattacher symboliquement aux classes populaires et notamment immigrées et plus avantageux de se rattacher aux classes moyennes.

Cela conduit les personnes à retourner le sens des discriminations, à se représenter comme étant elles-mêmes discriminées dans l’accès au logement social alors que les personnes les plus discriminées sont bien évidemment les personnes immigrées et racisées. 

 

Pour mener votre enquête, vous avez notamment passé trois ans dans une caravane. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Le discours sur l’habitat non ordinaire était très misérabiliste, il parlait uniquement des normes du logement ordinaire. La lecture du phénomène se faisait uniquement en creux, par l'inconfort et l’inadéquation par rapport au logement standardisé. Passer du temps avec ces personnes m’a permis de m’imprégner de leur quotidien, de bien comprendre leur trajectoire et leur vécu, y compris au fil des années et des saisons.C’est aussi une manière d’établir des relations de confiance, de familiarité et de proximité. Cela  permet d’entendre des discours beaucoup plus riches que ceux adressés à un discours extérieur. 

Il s’avère que je me suis retrouvé dans un camping dont tous les résidents ont été expulsés. Le nombre d’expulsions a explosé depuis les années 2000. J’ai pu voir comment les résidents réagissent, et comment la municipalité a déployé des stratégies pour les déloger et éviter qu’ils se mobilisent. Dans un cadre très peu protégé, les personnes se retrouvent captives de rapports de pouvoir extrêmement violents. Le maire s’attelait à les diviser en leur demandant de se dissocier des meneurs de la mobilisation, et en leur faisant la fausse promesse qu’ils pourraient rester en échange d’un soutien pour les élections municipales. 

Ayant créé des liens durables, j’ai suivi les personnes pendant plusieurs années après l’expulsion. Les parcours sont différenciés : certains retrouvent un logement dans le parc social ou par le biais d’une association. Ils retrouvent un certain niveau de confort, mais perdent des relations et des activités comme le jardinage, le bricolage et la pêche. D’autres peuvent connaître un parcours de précarisation accentuée. Ils perdent leur habitation, leurs possessions, leur réseau de solidarité et d’entraide.

 

 

Vivre au camping, Seuil, collection LIber.

 

 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Célia Szymczak 

 

 

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