Les ONG environnementales dénoncent les « reculs » prévus par la loi d’orientation agricole
Définitivement adoptée jeudi 20 février, la loi d’orientation agricole vise à assurer la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations d’agriculteurs. Selon les associations écologistes, le texte n’atteint pas ses objectifs et comprend de nombreux articles dommageables à l’environnement.

Une loi « vidée de ses intentions initiales et dangereuse pour notre souveraineté alimentaire, notre santé et la protection de l’environnement ». Ces mots du Collectif nourrir, réunissant des organisations engagées pour la transition agro-alimentaire, résument bien la position des associations environnementales face à la loi « d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture ». Celle-ci a été adoptée définitivement par le Sénat le 20 février, après un vote à l’Assemblée nationale et un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire.
« Le texte entérine énormément de reculs environnementaux », fustige Elyne Etienne, responsable élevages durables à la Fondation pour la nature et pour l’homme (FNH). « On espérait une loi qui fixe un cap pour la transition d'un système productiviste à un système agroécologique pour les cinq à dix prochaines années. Il y a plutôt une régression de toutes les avancées en ce sens. C’est un bras de fer qui a été perdu par la société civile que nous représentons », déplore pour sa part Cédric Marteau, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux.
Des infractions « non-intentionnelles »
Premier objet de désaccord pour les associations : l’article 13, qui amoindrit largement la peine des personnes physiques responsables d’atteinte à la protection des espèces animales ou des habitats naturels. « Cet article est le pire du texte, le plus gros recul environnemental depuis au moins une décennie », dénonce Laure Piolle, animatrice du réseau agriculture et alimentation pour France nature environnement. « C’est un message d’impunité envoyé par le gouvernement, qui va aboutir à une multiplication des destructions et remet en cause les objectifs de préservation et de restauration de la biodiversité que la France s’est fixée », estime-t-elle. Selon Annie Genevard, ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire qui s'exprimait au Sénat, cette mesure vise au contraire à « renforcer l’attractivité du métier d’agriculteur ».
C’est un message d’impunité envoyé par le gouvernement, qui va aboutir à une multiplication des destructions et remet en cause les objectifs de préservation et de restauration de la biodiversité que la France s’est fixée »
Laure Piolle, animatrice du réseau agriculture et alimentation pour France nature environnement
Concrètement, en cas d’infraction, la peine pouvait jusqu'ici aller s'élever à 150 000 euros d'amende et trois ans de prison. Mais cette loi fixe l’amende maximale à 450 euros si le dommage a été commis de façon non-intentionnelle, sauf en cas de négligence grave. Le texte précise également qu’un « stage de sensibilisation aux enjeux de protection de l’environnement » peut remplacer l’amende.
La notion d'intentionnalité alarme fortement les ONG. « Elle est quasiment impossible à démontrer en droit, puisqu’il faut prouver que l’auteur savait que l'espèce était là et qu’il avait pour objectif de la détruire », pointe Laure Piolle. « Cela donne l’impression que les agriculteurs n’ont pas besoin de l'environnement, alors qu’ils en sont les premiers tributaires. Ils dépendent des écosystèmes », ajoute Elyne Etienne.
« En aucune manière le texte n’accorde à nos agriculteurs je ne sais quel permis de détruire des espèces ou des espaces protégés », a au contraire défendu Annie Genevard devant l’Assemblée nationale. « Le régime de protection reste plein et entier. Seul le régime des peines est modifié et pour les seules atteintes non intentionnelles à l’environnement. (...) Sont présumées (...) non intentionnelles les atteintes qui découlent d’une obligation imposée par l’État », argumente-t-elle.
Craintes sur la ressource en eau
Autre sujet de préoccupation, pour les ONG : les produits phytopharmaceutiques ne pourront être interdits que s’il existe des « solutions économiquement viables et techniquement efficaces » pour les agriculteurs, selon le premier article. Les associations craignent que cela ouvre la voie à des autorisations de pesticides dangereux pour la santé. Un « contresens complet », pour Laure Piolle. « Les premiers mis en danger par l’utilisation de ces pesticides, ce sont les agriculteurs », met-t-elle en avant.
« Les solutions sont connues, c’est l’agroécologie ou l’agriculture biologique, qui demandent des changements structurels. Il ne s’agit pas de remplacer un produit par un autre », appuie Elyne Etienne.
Le premier article entérine également l’objectif de « préserver et développer les réseaux d'irrigation ».
« Moins de 7 % de la surface agricole utile est irriguée, pour de l’agriculture industrielle », explique Laure Piolle. Selon elle, il faudrait adapter l’agriculture à la raréfaction de la ressource en eau, avec une réflexion sur le type de variétés cultivées par exemple, plutôt que d'accroître la surface irriguée.
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Limitation des recours
Le premier article qualifie également l'agriculture, la pêche et l’aquaculture d’activités « d’intérêt général majeur ». L'objectif présenté par Annie Genevard aux sénateurs est « d’accroître substantiellement le potentiel agricole de la Nation ». Aux yeux de Laure Piolle, il s’agit surtout de « peser sur l’interprétation des juges » dans leur mise en balance entre les enjeux de protection de l’environnement et le développement ou la poursuite d’activités agricoles. « On soutient les agriculteurs, mais pas n’importe quel modèle à tout prix. Il est important qu’il y ait une coexistence entre les intérêts économiques et les considérations environnementales et de santé publique. La production agricole n’est pas au-dessus de ces considérations », affirme Elyne Etienne, de la FNH.
Il est important qu’il y ait une coexistence entre les intérêts économiques et les considérations environnementales et de santé publique.
Elyne Etienne, responsable élevages durable de la Fondation pour la nature et pour l'homme
Un autre article vise à accélérer le traitement des recours pour contester des projets agricoles pouvant avoir un impact sur l'environnement. Une manière de « réduire les possibilités de recours » contre des installations comme les méga-bassines, selon les termes de Cédric Marteau, de la LPO. Là encore, Annie Genevard considère que cette mesure participe au renouvellement des générations agricoles et au renforcement de l'attractivité du métier. Devant les sénateurs, elle a parlé d’un « gage de sérénité pour le monde paysan ».
« On observe depuis un peu plus d’un an un retour en arrière de toutes les avancées environnementales de ces dernières décennies, dans une logique d’opposition entre agriculture et environnement qui n’a pas lieu d’être », conclut Laure Piolle. « La santé des agriculteurs et des écosystèmes est au contraire nécessaire à la production agricole actuelle et future ».
Célia Szymczak