Mercator Ocean, une initiative pour des données gratuites et accessibles à tous sur l'état des mers
Lancé il y a près de trente ans par des physiciens océanographes à Toulouse, Mercator Ocean International est une société qui a pour objet de récolter et de rendre accessibles à tous des informations scientifiques liées à l’océan. À l’occasion de la conférence des Nations unies de Nice, la structure s’apprête à devenir une organisation intergouvermentale et à lancer un « jumeau numérique » de l'océan.

La plateforme tient son nom de Gérard Mercator, géographe flamand et inventeur du planisphère du même nom. Lancée il y a trente ans à Toulouse par des physiciens océanographes, en collaboration avec l’Ifremer, le CNRS, l’Institut de recherche pour le développement, la Marine nationale et Météo France, Mercator Ocean International est une société civile à but non lucratif dont l'objectif est de collecter des données scientifiques liées à l’océan, avant de les rendre accessibles gratuitement via un portail en ligne à destination de la recherche, mais aussi des associations, des entreprises privées et publiques.
« Tous les matins, on entend le cours de la Bourse mais pas le niveau de l’océan », déplore Pierre Bahurel, le directeur général de la société. « Pourtant, cela relève du bien commun et devrait être accessible à tout le monde », considère-t-il.
Pollution plastique, fonte des glaces, algues invasives…
Délégataire de la Commission européenne, Mercator a établi des contrats avec plus de 500 centres de recherche à travers l’Europe pour récolter une multitude d’informations marines comme la température de l’eau, l’état des courants, la situation des fonds marins, le niveau de salinité ou encore la pollution plastique.
Les informations disponibles servent ensuite aussi bien pour des activités maritimes opérationnelles que pour faire avancer la recherche, prendre des décisions politiques ou agir pour la protection de l’environnement. Utilisées par 100 000 abonnés sur tous les continents et 500 000 utilisateurs en 2024, elles permettent par exemple d’anticiper des phénomènes d’érosion côtière et de fontes de glaces de mers, de se rendre compte de la progression d’algues invasives ou encore de suivre à la trace certaines pollutions plastiques.
« Grâce à nos informations, il est possible de retrouver la source des pollutions plastiques en remontant dans le temps et en reproduisant la circulation méditerranéenne », met en avant Pierre Bahurel. « Cela peut ensuite servir à trois choses : montrer aux différents États qu’il y a besoin d’un accord intergouvernemental, donner des probabilités aux opérationnels du nettoyage ou encore informer les associations locales pour qu’elles comprennent mieux l’impact de ces pollutions », ajoute-t-il.
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Les 50 millions d’euros annuels nécessaire à son fonctionnement et ses 120 salariés sont financés à 80 % grâce à l’Union européenne et son programme Copernicus, qui a pour objet de garantir un accès indépendant de l’Europe aux informations liées à la composition de l'atmosphère ou au changement climatique. Les 20 % restants sont constitués de crédits de recherche. « Nous sommes financés pour rassembler des connaissances et les distribuer gratuitement », résume Pierre Bahurel.
Il y a besoin d’une information fiable et vérifiable, accessible à chaque citoyen et provenant d’une organisation dont la gouvernance est transparente.
La transformation vers une organisation intergouvernementale
Le directeur et cofondateur de Mercator Océan en est persuadé, « il y a besoin d’une information fiable et vérifiable, accessible à chaque citoyen et provenant d’une organisation dont la gouvernance est transparente ». Un enjeu de plus en plus présent face à l’évolution des phénomènes climatiques, mais aussi de l’expansion des usages numériques.
« Avec l’intelligence artificielle, de plus en plus d'entreprises peuvent compiler des données disponibles et proposer un bulletin sur l’état de l’océan. Mais est-ce que cette information est vraie et vérifiée ? », interroge Pierre Bahurel. « Il s’agit d’un choix géopolitique », affirme-t-il.
L’initiative est justement en cours de transformation pour devenir une organisation intergouvernementale (OIG). En février 2022, l’Italie, la France, la Norvège, l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni ont signé la Déclaration de Brest, lançant officiellement ce processus et invitant les autres États européens à les rejoindre dans cette initiative. Le traité constitutif de l'organisation sera ouvert aux signatures des 27 pays membres de l’Union européenne ainsi que de l'Islande, Monaco, la Norvège et le Royaume-Uni, en juin, lors de la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
« L’exercice de conciliation entre la connaissance nécessaire à grande et à petite échelle, à long et à court terme, nous a conduit à être utile pour la gestion environnementale », déroule Pierre Bahurel.
Un « jumeau numérique de l'océan » sous forme collaborative
Ce changement de statut de la structure est accompagné par le lancement du « jumeau numérique de l’océan », développé par Mercator. « Notre but est de mettre en réseau les centres d’études maritimes en dehors de l’Europe, dans un système collaboratif où les utilisateurs deviennent aussi les producteurs », explique le directeur général. « Nous voulons mettre en avant cette façon de faire décentralisée lors de l’Unoc », argumente-t-il.

Cette carte interactive de l’océan permet d’obtenir des informations en temps réel, comme l’acidité des océans, la température de l’eau ou encore l’état de la biodiversité, un nouveau pan de données ajouté par Mercator. « C’est un superlogiciel avec 10 millions de points qui couvrent tout l’océan jusqu’aux fonds marins. Toutes les deux minutes, il met à jour 30 variables océaniques », met en avant le directeur de la structure. Couplé à de l’intelligence artificielle, il permet notamment de tester des scénarios de gouvernance des océans.
« Ce "jumeau numérique" servira à créer des modèles de futurs possibles pour l’océan, pour mieux le protéger, pour permettre à l’économie de la mer de se développer dans le respect de l’environnement et ainsi à éclairer les décisions des acteurs », met en avant le ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche français dans une publication du 28 mars.
« Il faut un portage au plus haut niveau pour que la voix de l’océan soit entendue », défend quant à lui Pierre Bahurel, se réjouissant que le sujet soit porté par le Pacte européen sur les océans, élaboré cette année, et dont le but est de déterminer le cadre d’une approche globale des océans d’un point de vue économique, scientifique, environnemental, et de gouvernance.
Élisabeth Crépin-Leblond