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Par Carenews INFO - Publié le 29 juin 2023 - 17:17 - Mise à jour le 13 novembre 2023 - 10:10 - Ecrit par : Célia Szymczak
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Michele Fioretti, lauréat du prix Edmond Malinvaud, porte un regard alternatif sur l’impact social des entreprises

Michele Fioretti est chercheur, professeur assistant à Sciences Po et lauréat du prix Edmond Malinvaud accordé au meilleur jeune économiste. Il nous donne sa vision originale de l’impact social, de sa définition et de sa mesure.

Michele Fioretti. Crédits : Sciences Po.
Michele Fioretti. Crédits : Sciences Po.

 

Michele Fioretti est assistant professeur en économie à Sciences Po, où il donne notamment un cours sur le business durable. Il étudie les stratégies des entreprises, en particulier au regard de leur responsabilité sociale. En 2023, il a remporté le prix Edmond Malinvaud, pour un article de recherche sur l’impact social intitulé Caring or pretending to care? Social impact, firms' objectives, and welfare. Ce prix est attribué par l’Association Française de Science Économique au meilleur article scientifique d’économie publié par un jeune chercheur. Dans ce travail, Michele Fioretti étudie les motivations d’une entreprise internationale dans sa recherche d’impact social. Il tire de cette étude des conclusions plus générales. 

 

  • Pourquoi l’impact social vous intéresse en tant que chercheur ?

Le sujet m’intéressait avant de devenir chercheur, parce que j’ai travaillé en banque d’investissement, dans des startups sociales. Je me suis toujours demandé quels sont les objectifs des entreprises : nous partons du principe qu’elles cherchent à maximiser le profit. Or, quand vous échangez avec les entrepreneurs, ils disent se préoccuper de beaucoup d’autres missions.  

 

  • Y a-t-il beaucoup d’études scientifiques sur l’impact social des entreprises ?

Il y a beaucoup de publications. Le problème, selon moi, c’est que toutes les entreprises utilisent leurs propres métriques pour mesurer leur impact social. Il est vraiment compliqué de les comparer entre elles et de comprendre les raisons pour lesquelles elles cherchent à avoir de l’impact, ainsi que les raisons pour lesquelles elles ne visent pas seulement à maximiser leurs bénéfices, quand c’est le cas. 

La question qui m’intéresse, c’est la raison pour laquelle une entreprise agit de manière plus responsable. Cette raison peut être la recherche du profit, ou pas. Mais étudier les objectifs d’une entreprise s’avère compliqué sur le plan empirique, parce que vous ne pouvez pas enregistrer les téléphones portables des entrepreneurs pour connaître leurs réels objectifs !

 

  • En tant que chercheur, comment définissez-vous et mesurez-vous l’impact social ?

C’est très long d’écrire un article de recherche, donc l’impact social mesuré d’un point de vue académique est différent de ce que nous pouvons faire en termes de régulation. 

Le « bien-être » [comme concept économique], c'est-à-dire l’utilité retirée par l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, constitue son impact social. La difficulté, c’est d’identifier toutes les parties prenantes et ce qui leur importe, puis de tout mesurer. 

Nous savons, en économie, comment mesurer le « bien-être ». On calcule le surplus du consommateur, qui correspond à la somme que celui-ci est prêt à payer pour quelque chose, moins ce qu’il paie en réalité, mais aussi le surplus des fournisseurs, des syndicats, ou de tous ceux qui ont des relations avec l’entreprise. 

C’est une manière très sérieuse d’étudier l’impact social. Je pense que l’objectif, c’est d’aller vers une mesure de l’impact social à travers le bien-être, ce qui demande des quantités de données énormes pour chacune des entreprises. Pour l’instant, c’est faisable dans les petites entreprises, mais pas dans les plus grandes. 

À la place de cette mesure, nous avons des critères RSE. Nous ne savons pas vraiment ce que sont ces agrégats, comment ils sont mesurés, ils ne sont pas comparables entre les entreprises. Il y a beaucoup de travaux académiques qui montrent combien ces mesures sont mauvaises.

 

  • Justement, quelles sont les limites des systèmes actuels d’évaluation de la RSE ?

On essaie d’évaluer les choses en s’appuyant sur une liste de points à cocher. Ce que l’on aimerait, c’est que les parties prenantes nous indiquent leur satisfaction, plutôt que les entreprises remplissent un questionnaire. C’est un challenge, car il est plus facile de demander aux entreprises d’effectuer elles-mêmes leur reporting.

 

  • Quelles conclusions tirez-vous de vos connaissances quant aux incitations des entreprises à avoir un impact social ?

Il y a une dichotomie : certaines entreprises font des profits, d'autres n'en font pas. On devrait alors taxer les premières, et subventionner ou ne pas imposer les autres. Est-ce que c’est bien ou mal ? À première vue, c’est plutôt logique, mais si vous regardez des preuves empiriques, ce n’est pas si évident. Aux États-Unis, vous voyez que les hôpitaux non-lucratifs se comportent exactement de la même manière que ceux qui font du profit, malgré leurs subventions massives. Ils ont les mêmes patients, la même probabilité d’investir dans des nouvelles technologies, la même structure de prix… 

Je ne parle pas des ONG qui sauvent des personnes dans la mer Méditerranée, je parle des secteurs dans lesquels le lucratif et le non-lucratif sont en situation de concurrence. Vous pouvez penser aux banques coopératives et aux banques non coopératives, par exemple. Lorsqu’elles sont en concurrence, on ne trouve pas de grande différence dans leur attitude. Si on veut changer le système, on doit changer la manière dont on mesure l’impact social. 

 

  • Qu’est-ce qui pousse les entreprises à améliorer leur impact social ? Les consommateurs ? 

Dans mon article, je démontre que les consommateurs ne sont pas vraiment des moteurs de la responsabilité sociale. Les prix du marché n'augmentent pas beaucoup quand l’entreprise devient un peu plus responsable socialement.

Ainsi, les entreprises qui agissent pour l’impact social ont des incitations qui proviennent de l’extérieur de leur business : parce que l’impact social est un moyen de rendre leurs travailleurs plus productifs, d’avoir de meilleures relations avec les fournisseurs… 

 

  • De nombreuses entreprises déçoivent les consommateurs alors qu’elles étaient perçues comme exemplaires. Quel est votre regard sur le green et le social washing ?

Je pense que c’est lié à notre incapacité à mesurer l’impact social. Nous le voyons comme quelque chose de binaire, alors que c’est quelque chose de continu. Une entreprise qui est vue comme une championne de l’impact, peut soudain décevoir. Mais on ne sera jamais parfait ! 

 

Propos recueillis par Célia Szymczak 

 

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