« Nous voulons faire dialoguer des mondes qui n’ont pas l’habitude de se parler », entretien avec Tony Bernard (Impact Tank)
Le 16 mai prochain, le troisième Sommet de la mesure d’impact sera consacré à la thématique « Re-faire société ». Tony Bernard, directeur général de l’Impact Tank, qui organise ce sommet, explique à Carenews les objectifs de cet événement et plus généralement ceux de son think tank.

Faire dialoguer acteurs publics, entreprises, structures de l’économie sociale et solidaire et chercheurs autour de la question de l’impact sociétal et environnemental : tel est l’objectif de l’Impact Tank. Son directeur général, Tony Bernard, explique à Carenews comment est né ce think tank, pourquoi il a créé le Sommet de la mesure d’impact, et quels travaux il mène actuellement.
- Vous dirigez l’Impact Tank, qui organise chaque année depuis trois ans le Sommet de la mesure d’impact. En quoi consiste votre structure ?
L’Impact Tank est un think tank créé en 2020 par le Groupe SOS et quatre universités (Sciences Po Paris, Sorbonne Université, le Conservatoire national des Arts et métiers, Paris Dauphine-PSL). Notre objectif est de faire dialoguer, par le prisme de la mesure d’impact, des mondes qui n’ont pas l’habitude de se parler : acteurs publics, monde de l’entreprise, acteurs de l’économie sociale et solidaire et chercheurs. Nous les faisons travailler ensemble pour arriver à des constats communs sur divers sujets de société et pour formuler des recommandations en matière de politiques publiques.
Notre objectif est de faire dialoguer, par le prisme de la mesure d’impact, des mondes qui n’ont pas l’habitude de se parler : acteurs publics, monde de l’entreprise, acteurs de l’économie sociale et solidaire et chercheurs.
Pour donner quelques exemples, nous avons publié l’année dernière un rapport sur l’impact territorial des entreprises, piloté par le chercheur Timothée Duverger, qui associait ces différents types d’acteurs. Ce rapport a permis de proposer une série d’indicateurs pour mesurer l’impact que peuvent avoir les entreprises sur leur territoire d’implantation, mais aussi de formuler des préconisations à destination des entreprises et des pouvoirs publics pour favoriser un meilleur ancrage territorial des entreprises.
En 2023, nous avions également publié un rapport sur la précarité menstruelle, à travers douze terrains d’études en Afrique et en Europe, qui a permis d’identifier les déterminants de la précarité menstruelle et de proposer des indicateurs de mesure d’impact des innovations sociales qui agissent pour lutter contre ce fléau.
Début 2025, nous allons également rendre public un rapport sur l’égalité les chances, « L’école ne peut pas agir seule », qui revient sur les projets des entreprises et des acteurs de l’innovation sociale aux côtés de l’école. L’école est essentielle pour comprendre les dysfonctionnements de la société, et le fossé d’incompréhension qui s’accroît entre milieux populaires et supérieurs. L’inégalité des chances est aussi ce qui contribue à alimenter les frustrations, quand 24 % des Français n’ont pas le sentiment de faire véritablement partie de la société française, d’après le dernier rapport annuel sur l’état de la France du Conseil économique, social et environnemental.
- Votre rapport sur l'égalité des chances devrait être rendu public juste avant la prochaine édition du Sommet de la mesure d’impact, qui aura lieu le 16 mai prochain au Conseil économique, social et environnemental, à Paris. Ce sommet est organisé par l’Impact Tank pour la troisième année consécutive. Avec quelles intentions avez-vous souhaité lancer cet événement ?
Avec le Sommet de la mesure d’impact, il s’agit de réunir les différents acteurs concernés par la question de l’impact social et environnemental – acteurs publics, entreprises, ESS, chercheurs - et là aussi de les faire dialoguer. Aujourd’hui, la notion d’impact est sur toutes les lèvres, et c’est à la fois un risque – c’est un mot un peu galvaudé et qui peut être défini de beaucoup de manières différentes – et une opportunité, pour accroître la responsabilité sociétale de l’entreprise, valoriser l’utilité sociale des acteurs de l’ESS, etc.
Ce momentum permet à chacun de prendre conscience des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, et de contribuer à bâtir notre plaidoyer.
La notion d’impact est sur toutes les lèvres, et c’est à la fois un risque – c’est un mot un peu galvaudé et qui peut être défini de beaucoup de manières différentes – et une opportunité, pour accroître la responsabilité sociétale de l’entreprise, valoriser l’utilité sociale des acteurs de l’ESS, etc.
- L’édition 2025 du Sommet s’intitulera « Re-faire société » : pourquoi avoir choisi ce thème ?
Nous constatons depuis quelques années que l’effritement du lien social est au cœur des préoccupations. La méfiance gagne aussi du terrain : près de 80 % des Français disent ne pas faire confiance aux autres, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions, d’après le Baromètre de la fraternité 2024. C’est dans ce contexte de fracturation de la société que nous allons publier notre rapport sur l'égalité des chances, mais aussi un rapport sur la question du lien social, piloté par Hélène L’Huillier, Tarik Ghezali et Elodie Jimenez.
Et dans cette époque où les sujets d’intérêt public sont trop souvent débattus selon des prismes idéologiques, l’Impact Tank, comme le Sommet de la mesure d’impact, se sont donnés la mission de porter une voix rationnelle, axée sur l’apport de données factuelles. La mesure d’impact doit permettre de justifier les décisions et ainsi rebâtir la confiance entre les citoyens, l’action publique et l’entreprise.
L’Impact Tank, comme le Sommet de la mesure d’impact, se sont donnés la mission de porter une voix rationnelle, axée sur l’apport de données factuelles
Notre prochaine édition du Sommet répondra à trois défis. D’abord, un défi de transformation des modèles d’entreprendre, dans un contexte où six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées, et où il faut redéfinir ce qui doit faire sens dans le quotidien des salariés. La polémique actuelle autour de la CSRD doit aussi être un signal d’alerte pour questionner ce défi de transformation.
Ensuite, un défi essentiel d’accompagnement de la transition écologique, qui porte en elle le germe de nouvelles inégalités sociales, pour l’accès aux espaces, aux équipements et aux services, à la mobilité, à l’emploi…
Et enfin, un défi de consensus autour de la notion d’impact, pour mener à bien tous ces chantiers. Car, du côté de l’État et des collectivités, la contraction des dépenses publiques impose de suivre leur efficience. La mesure d’impact social devient alors une exigence de redevabilité auprès des citoyens, et un vrai défi pour notre cohésion sociale. Et pour les entreprises, au-delà de leurs obligations règlementaires, et pour les acteurs de l’ESS, elle doit permettre de comprendre leur contribution sociale et environnementale : création d’emplois, augmentation du bien-être et engagement citoyen, promotion du lien social, impact sur la biodiversité…
- Quels seront les temps forts de cette édition ?
Nous proposerons un grand nombre de rencontres et débats mais parmi eux, on peut citer une table ronde sur « Le coût du non-vivre ensemble », une autre sur la démocratisation de l’entreprise, ou encore une sur l’intelligence artificielle comme « machine à inclure ou à exclure ».
Outre les rapports déjà cités, nous rendrons également publics un rapport sur l’entreprise régénérative, piloté par Christophe Sempels, de Lumia, et un rapport sur l’impact social du sport, en partenariat avec l’Agence française de développement.
- Beaucoup d’acteurs de l’ESS sont assez méfiants vis-à-vis de la notion d’« impact », qui peut avoir une connotation négative (quand on pense par exemple à un impact sur un pare-brise) et met souvent l’accent sur le quantitatif plutôt que sur le qualitatif. Ils lui préfèrent celle d’« utilité sociale ». Pourquoi avoir néanmoins choisi d’utiliser ce terme ?
Les deux notions ne sont pas à opposer ; elles sont complémentaires. Tout le travail du think tank est d’ailleurs de rassembler toutes les organisations qui cherchent à apporter une valeur sociale. L’évaluation de l’impact social se concentre sur l’analyse des effets de l’activité, là où l’évaluation de l’utilité sociale va également s’intéresser à l’identité de l’entreprise, au sens de son action, à son organisation…
L’évaluation de l’impact social se concentre sur l’analyse des effets de l’activité, là où l’évaluation de l’utilité sociale va également s’intéresser à l’identité de l’entreprise, au sens de son action, à son organisation...
La notion d’impact permet donc de s’affranchir des statuts pour s’intéresser aux effets imputables à l’activité de l’organisation, quelle qu’elle soit.
Étant donnée l’urgence sociale et environnementale dans laquelle nous sommes, je ne crois pas à l’opposition sémantique. Je crois davantage aux coopérations entre opérateurs d’univers différents.
Quant au tout quantitatif que vous évoquez, comment imaginer que le vivre ensemble et la cohésion sociale se résument à des chiffres ? Ou à des euros ? C’est pourquoi il nous semble essentiel de bien articuler les démarches qualitatives et les démarches quantitatives et de systématiquement prendre en compte ces deux dimensions dans nos travaux. Si l’on prend l’exemple de la précarité menstruelle, il est évident que ce qui compte le plus, ce n’est pas le nombre de serviettes hygiéniques qui ont été distribuées dans le cadre des programmes liés à ce thème, mais ce que cela a produit en termes de confiance en soi, ce que cela a changé concrètement dans la vie des gens. Ce qui est intangible - se sentir en confiance, renforcer l’autonomie, forger son identité, augmenter le bien-être - est justement ce qui compte vraiment.
Propos recueillis par Camille Dorival
Pour en savoir plus sur l’édition 2025 du Sommet de la mesure d’impact et s’inscrire à l’événement : https://www.sommetdelamesuredimpact.fr/page/2025/