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Par Carenews INFO - Publié le 10 décembre 2024 - 11:07 - Mise à jour le 10 décembre 2024 - 15:55 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Quitter X ou rester : une question en suspens dans le monde de l’engagement

Absence de modération, fausses informations, manipulations des algorithmes… le réseau social X, anciennement Twitter, détenu par le milliardaire Elon Musk, fait l’objet de nombreuses critiques. La récente campagne présidentielle américaine a joué l’effet d’une allumette craquée et entraîné une vague de départs, soulevant la question de la dépendance au numérique dans l’espace démocratique.

Depuis l'élection de Donald Trump, des médias mais aussi des associations et des entreprises de l'économie sociale et solidaire ont annoncé leurs départs du réseau social. Crédit : iStock
Depuis l'élection de Donald Trump, des médias mais aussi des associations et des entreprises de l'économie sociale et solidaire ont annoncé leurs départs du réseau social. Crédit : iStock

 

Quitter ou ne pas quitter X. Depuis l’annonce de l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis le 5 novembre dernier et la nomination d’Elon Musk à la tête d’un ministère « de l’efficacité gouvernementale » outre-Atlantique, le réseau social X, ex-Twitter, est au cœur d’un nouveau vent de critiques. 

À la suite du quotidien britannique The Guardian et du journal espagnol La Vanguardia, le titre de presse régional français Ouest-France a décidé de suspendre les publications sur l’ensemble de ses comptes. « En accord avec nos valeurs », précise le journal, suivi par d’autres comme le groupe Sud-Ouest, ou encore le média consacré à l’écologie Vert

Au sein des associations et des entreprises de l’économie sociale et solidaire, certains ont également annoncé leurs départs du réseau social, à l’instar de Greenpeace France dont le compte recense pourtant plus de 430 000 followers. « Face à un algorithme qui promeut les propos les plus extrêmes, la course au clash et le cyberharcèlement, nous faisons le choix de partir », argumente la branche française de l’ONG de protection de l’environnement.  

Sous les posts de l’ONG, volontairement interpellateurs, nombre d’avis exprimés sont, comme souvent sur X, très tranchés et virulents. Des « notes de la communauté », un mécanisme apparu ces derniers mois permettant à un grand nombre d’utilisateurs de contredire des affirmations contenues dans un tweet, sont également accolés à plusieurs des récents tweets de Greenpeace France, y compris celui qui annonce son départ.  

  

Absence de modération, manipulation des algorithmes : un enjeu démocratique ? 

  

La politique de non-modération des commentaires voulue par Elon Musk, qui a depuis son rachat, réduit une grande partie des effectifs modérateurs tout en réhabilitant plusieurs comptes bannis, fait partie des raisons qui poussent les acteurs de l’engagement à déserter l’ex-Twitter. Sans en être la seule. 

« Il y a une saturation de X qui est présente depuis au moins son rachat par Elon Musk. La mobilisation des algorithmes pour défendre Trump lors de la campagne présidentielle a été la goutte d’eau de trop », témoigne Chahin Faïq, secrétaire général des Licoornes.  

L’alliance de coopératives, dont l’ambition est de placer l’économie au service de l’intérêt général, prévoit de quitter collectivement le réseau social pour exprimer symboliquement son désaccord vis-à-vis de la gestion de la plateforme, qu’elle estime néfaste au débat public. 

« Le problème posé par les réseaux sociaux rejoint celui du rachat des médias et de leur indépendance. Leur centralisation aux mains des milliardaires pose un problème pour le bon fonctionnement de notre démocratie », soutient Chahin Faïq.  

Le secrétaire général reconnaît toutefois les limites de la démarche des Licoornes. Celles-ci, qui disposent d’un budget réduit pour se faire connaître via la publicité, continuent d’être présentes sur d’autres réseaux sociaux, disposant certes davantage de modération, mais dont les fonctionnements et les propriétaires ne sont pas non plus exempts de critiques. « Sortir de X est la première pierre pour pouvoir poser la discussion », justifie-t-il. 

 


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Les bulles de filtres, obstacles au débat ? 

  

Parmi les coopératives de l’alliance, certaines ont entrepris de quitter le réseau social il y déjà quelque temps. C’est le cas de la banque la Nef, qui a annoncé son départ de la plateforme en décembre 2023, après onze années d’utilisation et un peu plus de 7 500 abonnés réunis.  

« X est devenu un réseau où de nombreuses dérives telles que le harcèlement et les "fake news" sont normalisés. L’Union européenne a ouvert il y a quelques jours une "enquête formelle" contre le réseau social pour manquements présumés aux règles européennes en matière de modération des contenus et de transparence », expliquait à l’époque la coopérative bancaire sur son compte.  

Mais les raisons qui ont poussé la Nef à déserter le réseau social sont aussi plus personnelles. « Sur Twitter, nous avions droit à un réchauffé d’informations fausses ou périmées à propos de la Nef. Cela ne reflétait pas du tout ce nous étions, ni nos valeurs », explique le directeur général de la coopérative Ivan Chaleil.  

Parmi les critiques reçues par la banque coopérative sur X, un certain nombre l’accusaient notamment de dérives sectaires. « Cela vient d’une mission de lutte contre les sectes qui a été menée en 1999. Mais c’était il y a vingt-cinq ans et il y a eu un non-lieu », défend Ivan Chaleil. 

 

C’est compliqué d’avoir des débats en 280 signes. Avoir un débat nécessite de prendre du temps, de développer des idées et de construire une discussion. C’est antinomique avec la plupart des réseaux sociaux.

Depuis son départ du réseau social, la coopérative « n’a ressenti aucun élément négatif », confie son directeur général. « Les personnes qui ont envie de nous suivre peuvent le faire ailleurs, et malheureusement je ne pense pas qu’on arrive à toucher de nouvelles personnes via X », considère-t-il.  

Pour Ivan Chaleil comme pour Chahin Faïq, les bulles de filtres et les algorithmes présents sur X empêchent un réel échange et un partage d’informations.  

« C’est compliqué d’avoir des débats en 280 signes. Avoir un débat nécessite de prendre du temps, de développer des idées et de construire une discussion. C’est antinomique avec la plupart des réseaux sociaux », pointe le directeur général de la coopérative bancaire, tout en reconnaissant la nécessité de toucher et de mobiliser au-delà des acteurs de manière plus large. 

Son avis est partagé par Chahin Faïq pour qui X et les autres réseaux sociaux sont « des espaces d’expression tous azimuts, mais pas des espaces de débats ni de recherche », en raison notamment de l’instantanéité et de la rapidité des contenus produits. 

  

Pour Reporterre, un moyen limité de partager de l’information à tous  

  

Les discours des membres des Licoornes sur les limites des réseaux sociaux se recoupent en partie avec ceux énoncés par Hervé Kempf, journaliste et directeur de rédaction du média consacré à l’écologie Reporterre. « Tous les réseaux sociaux sont discutables à un degré ou un autre », estime-t-il.  

Mais, à l’inverse d’autres médias, Reporterre a expliqué dans un éditorial publié le 3 décembre, pourquoi, après discussions collectives, il avait décidé ne pas quitter X. Une décision motivée par la volonté de continuer à partager du contenu sur l’écologie à tous, accessible gratuitement.  

« Nous sommes dans un monde où les réseaux sociaux sont lus par des dizaines de millions de personnes. Il est important que des personnes qui ne pensent pas comme nous aient accès à des informations que les médias d’extrême droite ne transmettront pas », soutient le directeur de la rédaction.  

Le compte du média, suivi par plus de 145 000 followers, sert exclusivement à partager des liens vers les articles du média, suscitant ainsi peu de réactions et de polémiques. Pour autant, cette situation calme n’a pas rendu la décision de rester évidente. 

 

Il faut considérer le lien avec les réseaux sociaux comme un rapport de force.

 « Avant la réunion, nous étions plus nombreux à penser qu’il fallait quitter X », témoigne Hervé Kempf.  Le média, qui est aussi présent sur les réseaux sociaux Bluesky et Mastodon, laisse d’ailleurs la porte ouverte quant à la possibilité de quitter le réseau dans le futur.   

« Il faut considérer le lien avec les réseaux sociaux comme un rapport de force. Seule, notre décision ne pèse pas assez. Mais si l’ensemble de la presse indépendante prend la décision de quitter X, alors, Reporterre s'y joindra », affirme Hervé Kempf. 

Pour le directeur de la rédaction de Reporterre, les polémiques autour du réseau social dirigé par Elon Musk mettent en lumière la puissance des réseaux sociaux, et la nécessité de trouver des alternatives plus démocratiques. « C’est sur ces questions qu’il faut commencer à avoir une réflexion », appuie-t-il. 

Dans un espace démocratique soumis à une dépendance toujours plus grande au numérique, les discussions sur l’existence d’un réseau social plus éthique sont ouvertes… 

 

Élisabeth Crépin-Leblond

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