Réchauffement climatique : la Fondation Tara Océan part explorer « les coraux de demain » au cœur du Pacifique
La goélette de la Fondation Tara Océan a pris la mer dimanche 14 décembre, direction le « Triangle de Corail » dans le Pacifique pour la nouvelle mission scientifique de la structure. Le but de cette expédition : étudier les coraux résistant au réchauffement climatique pour mieux comprendre et protéger ces organismes, qui abritent une biodiversité riche.
Dix ans après l’expédition « Tara Pacific », la goélette de la Fondation Tara Océan est repartie dimanche 14 décembre explorer les eaux du Pacifique.
Direction, cette fois ci, le « Triangle de corail », une zone de 5,7 millions de mètres carrés de l’Asie du Sud, entre les Philippines, l’Indonésie et le Timor oriental, pour s’intéresser à la résilience de certaines espèces de coraux face au réchauffement climatique.
40 % des espèces de coraux sont menacés d’extinction
Véritables « sentinelles du climat », ces organismes - à la fois animaux, végétaux et minéraux - sont directement menacés par l’augmentation de la température atmosphérique, ainsi que par l’acidification des océans et l’augmentation du niveau de la mer causée par la fonte des glaciers. Ces facteurs provoquent un phénomène de blanchissement des coraux, traduisant une rupture de la symbiose originelle entre l’animal à l’origine du corail et les « zooxanthelles », des algues présentes à l’intérieur des tentacules et à l’origine des couleurs des coraux.
« 99 % de la couleur des coraux est due à la présence des algues. Quand celle-ci meurent, les tissus deviennent transparents, laissant se refléter le squelette calcaire de l’animal », explique Paola Furla, professeur à l’université Côte d’Azur, lors d’une conférence de presse de présentation de l’expédition.
Intensifiés par les canicules marines, les blanchissements des coraux « sont les premiers appels au secours de ces organismes pour nous montrer qu’ils ne vont pas bien », vulgarise la chercheuse. Dans le monde, plus de 40 % des espèces de coraux sont actuellement menacées et avec elles les récifs coraliens abritant pourtant 25 % de la biodiversité marine connue, structurant le littoral et rendant de nombreux services écosystémiques.
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Identifier les « coraux de demain »
Malgré la dégradation de leurs milieux marins, certaines espèces de coraux présentent toutefois une plus grande résilience face aux vagues de chaleur. Dans le Triangle de corail, aussi surnommée « l’Amazonie des mers », ils sont particulièrement nombreux, malgré la multiplication des impacts anthropiques locaux. « Dans le monde, la diversité des récifs a tendance à diminuer, mais dans le Triangle de corail, cette tendance est moins importante. Il y a même des zones où la couverture coralienne est en croissance », relève Paola Furla.
Accueillant un tiers des récifs coraliens du monde et les trois-quarts des espèces coraliennes connues, cette zone est « intéressante pour identifier quels sont les coraux de demain, c’est-à-dire ceux qui peuvent encore présenter de la tolérance par rapport au réchauffement climatique », met-elle en avant.
Des protocoles scientifiques diversifiés
Pour ce faire, l’expédition de la fondation Tara va s’étaler sur deux ans, dont 17 à 18 mois sur place. Plus d’une quarantaine de laboratoires sont impliqués dans cette mission qui étudiera dix récifs différents. Certains sites d’échantillonnages, extérieurs au Triangle de corail, serviront de « sites contrôles » pour comparer les caractéristiques des récifs coraliens qui montrent des résistances au réchauffement, et ceux qui n’en montrent pas.
Sur chaque récif étudié, plusieurs protocoles « diversifiés et complémentaires » seront mis en place par les huit chercheurs présents à bord en même temps (ces derniers sont présents pour une durée d’un mois puis relayés), assistés des six marins. Ils seront également accompagnés d’un correspondant de bord et d’artistes, chargés de retranscrire l’expérience à leur manière.
Au programme : échantillonnage du plancton et des coraux, mesure de la qualité de l’eau, inventaire des micro-organismes interagissant avec les coraux, cartographie des récifs et travail sur l’ADN environnemental. Des expériences de « physiologie in situ » seront également menées, consistant à exposer les coraux à des températures différentes pour observer leurs réactions, ainsi que des analyses du climat des zones étudiés dans les 25 dernières années, grâce notamment à la microchimie.
« Le protocole de terrain est assez complexe. C’est un vrai challenge de le mettre en place sur un bateau comme Tara », souligne Serge Planes, directeur de recherche au CNRS, une des structures partenaires de la mission.
Un travail avec les laboratoires et ONG locaux
Cette approche interdisciplinaire a pour but de produire « de la science ouverte », détaille-t-il. Les données, récoltées grâce à des protocoles standardisés, seront donc accessibles à tous et transmises à la science internationale.
Pour la première fois, des laboratoires locaux des pays dans lesquels se déroulera l’expédition, dont le coût s’élève à cinq millions d’euros pour la Fondation Tara Océan, sont impliqués dans les consortiums scientifiques. Le but : faire dialoguer les différentes structures de recherche et étudier les moyens de conservation qui permettront de réduire le déclin des récifs coraliens.
« Les laboratoires locaux nous aident à obtenir des permis et identifier les zones. Ils seront présents pour les opérations de samplings et d’analyses, et seront parties prenantes des résultats publiés par la suite », explique Romain Troublé, directeur exécutif de la Fondation Tara Océan. « Nous travaillons aussi avec des ONG locales pour développer des projets pédagogiques et de sensibilisation, ainsi que pour déterminer comment les recherches pourront être transmises pour la conservation des récifs », souligne-t-il.
Élisabeth Crépin-Leblond 