RSE : les professionnels veulent relativiser les reculs sociaux et environnementaux dans les entreprises
Le « backlash » sur les actions environnementales et sociales des entreprises ne concerne qu’une partie du monde économique et doit être relativisé, estiment plusieurs intervenants du salon spécialisé Produrable, qui s’est déroulé les 8 et 9 octobre à Paris. Mais pour eux, la moindre prégnance des enjeux de durabilité s’explique notamment par le contexte économique. Ils estiment donc qu’il faut davantage relier les enjeux de RSE à la performance financière.

La Commission européenne a engagé en février dernier une réforme importante de réglementations sociales et environnementales concernant les entreprises, afin de les « simplifier », dans un objectif de compétitivité. Aux yeux de plusieurs acteurs économiques et associatifs, cette démarche s’inscrit dans un « backlash », ou retour de bâton, sur le plan environnemental. Celui-ci se matérialise par le recul de plusieurs politiques contraignantes sur le sujet en France, en Europe et aux États-Unis.
Dans ce contexte, les entreprises ralentissent-elles sur le développement durable ? Le sujet était abordé par les intervenants de plusieurs tables-ronde lors du salon Produrable (*), réunissant des professionnels et experts de la durabilité, les 8 et 9 octobre à Paris.
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Les entreprises continuent de progresser ?
Les directeurs et directrices de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) présents au salon l’assurent : malgré le contexte, dans leur entreprise, l’action n’a pas cessé. « Rien ne change pour nous », certifie par exemple Linda Freiner, cheffe de la durabilité pour le groupe suisse Zurich insurance.
« Notre activité n’a pas été si fortement impactée que cela. Il y a beaucoup d’entreprises qui désirent continuer à avancer », affirme Julien Denormandie, chef de l’impact de Sweep, une société qui vend un logiciel de gestion des données sociales et environnementales. « Les entreprises, d’une manière générale, sont engagées dans [le] mouvement » vers la transition, confirme Denis Maillard, auteur d’une note sur la RSE pour la Fondation Jean-Jaurès. « Je ne pense pas que le backlash vienne des entreprises. Il est profondément politique », note d'ailleurs Marine Braud, conseillère au ministère de la Transition écologique entre 2019 et 2021, puis auprès de la Première ministre entre 2022 et 2023.
L’importance des sujets ESG
Une étude présentée le 8 octobre par l’entreprise Tennaxia semble aller en partie dans ce sens. Elle porte sur les pratiques de reporting extra-financier des entreprises : la directive européenne sur les rapports de durabilité (CSRD) exige qu’elles rendent compte de leur impact sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ainsi que de l’effet de ces enjeux sur leur activité dans un rapport. Pour l’instant, seules les grandes entreprises sont concernées. Les entreprises de plus de 250 salariés ayant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d’euros devaient également l’être dans les années à venir. La Commission européenne propose désormais d’exempter les entreprises de moins de 1 000 salariés de cette obligation.
Malgré cela, plus de 8 entreprises de cette taille sondées par Tennaxia sur 10 ont l’intention de continuer à publier un rapport de durabilité, dans une démarche volontaire. Elles prévoient cependant de s’appuyer sur un référentiel moins ambitieux et moins contraignant destiné aux petites et moyennes entreprises, appelé VSME. La CSRD semble aussi devenir moins prioritaire : plus de la moitié des répondants (54 %) font état d’un désengagement des directions générales ou financières, rapporte AEF info.
Si elle observe une « période de flottement » et « d’attentisme » liée à l’incertitude sur le contenu de la réforme, Solène Garcin-Charcosset, la directrice conseil ESG et carbone de Tennaxia, estime que « les entreprises veulent quand même y aller ». « La volonté est globalement là », constate-t-elle, malgré « une détente sur les calendriers » et un « report » sur le standard VSME.
Si la réforme ne conduit pas, du moins pour le moment, à un désengagement total des entreprises sur la CSRD, c’est aussi parce que « ce reporting ne sert pas que des exigences réglementaires », indique Violaine Delval, directrice transitions et impact chez LCL. La banque, partenaire de l’étude, « intègre quasi systématiquement les critères ESG dans [ses] décisions » de crédit, souligne-t-elle.
« Ceux qui n’y croyaient pas se désengagent »
« Nous sommes majoritaires, j’en suis convaincu, à penser que la durabilité (...) est une chance pour les entreprises européennes », estime de son côté Alexis Krycève, fondateur du cabinet de conseil spécialisé Haatch et président de l’association WeAreEurope, qui promeut un « modèle économique européen pro-entreprises et pro-transition écologique et sociale ». « C’est devenu compliqué de porter ces sujets au niveau politique », comme « dans les entreprises », reconnaît-il cependant. Et il convient d’un « risque de décrochage » parmi celles qui sont « moins avancées » en termes de prise de conscience écologique et sociale.
« Ceux qui n’y croyaient pas se désengagent », abonde Nils Pedersen, le directeur de la branche française du réseau d’entreprises dédié à la durabilité Pacte mondial. Il appelle toutefois à s’intéresser à la « tendance de fond » et constate des progrès sur le long terme dans l’atteinte d’une partie des objectifs de développement durable fixés par l’ONU. Pour lui, le problème réside surtout dans la « crise économique » actuelle, qui conduit les entreprises à se focaliser sur « d’autres priorités » que la durabilité.
Faire le lien entre RSE et compétitivité
Un point de vue partagé par Virginie Gatin, directrice RSE de l’entreprise Legrand. « Quand le business va mal, malheureusement, les budgets RSE sont les premiers qu’on coupe », indique-t-elle.
Pour nombre de professionnels du développement durable entendus à Produrable, l’une des clés pour convaincre est donc de relier davantage enjeux économiques et durabilité. Jérémie Joos, co-responsable du centre ESG du cabinet de conseil KPMG, voit ainsi la RSE comme un « fantastique levier de compétitivité ». Elle permet d’après lui d’améliorer la « réputation » de l’entreprise, notamment auprès des collaborateurs actuels et futurs. Elle limite les « risques » pour l’activité économique liés à l’environnement et aux questions sociales : par exemple, un moindre accès à l’eau ou un risque de conflit d’usage peut limiter la rentabilité de projets. La RSE peut aussi, poursuit le spécialiste, contribuer à réduire les coûts auxquels font face les entreprises. Par exemple, des actions visant à renforcer l’économie circulaire conduisent à extraire moins de matière : elles répondent à des objectifs environnementaux en limitant l’usage des ressources, tout en constituant « un moyen de couvrir [la] forte volatilité de [leurs] prix », donc en limitant les coûts, illustre-t-il.
Le backlash est limité aux États-Unis et à l’Union européenne, tempère pour sa part Marylin Waite, directrice du Climate finance fund et spécialiste de la finance durable, lors d’une conférence. « Dans plusieurs pays du Nord et dans la plupart des pays du Sud global, il y a quand même des progrès », met-elle en avant, citant par exemple la révision récente « à la hausse » des objectifs climatiques de l’Australie ou la mise en place par la Chine d’une obligation de publication des informations liées à la durabilité pour les grandes entreprises.
« Je pense que les consommateurs sont alignés avec nos objectifs de développement durable », ajoute Marylin Waite. Par exemple, un boycott du distributeur Target, par la communauté noire aux États-Unis, en raison de propos « anti-diversité » tenus par le PDG du groupe, a d’après elle conduit au départ de ce dernier et à des pertes économiques pour l’entreprise.
(*) Produrable est un salon organisé par le groupe AEF, dont Carenews est une filiale
Célia Szymczak