Face aux nombreux reculs écologiques, les défenseurs de la transition inquiets et mobilisés
Artificialisation, pesticides, pollution, durabilité des entreprises… De nombreuses politiques européennes et françaises remettent en cause des décisions liées à la transition écologique. Des ONG et certaines entreprises dénoncent ce « backlash », dont les explications sont multiples.

Le 17 juin dernier, l’Assemblée nationale vote le projet de loi de simplification de la vie économique qui remet en cause l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols fixé en par une loi de 2021, avec un article permettant de « dépasser jusqu’à 30 % l’objectif local de consommation maximale d’espaces naturels, agricoles et forestiers ». Elle supprime par la même occasion les zones à faibles émissions (ZFE) instaurées en 2019, où la circulation de certains véhicules est restreinte afin d’améliorer la qualité de l’air. En cours d’examen, la proposition de loi dite Duplomb « visant à lever les contraintes du métier d’agriculteur », prévoit entre autres d'autoriser à nouveau l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde largement décrié par les associations environnementales.
« Je n’ai jamais vu ça alors que je fais ce travail depuis 15 ans. Une bonne partie du personnel politique est dans le renoncement sur les sujets écologiques », témoigne Morgane Piederrière, responsable du plaidoyer pour France nature environnement (FNE). « Cela fait des mois que la dynamique a été initiée, mais on arrive aux arbitrages finaux et on a l’impression que ça ne s’arrête pas », confirme Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l’homme.
Des reculs à l’échelle européenne
Au premier semestre 2025, le Réseau action climat a pour sa part comptabilisé 43 « reculs » environnementaux, dont 4 milliards d’euros de coupes pour la transition écologique dans le budget 2025, portant notamment sur le leasing social de véhicules électriques, le plan vélo ou le Fonds vert destiné au financement de la transition dans les territoires.
Neil Makaroff, expert à la fondation Jean-Jaurès, observe aussi des reculs depuis fin 2023. À cette période, au Parlement européen, des députés de droite et d’extrême droite montent au créneau contre le règlement sur la restauration de la nature : ils jugent qu’il fait peser un risque sur la sécurité alimentaire du continent. Le texte, visant à restaurer les terres et les mers dégradées du continent, a finalement été adopté en juin 2024, avec des assouplissements par rapport à la version initiale.
Les retours en arrière s'enchaînent ensuite. Fin novembre 2024, la Commission européenne lance un processus législatif visant à la « simplification » de deux directives majeures destinées à améliorer la durabilité des entreprises, celle sur le rapport de durabilité (CSRD) et celle sur le devoir de vigilance (CS3D). Plusieurs ONG parlent d’une « dérégulation massive et sans précédent ». En décembre, la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne accordent une année supplémentaire aux entreprises pour qu’elles se conforment au règlement sur la déforestation importée. Le parti conservateur européen (PPE) a tenté sans succès d’affaiblir le texte.
La simplification, un argument pour déréguler ?
Pour justifier ces décisions, les élus défendent souvent un objectif : la simplification de l’activité des entreprises, pour accroître leur compétitivité et la croissance. « Un cheval de Troie pour des dérégulations environnementales », dénonce Morgane Piederrière. Dans un rapport publié en avril dernier, France nature environnement analyse « 15 ans de simplification » dans les textes de loi, remettant en cause les arguments de leurs promoteurs. « Ces lois affaiblissent le droit de l’environnement, le rendent illisible et inapplicable », résume la responsable de plaidoyer.
Ces lois affaiblissent le droit de l’environnement, le rendent illisible et inapplicable »
Morgane Piederrière, responsable du plaidoyer pour France nature environnement
Pour expliquer la « frénésie de dérèglementation » en cours, l’association Les Amis de la terre accuse notamment « les lobbies ». Dans sa proposition de simplification de la CSRD et de la CS3D, « la Commission européenne a repris 70 % des demandes envoyées par les organisations patronales », pointe par exemple l’ONG, citant les données de Reclaim finance. « La loi Duplomb est un leurre. Elle favorise 3 % des élevages par exemple, les plus gros et les plus aisés », soutient Thomas Uthakaykumar sur un autre sujet. « C’est la foire aux lobbies », résume quant à elle Morgane Piederrière.
Des acteurs économiques mobilisés contre la « fuite en avant »
Pourtant, tous les acteurs économiques ne saluent pas les politiques mises en œuvre. « Les ZFE, la ZAN, la CSRD ou la CS3D sont des composantes clés de la vie de toutes nos entreprises. Ce stop-and-go sur des réglementations écologiques majeures ne les aide en rien », considère Caroline Neyron, la directrice générale d’Impact France, un mouvement réunissant environ 30 000 entreprises engagées.
« Pour se transformer et limiter leur impact négatif sur l’environnement et la société, les entreprises doivent faire des investissements, des choix stratégiques. Le fait de ne pas avoir de cadre rend l’exercice extrêmement difficile. Pour nous, la simplification, c’est la stabilité », continue-t-elle. Si le mouvement Impact France s’est positionné en faveur de la simplification de certains textes, comme la CSRD, il milite tout de même pour un maintien de leurs objectifs de transition écologique.
Pour nous, la simplification, c’est la stabilité »
Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France
« Cette fuite en avant risque de faire perdre aux entreprises du temps, de l’argent et même d’enterrer une partie de notre industrie », prévient la directrice du mouvement. « Elle crée une distorsion de concurrence pour les entreprises qui avaient joué le jeu, s’étaient inscrites dans la transformation et avaient réalisé des investissements », déplore-t-elle encore.
Un effet plus perceptible des politiques écologiques
Une autre explication de la situation réside dans la composition politique des parlements français et européen, élus en 2024. « Les partis d’extrême droite européens se retrouvent sur l’objectif d’abolir le Pacte vert européen [la feuille de route environnementale de l’Union européenne], ce sont les meilleurs alliés des énergies fossiles. Ils en ont fait une priorité politique depuis 2024. Leur discours discrédite aussi les technologies matures de transition, comme l’éolien ou le véhicule électrique », constate Neil Makaroff. « Une partie de la droite européenne a suivi cette tendance. Elle a décidé de courir après le discours de l’extrême droite pour la contrer, une stratégie perdante selon moi. »
Les partis d’extrême droite européens se retrouvent sur l’objectif d’abolir le Pacte vert européen »
Neil Makaroff, expert à la fondation Jean-Jaurès
Constat similaire chez Morgane Piederrière, pour la France. « L’effet des politiques écologiques devient de plus en plus perceptible dans notre quotidien. L’extrême droite a décidé d’utiliser le mécontentent qu’elles peuvent générer pour gagner des voix plutôt que de trouver des solutions », soutient la responsable associative, qui utilise des termes proches de ceux de Neil Makaroff : « la droite court après l’extrême droite et le centre court après la droite. »
L’élection de Trump, un facteur aggravant
Dans ce contexte, l’élection de Donald Trump, en novembre 2024, a empiré la situation. « Il a qualifié le réchauffement climatique de canular, ce qui a eu un très fort écho en Europe. L’idée est de relativiser l’impact du dérèglement climatique et d’instaurer une forme de doute sur le continent », analyse Neil Makaroff. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2025, le président américain a retiré son pays de l’Accord de Paris sur le climat, a affiché son intention d’accroître l’extraction d’énergies fossiles ou encore a démantelé des réglementations environnementales.
Notre rôle, c’est aussi de ramener des faits scientifiques et de la science, ce qui est de plus en plus compliqué »
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l'homme
L’investiture de Trump « a libéré la parole », estime Thomas Uthayakumar. « Des élus, notamment sénatoriaux, font passer des reculs qui n’auraient pas été possibles il y a deux ou trois ans », assure le directeur du plaidoyer de la FNH. « Il y a de moins en moins de débat de fond. Notre rôle, c’est aussi de ramener des faits scientifiques et de la science, ce qui est de plus en plus compliqué », note-t-il par ailleurs.
Des mesures bien calibrées ?
Aux yeux de Thomas Uthayakumar, un facteur supplémentaire explique certains retours en arrière. « De nombreuses politiques publiques écologiques s’arrêtent à mi-chemin. Elles n’ont pas été suffisamment pensées pour s’adresser aux classes moyennes et modestes ou n’ont pas suffisamment pris en compte le volet socioéconomique », pointe-t-il. Ainsi, il déplore par exemple l’absence de mesures permettant de rendre l’agriculture biologique accessible à tous ou d’accompagner suffisamment les agriculteurs, en parallèle de l’instauration de l’objectif de doublement des surfaces cultivées en bio dans la loi d’orientation agricole votée fin février.
D’autant que les Français ne s’opposent pas massivement aux réglementations environnementales, au contraire. 80 % des Français jugent qu’il est souhaitable d’imposer des normes plus strictes sur les pratiques agricoles, 88 % de réguler la construction de nouveaux bâtiments pour lutter contre l’artificialisation des sols, selon un baromètre publié en juin par le service statistique du ministère de la Transition écologique et le Centre des données socio-politiques de Sciences po. Plus de 180 000 citoyens ont interpellé leur parlementaire en opposition à la loi Duplomb, à la demande de plusieurs ONG dont Générations futures, France nature environnement, Greenpeace France, la Fondation pour la nature et l’homme.
l est important de prendre en considération ces trois piliers : l’environnement, les enjeux socioéconomiques et la santé »
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l'homme
Mais tous les sujets ne se valent pas. Seuls 44 % des Français considèrent souhaitable de limiter l’accès des centres-villes aux voitures électriques ou hybrides et 39 % d’augmenter les taxes sur les énergies fossiles, selon le même baromètre. « Il faut prendre en compte l’inégale répartition des coûts de la transition écologique », notait le chercheur Théodore Tallent dans une interview accordée à Carenews en avril, appelant à des politiques environnementales plus justes socialement. « Il est important de prendre en considération ces trois piliers : l’environnement, les enjeux socioéconomiques et la santé », martèle pour sa part Thomas Uthayakumar. « Il faut apporter des solutions qui puissent être discutées collectivement, montrer que la transition est possible. Le rôle de lanceur d’alerte est important, mais il ne suffit pas », poursuit-il.
Des mobilisations dans la société civile
« In fine, les entreprises vont devoir changer, tout le monde le sait. Ce n’est pas un avis. La transition et le réchauffement climatique, c’est scientifique. Et le temps perdu ne se rattrapera pas », soutient pour sa part Caroline Neyron. Le mouvement Impact France va donc accompagner les entreprises qui souhaitent poursuivre leur transition « sans attendre les pouvoirs publics ».
« C’est difficile d’être sur tous les fronts, mais on ne va pas lâcher l’affaire. Nous n’avons pas le choix, pas d’alternative au fait de réussir la transition », affirme pour sa part Morgane Piederrière, de FNE. « J’ose espérer que les entreprises, syndicats et acteurs de la société civile qui défendent la transition ramèneront à la raison un certain nombre de décideurs politiques », conclut Neil Makaroff.
Célia Szymczak