Aller au contenu principal
Par Carenews PRO - Publié le 7 décembre 2021 - 14:05 - Mise à jour le 11 mars 2022 - 17:42 - Ecrit par : Christina Diego
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Comment favoriser l’insertion professionnelle des réfugiés ?

La Fondation BNP Paribas organisait ce vendredi 3 décembre une conférence sur la place des personnes arrivantes dans le monde professionnel. Une matinée d’échanges sur les engagements du secteur privé en matière d'intégration des réfugiés. Et les premiers résultats d’une étude très intéressante de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales). Détails.

La Fondation BNP Paribas organisait une conférence sur le sujet des réfugiés. Crédit : Carenews
La Fondation BNP Paribas organisait une conférence sur le sujet des réfugiés. Crédit : Carenews

 

Quelles sont les trajectoires professionnelles des réfugié.e.s ? 

Lors de cette conférence, les premiers chiffres de l’étude intitulée « L’emploi des personnes réfugiées : des trajectoires professionnelles aux politiques de recrutement des entreprises » ont été dévoilés. Réalisée par l’IFRI , l’Institut Français des Relations Internationales, l’étude présente des données inédites* provenant de l’enquête ELIPA 2, une enquête publique pilotée par le ministère de l’Intérieur. La population de référence correspond à l’ensemble des personnes de 18 ans ayant obtenu un premier titre de séjour d’au moins un an en 2018. L' échantillon était composé de 65 % d’hommes et 35 % de femmes, des personnes reconnues réfugiées depuis trois ans en moyenne. Elles proviennent d’Afghanistan, de Syrie, du Bangladesh et du Sri Lanka. 

 

Les auteurs de l’étude Frédéric Salin  et Sophie Bilong en ont présenté les principaux enseignements. 

  • Près de deux tiers des personnes réfugiées ont cherché du travail depuis leur arrivée en France. 
  • La moitié des personnes est en activité en France trois ans après leur arrivée et l’autre moitié est au chômage ou en inactivité. 

 

Ces trajectoires d’activité sont marquées par une différence de genre.

  • Les personnes qui se maintiennent dans l’emploi sont surtout des hommes. Les hommes quittent en grande majorité leurs études pour travailler une fois arrivés en France. 
  • Celles qui passent de l’emploi à une inactivité sont essentiellement des femmes.
  • 42 % des réfugiés sont en emploi, 22 % au chômage, 19 % en situation d’inactivité et 17 % en études (un an après avoir obtenu leur titre de séjour). 

 

Deuxième phénomène important de cette étude, l’observation d’un déclassement professionnel entre le pays d’origine et leur situation en France.

  • Une augmentation du groupe des ouvriers (de 22 % à 46 %) et des employés (de 18 % à 42 %), une diminution du nombre de cadres et de professions intellectuelles supérieures (de 10 % à 2 %) et de professions intermédiaires (de 16 % à 7 %).
  • Les auteurs notent la disparition de la catégorie des indépendants.

 

Dans le détail, l’étude met en avant la concentration des réfugiés dans des secteurs peu qualifiés comme la construction et le BTP (21 %), et l’hôtellerie, le commerce et la restauration (45 %).   

Concernant les femmes réfugiées en emploi, elles évoluent en majorité dans les secteurs de l’hôtellerie, du commerce et de la restauration (+ d’un tiers) et 24 % travaillent dans le secteur de l'éducation, de la santé et de l’action sociale.

  • On note des conditions de travail assez précaires : 37 % en CDD et 10 % en intérim. Des chiffres trois fois plus élevés voire plus que les moyennes nationales. 
  • 50 % des femmes réfugiées en emploi sont à temps partiel et déclarent subir ces conditions (90 % souhaiteraient travailler à plein temps). 

 

Comment mobiliser les responsables RH et de la RSE ? 

Une seconde partie de l‘étude présente des analyses réalisées à partir d’entretiens avec des DRH et des responsables RSE menés dans 17 entreprises de grandes tailles (dans les secteurs de la restauration, banque, travaux publics, commerce et distribution des eaux). 

Premier constat, la mobilisation sur ce sujet est récente dans les entreprises et date de 2015. Il s’agit le plus souvent d’un partenariat avec les associations pour sourcer des candidats. Dans certains cas, le soutien exclusif de la direction est important et la motivation des collaborateurs est primordiale. Ils deviennent des sponsors du sujet en entreprise.  

Pour ce qui est de passer d’une logique de RSE à un recrutement effectif, tout dépend des relations en interne entre les deux directions. Les programmes qui favorisent l’embauche sont ceux qui découlent d’une circulation fluide entre le service RH et la RSE. Les auteurs expliquent que le schéma classique est l’équipe de la RSE lance une expérimentation et cela se transforme en une mobilisation des salariés, suscitant leur adhésion et les équipes RH prennent le relais. Cela passe aussi par la formation des salariés et des managers notamment sur des sujets variés comme le droit d’asile des réfugiés, la démystification de ce qu’est une personne réfugiée, comment évoquer la situation personnelle. 

En ce qui concerne les changements des procédures de recrutement, les auteurs prennent l’exemple d’une entreprise qui a mis en place la diffusion systématique des offres d'emploi dans des associations qui accompagnent des réfugiés pour ouvrir le réseau. Dans une autre, le service RH identifie des personnes grâce à une association en amont et ensuite, elle propose tous les candidats (dont les personnes réfugiées) en même temps à son équipe RH pour assurer une équité dans le recrutement.  

Dernier point, les perspectives d'évolution des salariés réfugiés une fois en poste ont été analysées. Il apparaît qu’apprendre la langue française, comme d’autres salariés apprennent l’anglais pendant leur temps de travail, est une bonne pratique qui a fait ses preuves pour permettre l’évolution en interne, comme l’accès à des formations techniques en accord avec Pôle emploi, détaillent les résultats de l'étude. 

 

Quelles solutions favorisent l’insertion professionnelle des personnes réfugiées ? 

 

Lors de la table ronde qui a suivi la présentation de l’étude, animée par la déléguée générale de la Fondation BNP, Isabelle Giordano, des personnalités du secteur et une personne réfugiée ont pu réagir et témoigner. 

 

table ronde

 

 

Benoît Hamon, directeur de SINGA, membre du collectif « Work with Refugees » a ainsi réagi : 

 

 La question des réfugiés est moins une affaire de solidarité que de reconnaître que les femmes et hommes, qui ont pris ce chemin de l’exil et sont parmi nous, ont un potentiel révélé ou pas. Un des maux de notre société est de résumer les réfugiés à leur trajectoire migratoire. Et d’oublier qu'auparavant ils étaient boulangers, artisans, étudiants en médecine  et qu’ils incarnent un extraordinaire potentiel pour notre société, nos entreprises et nos économies. »

 

L’ex-homme politique engagé a ensuite évoqué la question de l’inclusion.  

 La vraie question est celle de l’inclusion de ces personnes. Chez Singa, on n’y répond par l'entrepreneuriat. On le voit dans l’étude. Beaucoup de ceux qui n’ont pas d’emploi se posent la question de créer leur emploi. Le parcours de l’exil révèle des compétences et des qualités comme la résilience, le courage, l’adaptation, faire face au risque, l'innovation et la créativité. »

 

Benoît Hamon a rappelé que chez SINGA, 60 % des entreprises qui sortent des incubateurs sont encore actives au bout de trois ans. « Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de créer des partenariats pour de nouveaux incubateurs thématiques dans les territoires et sur des secteurs professionnels en tension », a-t-il indiqué. 

Alain Masson, directeur RSE chez Sodexo a partagé son expérience. 

Dans des structures comme les nôtres, c’est plus facile d’inclure les personnes réfugiées dans l’engagement RSE et ensuite dans la politique de recrutement. Dans une grande entreprise, on a les mêmes stéréotypes que dans une petite, une des premières missions du groupe est de changer les mentalités. » 

Alain Masson a détaillé une expérimentation territoriale qui a favorisé le recrutement de personnes réfugiées. « On est parti d’un besoin de ressources. On s’est engagé en recrutant cinq personnes, sourcées par une association spécialisée. On a obtenu des fonds de Pôle emploi et elles ont pu bénéficier d’une formation de quatre mois. Puis ils ont suivi des stages d'intégration. Aujourd’hui, quatre personnes sont encore là et une personne à évoluer. » 

 

Autre témoignage, Cécile Pierrat, directrice de l’association Kodiko, membre du collectif « Work with Refugees » sur le rôle des associations pour mettre en lien des personnes réfugiées et des entreprises. La directrice a évoqué le rôle de jonction de l’association. 

On a voulu permettre aux personnes réfugiées d’être en lien le plus rapidement possible avec les entreprises et les salariés. Cela permet de changer le regard sur le sujet et c'est fondamental pour permettre à ces personnes de s’insérer dans la société française. »

Pour elle, il était important de leur permettre de choisir ce qu’elles avaient envie de faire dans le pays d’accueil, sans que cela soit subi pour qu’elles puissent se réaliser.  « On a mis en place un binôme entre un salarié et un réfugié, cela permet un enrichissement mutuel. Au bout de cinq ans, on se rend compte que la rencontre est un formidable outil d’intégration. C’est un programme basé sur la politique de la RSE et l’engagement des collaborateurs. Ces derniers vont vraiment favoriser l’intégration professionnelle des réfugiés. »

Cécile Pierrat a précisé que la concrétisation du projet passe souvent par le fait que « c’est un dirigeant ou un salarié fortement convaincu par les qualités des personnes réfugiées qui va porter le projet en interne. Cela va permettre de concrétiser un partenariat avec notre association. Il suffit de la force de conviction d’une personne dans l’entreprise. » 

 

Farah Youssef, chargée d’accompagnement pour l’association Duo for a job a témoigné en tant que personne réfugiée. 

Je suis réfugiée, je suis arrivée de Syrie il y a cinq ans. Là-bas, j'étais étudiante et engagée dans des missions de bénévolat. J’étais très ambitieuse en Syrie, je voulais être professeure à l’université. Je ne le suis plus ici. Je suis arrivée dans une petite ville en France. J’ai passé quatre ans à faire des petits boulots assez précaires, je donnais des cours d’arabe, mal rémunérés, pour financer mes études. » 

La jeune fille a ensuite abordé le sujet du déclassement professionnel qui touche essentiellement les femmes réfugiées. 

 

 Pour les personnes réfugiées, dès qu’on a un petit boulot, on a plus le temps pour avancer dans nos études. C’est très compliqué. Les femmes sont souvent coincées à la maison ou dans des emplois très précaires. Les associations peuvent nous aider pour faire un CV par exemple.  Je pense que l’insertion professionnelle se passe avec l’association et l’intégration c’est par l'entreprise. Le message aujourd'hui que je souhaite faire passer aux entreprises serait "embaucher les personnes réfugiées et rémunérer-les bien, surtout les femmes ! » 

 

Autre message important de Farah Youssef en conclusion :  

 Il y a un sujet dont on parle peu. La santé mentale des personnes réfugiées est aussi un point important à prendre en compte. On parle souvent de résilience mais il existe des problèmes psychologiques chez les personnes réfugiées. Comment demander à une personne, qui a quitté son pays, qui a fui, qui sait que son pays est encore en guerre et qui a des amis ou de la famille là-bas, de vivre normalement ici ? » 

 

Particularité de l'étude présentée :

* L'étude a été menée à partir d’entretiens semi-directifs avec des salariés de plusieurs entreprises et complétée par un questionnaire qui est passé dans différentes entreprises, grâce notamment à un partenariat avec le collectif d’associations “Work  with Refugees”. 

L’étude complète sera disponible en janvier 2022 sur le site de l’IFRI.

 

 

 

Christina Diego 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer