La philanthropie peut-elle sauver l'hôpital ?
Philanthropie et hôpital, quels enjeux pour le mécénat de santé ? C'était l'objet du 46e webinaire de la Chaire philanthropie de l‘ESSEC le 25 novembre dernier. L'occasion d’en savoir plus sur les nouveaux outils de financements du secteur de santé, que peuvent être les fonds de dotations, les fondations ou le fundraising. Des solutions face à la la crise financière que traverse le secteur hospitalier aujourd'hui ?
La chaire philanthropie de l'ESSEC organisait, fin novembre, un webinaire spécialement consacré à la philanthropie à l’hôpital. L’occasion de se pencher sur les mécanismes du mécénat et du fundraising pour le secteur de santé.
Arthur Gautier, directeur exécutif de la Chaire Philanthropie, a tout d'abord rappelé, en ouverture, le contexte critique actuel du système de santé en France. Et certains effets positifs de la crise du Covid-19.
Grâce à la crise du covid-19, on a vu comment la philanthropie, à la fois dans son versant de collecte de fonds pour l'hôpital et de modèles de gestion et d'organisation pour les hôpitaux, a joué un rôle important. »
Une des principales questions de ce webinaire était de mieux comprendre ce que pouvait apporter de plus la philanthropie, par rapport aux financements des pouvoirs publics. Eléments de réponses avec les deux intervenant.e.s invité.e.s : Marie-Léandre Gomez, professeure de management à l’ESSEC, coordinatrice de projets et recherches et formatrice de cadres hospitaliers. Et Julien Gottsmann, directeur général de l'hôpital Fondation Rothschild.
Que devrait financer en priorité la philanthropie ?
Tout d’abord, un sondage auprès des 150 participants permet d’introduire une première partie dédiée au mécénat de santé. Que devrait financer la philanthropie en priorité dans le secteur de la santé ? Première réponse : la recherche et innovation ; et en second : le bien-être des patients et des familles. L’occasion pour la professeure Marie-Léandre Gomez de donner des chiffres et rappeler les enjeux entre hôpital et philanthropie.
En France, il y a, rappelle-t-elle, 3 000 établissements, 60 % publics, 30 % de cliniques privées et 15 % d’établissements privés de santé à but non lucratif. Le secteur privé est très important, « c’est une des spécificités de la France », indique-t-elle.
Pour elle, il existe plusieurs défis aujourd’hui qui expliquent les difficultés du système de soin. Un encours des dettes de 30 milliards, soit un tiers des hôpitaux endettés, un faible attractivité du secteur, etc. Fait important, « La crise covid a rappelé que les hôpitaux pouvaient recevoir des dons » détaille-t-elle. Le développement de la philanthropie à l'hôpital est très récent. En 1989, il ya eu la création de la Fondation des hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, et près de 12 500 projets sont financés en faveur de l’amélioration de la qualité de vie des enfants, des adolescents et des personnes âgées hospitalisées.
Un des points importants, c’est le succès des fonds de dotation. Il existe 393 fonds de dotation de santé recensés en 2016, dont 36 créés par des hôpitaux. « L’hôpital Necker est d’ailleurs le premier hôpital à se doter d’une direction mécénat intégrée (les dons vont directement à l’hôpital) », rappelle Marie-Léandre Gomez.
Pourquoi les hôpitaux ont -ils intérêt à lever des fonds ?
Marie-Léandre Gomez détaille ensuite de façon très intéressante, en s’appuyant sur ses recherches et la littérature, comment s’est développée la philanthropie hospitalière et surtout, quelles seraient les motivations des hôpitaux à lever des fonds ? Principalement « pour augmenter les ressources financières permettant de développer des programmes de recherche ou d’innovation, ou d’accueil des patients comme l'achat de casques de réalité virtuelle pour diminuer le stress des enfants pendant des séances de chimiothérapie, explique-t-elle.
Autre exemple, « deux hôpitaux dans le Gers ont été sauvés par des actions philanthropiques », indique-t-elle.
Quelques réticences perdurent. « Celles du personnel qui pense que la philanthropie va venir remplacer le rôle que doit jouer l'Etat pour soutenir le secteur hospitalier public. » Les hôpitaux sont déjà financés par les pouvoirs publics et par le système des impôts et des prélèvements sociaux. D’un point de vue éthique, il peut y avoir des interférences dans la relation avec le patient.
L’exemple de fundraising de l'hôpital Fondation Rothschild
Le directeur général de l'hôpital Fondation Rothschild, Julien Gottsmann revient quant à lui tout d’abord sur le modèle résilient des ESPIC, des établissements de santé à but non lucratif. L’hôpital Fondation Rothschild en fait partie, explique le directeur. Autre particularité, la fondation est d'utilité publique, habilitée à recevoir des dons et des legs. Les ESPIC seraient une troisième voie qui a réussi à attraper les avantages des deux secteurs (privé et public), selon lui.
Une des principales différences est la gestion des ressources humaines. « Nous avons une grande flexibilité de par notre rattachement au code du travail et nous n’avons pas la lourdeur du statut fonction publique et tous nos praticiens sont salariés, à la différence des cliniques privées, ils adhèrent pleinement au projet de l'entreprise, ils ne sont pas rémunérés à l’acte », détaille-t-il. Pour lui, c’est la principale force du modèle des ESPIC, un collectif hospitalier engagé, salarié.
Ensuite, il évoque la nécessité de mettre en place une campagne de collecte de dons. « La forte croissance de l'hôpital fait face à de nouveaux besoins financiers. Nous avons tellement grandi que nous avons besoin de nous agrandir, le projet d’extension est évalué à 100 millions d’euros. Nous avons un manque de six millions, que nous allons financer par du fundraising sur plusieurs années. » Se posent alors quelques questions : comment collecter quand on s’appelle Rothschild et qu’on est une fondation ? « Il y avait une ambiguïté avec le mot fondation, qui par définition est une entité qui donne, alors que nous avons besoin de recevoir des fonds. Le statut d'hôpital n’apparaissait pas. Il y avait une confusion entre nous et la banque de Rothschild. »
En interne, le directeur précise qu’il n’y avait pas de culture du don. « Nous avons donc créé une direction de fundraising et de communication. Nous avons travaillé sur la notoriété et le discours. Le nom a changé, avec ” hôpital” en premier. Nous avons valorisé le statut à but non lucratif », détaille-t-il.
Première cible : les 400 000 patients qui viennent se faire soigner, plus les personnes qui les accompagnent ; un espace de donateurs a été créé dans le hall de l’hôpital. Aux commandes, une équipe de collecte et de communication qui a permis de faire du fundraising de façon très professionnelle, explique-t-il.
« On a également constituer un fonds de dotation MedSens, alors que nous sommes une FRUP,. Cela gênait certaines personnes de faire un chèque à l’ordre de Rothschild », précise le directeur. L'enjeu : « collecter un million d’euros par an, le potentiel actuel des recettes auprès des particuliers à tripler, renforcer l’investissement sur les legs, même si c’est très long. Et toucher les grands donateurs notamment les fondations d'entreprise et les membres du conseil d’administration ou de la banque », précise-t-il.
Christina Diego