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Par Carenews PRO - Publié le 29 juin 2023 - 10:00 - Mise à jour le 29 juin 2023 - 10:00
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Notre-Dame de Paris, le mécénat du bois qui cache la forêt

Alors que les travaux de reconstruction de la charpente et de la flèche de Notre-Dame de Paris ont commencé, focus sur le mécénat de la filière forêt-bois dont les enjeux vont bien au-delà du patrimoine.

Démonstration de construction d'une charpente devant Notre-Dame de Paris, Journées du patrimoine, septembre 2020. Crédit : Bernard Hasquenoph
Démonstration de construction d'une charpente devant Notre-Dame de Paris, Journées du patrimoine, septembre 2020. Crédit : Bernard Hasquenoph

 

 

Reconstruction : le mécénat de la filière forêt-bois  

« Nous ne savons pas encore si la reconstruction se fera à l'identique, mais bien évidemment les forêts françaises, publiques et privées, sont mobilisées », répondait à l’AFP, au lendemain de l’incendie de Notre-Dame de Paris, le président de l’interprofession France Bois Forêt, secteur employant près de 400 000 personnes. 

 

La charpente de Notre-Dame de Paris, février 2018
La charpente de Notre-Dame de Paris, février 2018. Crédit : Bernard Hasquenoph

 

La fondation Fransylva, organisation représentant les 3,5 millions de propriétaires privés de la forêt leur appartenant aux trois quarts en France métropolitaine, appelait aux dons, en espèces ou en nature, à savoir en chênes, afin de reconstruire la charpente disparue de la cathédrale si bien surnommée la « forêt ». Les propositions affluaient. Parmi elles, Groupama, troisième propriétaire privé de forêts françaises, souhaitait offrir à lui seul 1 300 chênes centenaires.

Rien d’étonnant pour le premier assureur du monde agricole, le secteur forestier relevant du ministère de l’Agriculture. Contrairement à la croyance populaire qui l’associe souvent à la nature sauvage, notre forêt est depuis des siècles façonnée par la main humaine, exploitée pour produire du bois, aujourd’hui à 94 % selon Nature France, le service public d’information sur la biodiversité.

 

Abattre une forêt ?   

Le 18 avril, France Bois Forêt actait sa volonté de ne pas laisser passer le chantier du siècle. Vantant les mérites indépassables du bois qui avaient permis à la charpente de la cathédrale de résister plus de huit cents ans, l’interprofession se disait prête à relever le défi. Pour autant, les jeux n’étaient pas faits. L'architecte Jean-Michel Wilmotte plaidait pour une charpente métallique, comme pour la rénovation en 2008 du Collège des Bernardins à Paris. « On ne va pas commencer par abattre une forêt, la faire sécher et faire des assemblages qui vont durer 20-25 ans ! », clamait-il sur France Inter. 

Même argument pour l’historien de l’art Adrien Goetz qui défendait, dans une revue, l'option béton utilisée pour reconstruire la charpente de la cathédrale de Reims après la Première Guerre mondiale. Les deux secteurs concurrents au bois se tenaient pareillement au garde-à-vous, ArcelorMittal s’engageant à donner l’acier. Ces choix de restitution étaient possibles, malgré l’intox d’une obligation de reconstruire la cathédrale à l’identique. 

 

Cependant, les deux options modernistes étaient fragilisées par un argumentaire faux à la base sur la solution bois. Celle-ci avait d’autant plus de chance de l’emporter qu’en dehors de la question esthétique et au-delà de ses vertus écologiques, elle serait sans doute la plus rapide à mettre en œuvre dans le délai de cinq ans fixé par le président de la République. 

 

Une Convention de mécénat pour 2 000 chênes

 

L’Etat, sans surprise, choisit de tout refaire à l’identique, suivant les avis de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture. La grande récolte coordonnée par France Bois Forêt fit l’objet d’une convention de mécénat signée avec l’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame (RNDP). On estimait à 2 000 les chênes nécessaires au chantier, soit seulement 0,2 % de la récolte annuelle de cette espèce en France. La première étape consista à en prélever la moitié pour la flèche et le transept. Le 5 mars 2021, 8 premiers chênes, offerts par l’Office national des forêts parmi 403 autres estimés à un million d’euros, furent « martelés » en forêt domaniale de Bercé (Sarthe) en présence des ministres de la Culture et de l’Agriculture, et de représentants de la filière forêt-bois vivement remerciée par le général Georgelin, président de RNDP. 

 

Une récolte de chênes entre forêts privées et publiques 

 

Ces chênes d’exception furent abattus gratuitement par les bûcherons Pichon Frères. La cérémonie se reproduisit plus modestement aux quatre coins de France (plutôt au nord de la Loire), souvent avec émotion. « En plus de la fierté que j’avais à donner des arbres, les gens de la commune avaient l’impression que c’était un bout de la commune qui partait dans la rénovation de Notre-Dame », témoigna une propriétaire normande. 1 260 chênes furent ainsi collectés. Leur provenance fut l’objet d’un équilibre savant entre forêts privées (646) et publiques (614), elles-mêmes divisées entre forêts domaniales (484) et communales (130). 

 

A elle seule, la région Ile-de-France offrit 58 chênes. Le domaine national de Chambord clôtura cette première récolte avec le don d’un chêne, « un symbole du patrimoine français qui vient aider un symbole universel qu’est Notre-Dame ». Parmi les 220 propriétaires privés donateurs, on trouvait, outre Groupama qui offrit finalement sept chênes, la Caisse des Dépôts, CNP Assurances, l’Institut de France et ses domaines de Chantilly et Chaalis. 

 

Du mécénat de compétences dans les scieries

 

Ce furent ensuite à 45 scieries volontaires de se mobiliser, une vingtaine participant en mécénat de compétences, quand d’autres contribuaient financièrement. Seule étrangère, la scierie suisse Corbat offrit sa prestation, en plus d’une bénédiction des poutres par un chanoine. « Ce n’est pas la ristourne fiscale liée au mécénat qui est recherchée, c’est la participation à un élan de la profession du bois qui nous motive », déclarait le patron de cette autre scierie vendéenne Challans Solutions Bois au journal Ouest-France. 

 

Crédit : Bernard Hasquenoph
 Exposition « Notre-Dame de Paris : au coeur du chantier », Espace Notre-Dame, avril 2023. Crédit : Bernard Hasquenoph

 

Et aussi pour « défendre nos métiers en sursis à cause des problèmes d’approvisionnement », ajoutait-il, faisant allusion à l’exportation du bois brut de chêne en Chine pour revenir, en import, sous forme de planches. Une aberration dénoncée par toute la profession. Le scénario se reproduisit pour la seconde récolte fin 2022 de mille autres chênes. Certains transporteurs offrirent ensuite le voyage, les conseils régionaux étant également sollicités. 

 

Des pétitions pour écocide   

C’est ainsi que le mécénat de la filière forêt-bois pour Notre-Dame s’arrêta. Les étapes suivantes de reconstruction des charpentes relevant des marchés publics, les entreprises choisies le furent par appel d’offres. Pour la filière, ce partenariat fut bien plus qu’une aventure patrimoniale. 

Vitrine pour le bois, matériau renouvelable, et ses métiers, cette valorisation a été d’autant plus bienvenue que le secteur se trouve confronté à de multiples enjeux : adaptation au réchauffement climatique, lutte contre les incendies, protection de la biodiversité, concurrence étrangère … et désamour d’une partie de la population.  

 

Alors qu’on pouvait s’attendre à un consensus autour de Notre-Dame, ce ne fut pas le cas. Plusieurs pétitions virent le jour contre l'abattage des chênes, par des personnes semblant tout ignorer de la gestion durable des forêts françaises. La plus importante, dénonçant un « écocide », recueillit 42 000 signatures. Face aux fake-news, France Bois Forêt communiqua abondamment sur les réseaux sociaux. Le chantier de Notre-Dame l’obligea à sortir du bois pour aller toujours plus au devant des citoyens. 

En novembre 2019, elle créa sa propre fondation, « France Bois Forêt pour notre Patrimoine », sous l’égide de la Fondation de France. Grâce à un premier fonds de 200 000 euros sur cinq ans, elle aide « à la restauration du patrimoine public bâti présentant un intérêt historique, artistique ou architectural, mettant en valeur des matériaux en bois ». Merci Notre-Dame !

 

Bernard Hasquenoph

 

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