Prix littéraires d’entreprises : il n’y a pas que le Goncourt dans la vie !
Cogedim, La Poste, Groupama… Des entreprises décident de monter leurs prix pour soutenir la littérature, mais aussi pour se faire connaître et fidéliser les collaborateurs. Découverte.
Faire le tour des cafés de la rive gauche parisienne, c’est faire le tour des lieux où les prix littéraires viennent couronner les écrivains du moment. Le mythique café Les deux Magots dispose du sien depuis 1933. Le prix du Flore, créé en 1994, a été fondé par le célèbre café éponyme de Saint-Germain-des-Prés, lieu de rencontre du Paris intellectuel durant tout le XXe siècle.
Longue tradition également du côté des médias. Le prix du Livre Inter réunit depuis 1975 des auditeurs qui décident chaque année de l’auteur qu’ils souhaitent récompenser. Annonce est faite sur l’antenne de la radio publique.
1 500 prix existent en France
Les entreprises hors du milieu journalistico-littéraire parisien ayant monté leurs prix se font plus rares. Depuis quelques années, elles sont pourtant quelques-unes à tenter de trouver une place dans cette fourmilière composée de quelque 1 500 prix littéraires.
La Fondation La Poste, qui s’illustre par son soutien à la littérature, dispose ainsi de deux prix. Le Wepler-Fondation La Poste qui vient de récompenser le 13 novembre Elisa Shua Dusapin pour Le vieil incendie (Editions ZOE), et le prix Envoyé par la poste qui a couronné fin août Mokhtar Amoudi pour Les conditions idéales (Gallimard).
Pourquoi le mécénat finance-t-il peu la littérature ?
« Le livre est le parent pauvre du mécénat d’entreprise », estime Florence Batisse-Pichet, fondatrice de Chemin Lisant, une agence de communication autour des livres. « En comparaison, l’art contemporain représente pour le mécène un marché avec des enjeux extrêmement importants. Cela peut donner lieu à des expositions. Financer la littérature, cela revient à toucher un unique auteur. » En 2018, François Debiesse, président d’Admical, estimait pour le média Livres Hebdo que seul 1 % du mécénat culturel concernait l’édition.
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Passionnée de littérature, Florence Batisse-Pichet est l’instigatrice de plusieurs prix littéraires. L’un de ses plus gros faits d’armes : le prix Procope des lumières lancé par le restaurant éponyme. Contactée par cette vieille institution qui accueillait déjà Voltaire et Rousseau au 18e siècle, elle monte le prix dans le but de récompenser des œuvres philosophiques. Il voit le jour en 2012. En 2014, il évolue en prix Bristol des lumières avant de disparaître en 2016.
En 2020, nouvelle aventure pour Florence Batisse-Pichet. Pour créer un nouveau prix, elle s’acoquine avec un acteur peu banal de la scène littéraire : Cogedim club, filiale du groupe Altarea, une entreprise qui gère des résidences seniors.
« J’ai trouvé cela intéressant car ils avaient une approche extrêmement cohérente. Ils avaient mis en place une politique interne de défense de la lecture auprès des seniors avec l’organisation de clubs de lecture. Cela faisait sens que l'on m'appelle pour prolonger cet engagement par un prix littéraire », se réjouit Florence Batisse-Pichet.
Prix du Livre de Cogedim Club pour impliquer les résidents seniors
Le prix du Livre de Cogedim Club voit le jour avec une mécanique particulière : d’octobre à mai, chaque club de lecture des 29 résidences senior lit six œuvres littéraires abordant le thème de la famille et de la transmission. Ils en sélectionnent trois qui sont ensuite lus par les membres du jury de personnalités présidé par l’actrice Brigitte Fossey. Le nom du vainqueur est finalement annoncé lors d’une cérémonie organisée en septembre. Cette année, la lauréate est Marie Charrel pour son roman Les mangeurs de nuit (Les éditions de l’Observatoire).
Avec le prix littéraire, l'enjeu premier est interne. »
« Le prix littéraire est un bel outil de relation publique et de valorisation de marque », estime Cécilia Ribeyre, responsable marketing chez Cogedim Club et chargée du prix depuis sa création. « Mais l’enjeu est en premier lieu interne. On mise sur la lecture pour proposer un programme à nos seniors qui soit différenciant. »
Des prix en cohérence avec l’activité de l’entreprise
Florence Batisse-Pichet le martèle : le prix doit être en cohérence avec l’activité de l’entreprise qui le crée, être adapté à ses enjeux propres et s’inscrire dans une action plus globale : « L’entreprise peut créer un prix parce qu'elle agit déjà dans le secteur du livre ou de la culture ou par exemple pour impliquer les collaborateurs et les clients. »
Les entreprises qui montent un prix peuvent par exemple distribuer l'œuvre gagnante, accompagnée d’un bandeau aux couleurs de la marque, à ses salariés. C’est ce que fait Groupama Grand Est avec l’œuvre lauréate du prix Stanislas, compétition initiée par l’entreprise pour récompenser des premiers romans : « Nous nous engageons à acheter 300 livres à l’auteur gagnant pour ensuite les distribuer en interne aux personnes qui le souhaitent », explique Valérie Baldon, responsable de la communication du groupe. La décision du livre vainqueur est prise en deux étapes : un premier tri est effectué par les collaborateurs avant que l’heureux élu soit désigné par un jury de professionnels.
Cette année, le prix décerné à l’occasion du salon Le Livre sur la place de Nancy, a récompensé Julie Héraclès pour Vous ne connaissez rien de moi. Elle a reçu un chèque de 3 000 euros.
Le prix du roman de la Fnac dure dans le temps
Pour l’instant, peu de ces prix parviennent à sortir de l’ombre et à faire saliver les journalistes littéraires. « C'est très compliqué d'avoir des retombées presse », confie Valérie Baldon. D’ailleurs, comme pour tous les types de prix, peu arrivent à perdurer dans le temps et à acquérir une réelle renommée.
C'est très compliqué d'avoir des retombées presse. »
Certains ont réussi à tirer leur épingle du jeu comme la Fnac avec son prix du roman, désormais rendez-vous incontournable de la saison des prix. Il vient d’être décerné en 2023 pour la 22ᵉ année consécutive. La chaîne de magasins a également créé en 1988 le prix Goncourt des lycéens.
Théo Nepipvoda