Quand l’écologie bouscule les assemblées générales des grandes entreprises
TotalEnergies, Carrefour… Associations et investisseurs participent à mettre l’écologie au cœur des débats des assemblées générales. 2023 devrait être une année particulière en la matière.
Le 26 mai prochain, des milliers d’actionnaires d’une grande entreprise française seront réunis pour prendre des décisions courantes concernant la gestion de l’entreprise. Pas de quoi réveiller les passions, surtout que nous sommes en pleine saison des assemblées générales… Oui, mais l’entreprise en question est TotalEnergies, dont les activités sont considérées comme extrêmement polluantes par bon nombre d’observateurs. Tous les regards seront tournés vers cet événement annuel, bien moins entendu et ordinaire qu'à l'accoutumée.
L’AG de TotalEnergies sous le feu des projecteurs
Des actionnaires minoritaires ont déposé une résolution demandant à TotalEnergies de se fixer des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre plus ambitieux. Ce point fera l’objet d’un vote particulièrement scruté, l’entreprise appelle déjà les actionnaires à ne pas l’approuver. Mais encore faut-il que cette assemblée générale ait lieu…
Plusieurs associations environnementales ont appelé, via le média Basta, à empêcher cette réunion par un blocage. Parmi les structures signataires de l’appel, Greenpeace France. « L’assemblée générale est un moment fort pour les entreprises comme TotalEnergies, un moment de communication avec les actionnaires, et marqué par la présence de médias et d’analystes financiers », explique Edina Ifticene, chargée de campagne pétrole et gaz à Greenpeace France. « Pour nous, il s’agit d’un moment important pour faire parvenir des messages, et contrer le greenwashing que l’entreprise a prévu de délivrer. »
Protestations des associations et blocages sont des armes utilisées face aux grands groupes. Mais les revendications viennent également des actionnaires, n’hésitant plus à perturber l’ambiance feutrée des assemblées générales en mettant le sujet climatique à la une. Pour le porter aux oreilles de l’entreprise, plusieurs solutions : le dépôt de résolutions pour qu'elles soient votées. Mais également les questions écrites ou orales adressées à l’entreprise.
Le climat de plus en plus présent
Edina Ifticene constate une accélération depuis cinq ans avec une montée en puissance de ces sujets. D’ailleurs, les premières résolutions déposées en France concernant le climat remontent à 2020, à l’occasion des assemblées générales de TotalEnergies et de Vinci. Ces pratiques étaient déjà présentes dans des pays anglo-saxons comme le Royaume-Uni.
L’engagement actionnarial se développe donc progressivement et les actions lors de ces grands moments avec. Ecofi est une société de gestion qui investit de manière socialement responsable. Elle mène, comme d’autres acteurs du même genre, une stratégie d’activisme actionnarial. Elle vote lors des assemblées générales selon des principes qu’elle se fixe, notamment sur l’environnement. Ses votes contre sont plus élevés que la moyenne. Elle mène également des dialogues individuels ou collectifs avec les entreprises, intégrant systématiquement les questions sociales et environnementales. Enfin, il arrive à Ecofi de déposer des résolutions,notamment concernant le climat, qui seront votées lors des assemblées générales.
Carrefour dans le viseur de plusieurs investisseurs
Récemment, avec d’autres acteurs, Ecofi a demandé l’inscription d’une résolution à l’ordre du jour de l’assemblée générale de Carrefour qui se tiendra le 26 mai : « nous demandons au conseil d’administration de mieux spécifier la stratégie environnementale de la société », dévoile Cesare Vitali, responsable de l'analyse ESG et du développement ISR chez Ecofi. « Nous ne sommes pas très satisfait de la stratégie climat de la société, car le scope 3 et les franchises ne sont pas pris en compte dans les objectifs de réduction des émissions. »
Mais finalement, quel est le but de ces résolutions ? Même si les votes favorables sont en général très peu nombreux, elles peuvent avoir des effets positifs : « Même si elles n’obtiennent pas une majorité de votes en leur faveur, ces résolutions sont importantes pour inciter indirectement les sociétés à prendre en compte ces sujets », considère Cesare Viali. Malgré tout, un bout de chemin reste à parcourir par les entreprises françaises :
Les sociétés européennes voient ces résolutions, la plupart du temps, comme des critiques. Elles sont plus rigides face aux requêtes et ont l’habitude de faire le tour des actionnaires pour les convaincre de voter contre », Cesare Vitali.
En France, ce dépôt de résolutions est complexe puisqu'il faut détenir 0,5 % de l'actionnariat. Cela peut donc obliger à former des coalitions.
Quelles sont les limites de ces résolutions ?
Greenpeace France pratique également l’activisme actionnarial avec TotalEnergies et EDF en possédant une voix leur permettant d’assister aux assemblées générales. Même s’il s’agit d’un moment crucial pour prendre la parole sur des sujets éminemment sensibles et pour informer les investisseurs, Edina Ifticene y voit la limite : « Bien que Total réponde à nos sollicitations, les réponses sont toujours approximatives. De plus, l’entreprise fait perdurer son business model climaticide. C’est une mascarade. C’est pour cette raison que nous utilisons désormais le rapport de force. »
Reste que la question climatique continue de progresser et pourrait bien devenir un systématisme lors des assemblées générales. D’ailleurs, certaines entreprises l’ont accepté et ont même été dans une démarche proactive.
Le « say on climate »
En effet, s’il y a une tendance qui progresse, c’est celle du « say on climate », poussée il faut le dire par de plus en plus d’investisseurs. Il s’agit d’un vote des actionnaires, lors de l’assemblée, au sujet de la stratégie climat de l’entreprise. Certaines sociétés l’ont mis en place de leur propre chef : en 2022, elles étaient 46 entreprises, dont un quart des françaises. La pratique pourrait se généraliser dans les années à venir.
Même si pour l’instant, ces votes représentent une formalité pour les entreprises et peuvent s’apparenter à du greenwashing, cela pourrait évoluer. Les scores d'approbation des plans climatiques sont passés en moyenne de 94,2 % en 2021 à 88,5 % en 2022. À combien s’élèveront-ils en 2023 ?
Théo Nepipvoda