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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 3 avril 2023 - 17:58 - Mise à jour le 5 avril 2023 - 10:09
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[HISTOIRE] Chantal Bruneau, 40 ans de batailles pour la vie associative

Cet entretien avec Chantal Bruneau est un témoignage inestimable de quarante ans dans l’administration aux côtés des associations. Celle qui fut de 2014 à 2020 secrétaire générale du Haut Conseil à la vie associative (HCVA) puis membre du bureau, a été témoin, parfois actrice, de l’évolution de la prise en compte du fait associatif. Comment, au gré du temps, l’intérêt par l’État pour la société civile organisée s’est manifesté avec des avancées, des pauses, des reculs selon les gouvernements. On voit comment cette histoire a façonné, structuré et renforcé nos organisations, on (re)découvre les combats menés, parfois rudement, avec la volonté de donner des moyens structurels et financiers pour favoriser le lien et la cohésion sociale. L’évolution a été le fait d’hommes et de femmes dans l’administration, dans des gouvernements qui ont cru dans le rôle des associations et se sont engagés pour mettre en place des évolutions structurelles. La liste des rapports avec leur lot de propositions laisse de nombreuses pistes ouvertes dont il serait bon de se saisir pour engager la mise en place d’une grande ambition pour les acteurs de la philanthropie.

[HISTOIRE] Chantal Bruneau, 40 ans de batailles pour la vie associative. Crédit photo : DR.
[HISTOIRE] Chantal Bruneau, 40 ans de batailles pour la vie associative. Crédit photo : DR.

Un début d’intérêt pour la vie associative 

  • Chantal Bruneau, vous avez travaillé durant toute votre carrière comme fonctionnaire impliquée dans la question de la vie associative. Vous êtes donc une excellente connaisseuse de l’évolution de ce secteur. Nous pouvons peut-être commencer par le début de votre carrière où vous avez pris vos fonctions dans un ministère. 

 

Je suis arrivée au ministère qui s’appelait le ministère du Temps Libre à l’époque, avec André Henry que le Premier ministre, Pierre Mauroy, avait nommé ministre pour travailler sur un projet de loi pour les associations en 1981. Il se trouve que je préparais alors une thèse sur les associations et avais des liens avec l’administration de ce ministère. Et c’est ainsi que je suis entrée dans ce ministère pour travailler assez directement avec les conseillers d'André Henry sur ce projet de loi. J’ai eu à traiter des questions juridiques à un niveau interministériel concernant les questions relatives à la vie associative et comment celle-ci pouvait être facilitée. 

 

  • Pourquoi avait-on besoin à ce moment-là d’une loi sur la vie associative ? Était-ce alors un sujet prédominant dans la société française ou le Gouvernement voulait-il justement le rendre plus visible ? Quel était le propos ?

 

Dès les années 1970, c’est la thématique de l’environnement qui a beaucoup fait progresser le rôle des associations dans la société. Nous avons vu le développement de l’urbanisme après la guerre dans les années 1960-70. On créait de grands ensembles où on logeait les habitants, mais que leur offrait-on autour de ces barres d’immeubles ? Il y a eu une prise de conscience pour se dire qu’il fallait offrir autre chose que le logement. Les associations se sont montrées très parties prenantes, elles pouvaient être à la fois revendicatives mais en même temps force de proposition. À cette époque-là, beaucoup de professionnels, des architectes, des sociologues intervenaient même comme bénévoles sur toutes ces questions. Des sociologues comme Robert Castel travaillaient sur le rôle des associations dans la société et la question sociale. 

 

  • Cela veut-il dire qu’avant cette prise en compte du président Valéry Giscard d'Estaing, les associations menaient leurs activités à partir de la loi 1901 et n’avaient pas de visibilité au niveau du gouvernement. Il n’y avait pas de vision sur le sujet ?

 

En 1974, on comptait un peu plus de 23 000 créations d’associations et aucune prise en compte ou reconnaissance officielle du fait associatif jusqu’à cette date. À partir de 1974, durant le septennat de Giscard d’Estaing, on constate la prise en compte des associations par le biais de l’environnement, que l’on appelait plutôt le cadre de vie, un terme que l’on n’utilise plus beaucoup aujourd’hui. À l’époque, cette thématique était rattachée au ministère de l’Environnement où il y avait la Délégation à la Qualité de la Vie qui englobait la vie associative. Cette délégation était plus ou moins en charge des questions de la vie associative, cela dans une vision moins interministérielle que celle que l’on a pu avoir par la suite. Il est intéressant de noter qu’à cette époque on pensait que les associations pouvaient participer à l’élaboration des projets concernant leur environnement. Divers rapports et propositions poussées par le gouvernement traitaient de fiscalité, de la reconnaissance d’utilité publique, de bénévolat, du soutien aux associations. Ces sujets seront une base pour les évolutions futures.

Une proposition de loi rejetée

  • Nous arrivons en 1978 avec une proposition de loi.

 

En 1978, le Parti Socialiste avait porté une proposition de loi sur la reconnaissance et le développement de la vie associative, la Proposition 888, qui n’a pas abouti.  Après l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la république en 1981, elle sera la base du projet de loi sur lequel nous avons travaillé à partir de 1981. Les dernières années du gouvernement Giscard avaient déjà été marquées par une prise en compte par les pouvoirs publics du fait associatif en général. Valéry Giscard d’Estaing avait lui-même commandé des rapports. En 1981, peu de temps avant les élections, il y avait eu une communication en conseil des ministres sur le sujet de la vie associative.  Dans le VIIIe plan, de 1976 à 1980, l’importance de la vie locale et le développement de la vie associative sont mis en avant.

La préparation de ce projet de loi a donné lieu à six mois de consultation de tout le secteur associatif à la fois au niveau national et au niveau local. Au niveau local, c’étaient les services déconcentrés du ministère du Temps libre, Jeunesse et Sports qui ont administré cette consultation soit par des questionnaires, soit par des réunions qui ont permis d’animer des débats et des rencontres. Il y a eu environ 5 000 réponses et près de 150 réunions menées par chaque service au niveau local. Cela a donné lieu à une synthèse que j’ai rédigée à partir de quelques grandes thématiques  sur la fiscalité, le bénévolat, le statut des bénévoles encore d’actualité quarante ans plus tard.  La présentation d’un projet de loi n’a pas abouti parce qu’André Henry souhaitait que les associations dites d’utilité sociale aient un certain nombre d’avantages, mais pour lui, elles devenaient un prolongement du service public. Ceci a été refusé par le monde associatif. Des discussions animées eurent lieu avec le secteur sanitaire et social menées notamment par François Bloch Lainé président de l’UNIOPSS. La loi entraînait un risque de trop grande dépendance des associations par rapport à l’administration et l’autonomie de la vie associative, qui est sa richesse, devait être préservée. 

La naissance d’organes de concertation et de soutien 

  • Le projet de loi n’ayant pas abouti ,qu’est-il donc sorti de tout ce travail ? 

 

Deux outils ont émergé de cette consultation : le Conseil National de la Vie Associative (CNVA)  et le Fonds National pour le Développement de la Vie Associative (FNDVA)

Le Conseil National de la Vie Associative (CNVA), créé en 1983, devait être, comme l’avait dit Pierre Mauroy lors de son installation, « le parlement des associations ».  Il s’agissait de mettre autour d’une même table l’ensemble des associations, quel que soit leur secteur d’intervention. 

Ce point est très important, car on assiste à une montée en puissance de la création des associations, 40 ou 45 000 à partir des années 1981-1982 et, aujourd’hui, près de 70 000 créations par an. Malgré ce nombre croissant, le CNVA oblige les associations à parler d’une même voix et à se structurer, car les pouvoirs publics voulaient avoir un interlocuteur unique. J’ai travaillé sur l’écriture de ces textes avec les directeurs, les sous-directeurs, et suivi d’assez près les travaux du CNVA. Au tout début lors des réunions, les intervenants faisaient tous part de leurs spécificités pour marquer leurs différences. En fait, on s’apercevait que, sur des questions touchant l’engagement de bénévolat, la fiscalité, le rapport aux médias, les préoccupations sont quasi les mêmes, même s’il y a quelques ajustements en fonction des secteurs. Les pouvoirs publics décidaient des associations qui siégeaient au CNVA et celles-ci désignaient leurs représentants. Les coordination associatives, l’UNIOPSS, le CNOSF, l’UNAT… ont joué un rôle important. 

Le FNDVA a été créé en 1985 à partir de financements qui n’étaient pas des financements de l’État, mais qui venaient d’un prélèvement sur les enjeux du PMU, les courses de chevaux. À l’époque, cela a représenté 20 millions de francs consacrés à la formation des bénévoles pour les trois-quarts, le quart restant étant destiné à des études et des expérimentations. Il y avait là une volonté de faciliter le développement de la vie associative. Par ailleurs, il y a eu la création des délégués départementaux à la vie associative (DDVA) pour aider les associations de terrain dans leurs démarches administratives. Ces délégués sont des fonctionnaires, le plus souvent du ministère de la Jeunesse et des Sports chargé de la vie associative. Leur rôle est d’accompagner les associations sur le terrain dans leur création, leur développement, l’aide aux bénévoles et toutes les démarches administratives qu’elles ont à faire. Il y a eu en 1981un certain nombre de recrutements de contractuels et de personnes venant pour partie du monde associatif qui avaient une vraie culture associative. Il y avait les clubs sportifs, ce que l’on appelait l’éducation populaire, avec tous les mouvements de jeunes, les loisirs avec des activités de théâtre, musique, danse, etc. Les personnels spécialisés dans ces domaines étaient des conseillers techniques et pédagogiques qui travaillaient en lien direct avec le monde associatif. On parlait beaucoup du rôle social, de sociabilité des associations et de leur rôle dans la société au travers de ces questions sportives, culturelles, de loisirs. Aujourd’hui, on parlerait de cohésion sociale. Il y a eu pendant toutes ces années une prise de conscience sur le fait que les associations étaient finalement utiles à la société et qu’elles remplissaient des missions nécessaires. La question était alors de savoir jusqu’où aller dans la liberté que l’on donne aux associations.

La fiscalité, une préoccupation centrale

  • Pour les représenter, n'y avait-il pas la Conférence Permanente des Présidents d'Associations (CPCA ) ? 

 

Non, la CPCA, ancêtre du Mouvement Associatif, a été créée comme association de fait en 1992, puis s’est déclarée avec un statut associatif en 1999. À partir de ces années, on a toujours eu des dialogues plus ou moins nourris suivant les gouvernements, dans le cadre de réunions interministérielles qui rassemblaient des associations et des administrations. Jusqu’aux années 1990, le dialogue avec les Finances était assez dur. Les services fiscaux multipliaient les contrôles auprès des associations qui exerçaient des activités économiques, mettant en avant le traitement différencié dont bénéficieraient les associations au regard des entreprises commerciales. Les artisans comme les petites entreprises dénonçaient une concurrence déloyale de la part des associations qui ne sont pas soumises aux impôts commerciaux. Je peux vous dire les réunions que nous menions dans les années 1980 n’avaient rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui. 

 

  • La perception de l’utilité sociale des associations devient reconnue et commence à prendre une place plus importante dans la réflexion de l’État.

 

Tout à fait, mais en même temps la fin des années 1990 n’est pas la période la plus favorable du point de vue du gouvernement. Qu’on le veuille ou non, sans faire une analyse très fine, les associations ont souvent le cœur qui penche à gauche. On le voit bien, si localement on se positionne plus sur des questions politiques, elles peuvent rejaillir au niveau national avec la peur que les responsables associatifs prennent la place des responsables politiques. Sur le terrain, on verra parfois qu’il y a eu des difficultés entre un responsable associatif et un maire parce qu’il voyait en lui sinon un ennemi, en tous cas un potentiel concurrent. 

Dans les années 1980, beaucoup de responsables associatifs sont passés dans les cabinets ministériels. Il y a eu ce que j’appellerais un transfert, ce qui a pu parfois poser des problèmes de dialogue parce que ces personnes disaient qu’on n’avait pas besoin de leur expliquer ce qu’étaient les associations puisqu’elle en venaient. Pour autant, ce n’était pas la même position et cela entrainait un dialogue un peu compliqué. Globalement, on peut dire que tant que la gauche restée au pouvoir, jusqu’à la fin des années Mitterrand, les choses se sont passées à peu près correctement, mais par la suite, sont restées des questions non résolues notamment d’ordre financier. Par exemple, le ministère de la Jeunesse et des Sports donnait des subventions aux associations, mais le principe était de financer les projets des associations sans financer leur fonctionnement. Une discussion s’est engagée sur cette question importante. 

 

  • Dans ces années-là, la fiscalité appliquée aux dons était peu favorable.  

 

C’est à ce moment que s’est plus structurée la vie associative et que la CPCA s’est déclarée comme association. Le concept d’économie sociale a pris plus d’importance. Bien qu’en 1981ait été nommé Pierre Roussel, le premier délégué à l’économie Sociale, le concept d’ESS prend de la consistance avec Hugues Sibille, nommé en juin 1998 délégué interministériel à l'innovation et à l'économie sociale, où il restera jusqu'en septembre 2001. La délégation à l’économie sociale prend une importance accrue dans un cadre interministériel. La Jeunesse et Sport va se retrouver à gérer les questions autour du bénévolat, et des associations qui n’ont pas d’activité économique et celles qui effectivement ont un rôle économique dans la société iront davantage vers l’ESS. La discussion autour de la fiscalité aboutit à l’instruction fiscales avec la règle des 4 P (produit, public, prix, publicité), qui clarifie l’espace du secteur non lucratif et protège les association d’interprétations de l’administration. Ce texte est le résultat de groupes de travail mixtes organisés dans le cadre du CNVA et qui mettaient autour de la table des représentants des associations, des représentants des administrations. 

 

  • Ce débat a duré longtemps et se poursuit même encore aujourd’hui.

 

Oui. Pour ma part, en tant que fonctionnaire, cheffe de bureau des associations, je m’occupais du financement des associations, des questions juridiques et interministérielles. J’ai fait plusieurs notes pour alerter sur cette question du financement de projets sans financer le fonctionnement. Comment les associations peuvent-elles développer leurs projets si elles ne sont pas aidées pour financer leur structure ? Il y a eu des hauts et des bas dans l’histoire, mais on était parfois sur ce que l’on appelait l’instrumentalisation des associations et du monde associatif.

Les Assises de la vie associative, un gage d’ouverture

  • On arrive au moment des Assises de la Vie Associatives.

 

En février 1999 se sont tenues les Assises de la Vie Associative proposées par le premier ministre Lionel Jospin qui était en faveur de relations plus fortes avec le monde associatif. Pour reprendre ses propos lors de l’ouverture des assises : « s’associer, c’est consolider le contrat social, vos mouvements sont un pilier de notre République. […] Les associations sont un des piliers de la République. Mon Gouvernement, qui a voulu renouveler le pacte républicain, salue l’engagement des millions de bénévoles qui font vivre le monde associatif, dont le rôle doit être pleinement reconnu et recevoir le soutien des pouvoirs publics. »

La préparation a été un grand moment de mobilisation avec la tenue de 90 forums départementaux rassemblant environ 20 000 personnes, ce qui a donné une reconnaissance plus formelle du monde associatif à travers la CPCA et le rôle central du CNVA.

Les sujets traités étaient les bénévoles, les jeunes, les femmes et l’Europe, avec un aspect particulier sur le financement pour assurer aux associations des ressources stables (conventions pluriannuelles, simplification des procédures) et mise en place de nouvelles règles fiscales.

Il y a eu la mise en place d’un « comité de suites » interministériel avec les associations animé par Hugues Sibille qui faisait le point sur les mesures proposées et comment avancer. Cela a débouché sur la Charte des engagements réciproques signée à l’occasion du centenaire de la loi de 1901. Pour l’histoire, c’est la Fonda qui en est à l’origine. Elle avait travaillé sur cette question quelques années auparavant et transmis ses travaux à la CPCA.

Cette charte, réalisée sur la base d’engagements réciproques, reconnaît et renforce ainsi des relations partenariales fondées sur la confiance réciproque et le respect de l’indépendance des associations. Elle marquait une forte volonté de l’État et des associations de travailler en commun, de se reconnaître réciproquement. Beaucoup ont dit que la valeur de ce document était discutable, parce que ce n‘est pas une loi ni un décret, seulement une charte signée entre les ministères et le monde associatif. Mais ce fut probablement une étape importante d’un dialogue qui s’est poursuivi.  

Le centenaire de la loi 1901, certaines avancées constructives

  • Avec une vie associative qui est plus structurée et plus reconnue que par le passé ?

 

Reconnue effectivement, parce que cette charte est un acte de reconnaissance. On s’est alors aperçu qu’il manquait un partenaire entre l’État et les associations : les collectivités territoriales. Un groupe de travail a été constitué en 2014 en mettant autour de la table le HCVA, la CPCA et des élus. Il a abouti à la signature de la charte révisée intégrant comme partenaire supplémentaire les collectivités, régions, départements, communes. Il y a eu des déclinaisons, mais assez peu nombreuses. La situation a été un peu compliquée, notamment avec les maires. J’ai suivi ces travaux en assurant le secrétariat de la commission présidée par Jean-Pierre Duport et Claude Dilain, sénateur décédé depuis. 

Le Centenaire de la loi de 1901 a permis de mettre en lumière toute la vitalité associative à travers de nombreux exemples. Il y a eu des avancées avec l’augmentation du financement pour des conventions pluriannuelles, la validation des acquis pour les bénévoles, l’augmentation sensible de la déduction fiscale pour les associations par le passage de la déduction du don du revenu à la déduction du don de l’impôt. On a surtout constaté, chose importante, qu’il n’y a pas de volonté de modifier la loi de 1901. Même si quelques aménagements interviendront au cours des années, elle reste le contrat de droit privé qui permet aux individus de se lier entre eux avec la seule limite qui est de ne pas partager les bénéfices. Mais il faut dire qu’après quelques années, c’est la déception qui prime.

 

  • Quel était le point d’achoppement avec les collectivités locales ? 

 

Les élus ne voulaient pas entendre parler d’engagements réciproques, du fait que les associations pouvaient avoir un rôle de contestation, de contre-pouvoir... À un moment, Claude Dilain a usé de toute son influence pour que la signature se fasse. Cette signature a relancé le processus avec localement des choses qui fonctionnent, des collectivités qui se sont engagées dans un vrai débat, un vrai dialogue. À certains endroits, des choses fonctionnent très bien en termes de dialogue, de pouvoir partagé sur le quotidien des citoyens. Le Réseau National des Maisons d’Associations est probablement un bon exemple de ces avancées. Elles sont en partie municipales, donc émanant de la volonté de mairies, et en partie de volontés associatives. Mais encore une fois, il s’agit d’une charte, ce n’est pas un texte législatif, et c’est la raison pour laquelle le Contrat d’engagement républicain (CER) a suscité des réactions du monde associatif qui a dit qu’il y avait déjà une charte et posait la question de l’utilité d’un contrat autre. Les pouvoirs publics ont répondu, et les ministres, notamment Marlène Schiappa qui était auprès de Gérard Darmanin au ministère de l’Intérieur, confirmant que la charte n’était pas un cadre réglementaire. Je dirais que la charte a sans doute des côtés positifs localement, mais au niveau national les résultats sont beaucoup plus discutables. 

Encore des groupes de travail

  • Le dialogue s’est-il poursuivi ?

 

Oui, par la poursuite des conférences qui oscillent entre imposer la discussion et partager la réflexion. Pour celle de 2006, les pouvoirs publics décidaient des thématiques et de la composition des groupes de travail, des préséances. Les associations seront assez critiques, car les résultats furent parfois éloignés de leurs préoccupations voire opposées. Celle de 2009 renoue avec une méthode plus partagée entre le ministère et le CNVA. Elle a été préparée par un comité de pilotage composé de représentants d’associations, de l’État, des collectivités territoriales, de parlementaires et d’organismes institutionnels avec des rencontres sur le terrain et des enquêtes auprès d’associations. C’est le Haut-commissaire à la jeunesse, en charge de la vie associative, Martin Hirsch, qui assure la mise en place et le suivi de cette conférence.

On est véritablement au cœur de la relation des associations avec les pouvoirs publics, de la reconnaissance de ces acteurs de la société civile, en un mot de la volonté de reconnaissance de la capacité des corps intermédiaires à la construction des politiques publiques.

Fin 2017-2018, il y a eu à nouveau tout un travail où toutes les parties prenantes ont été mobilisées. Le Mouvement Associatif, qui est issu de la transformation de la CPCA en 2014, a organisé les groupes de travail. En 2017, à l’arrivée du Gouvernement Macron, il y a eu des mesures qui ont été assez violentes : la fin des contrats aidés, la fin de la Réserve parlementaire, et donc des crédits en moins pour les associations.

Du CNVA au HCVA

  • Venons-en au  CNVA. Était-il une instance de conseil ou une instance de dialogue ? J’étais entré au CNVA au titre des fondations. C’était une certaine ouverture d’esprit des associations qui acceptaient de prendre en compte les fondations au terme de nombreuses années où nous avions frappé à la porte.

 

À l’origine, le CNVA est effectivement une instance de dialogue et de consultation placée auprès du Premier ministre, comme l’est aujourd’hui le HCVA d’ailleurs. Encore une fois, lorsque Pierre Mauroy l’a installée en 1983, il l’avait qualifié de parlement des associations. Les pouvoirs publics avaient vraiment besoin d’un interlocuteur unique. En 1983, on ne parlait pas de CPCA et il y avait alors au CNVA 70 titulaires et 70 suppléants, 10 personnalités qualifiées. C’était donc une organisation énorme, et on peut dire un peu bancale. En effet, les pouvoirs publics décidaient alors quelles associations siégeaient au CNVA. Les associations décidaient ensuite qui les représentaient, mais c’était une instance de représentation. Il y a eu aussi dans tout cela des volontés politiques. 

 

  • Il y avait aussi le Bureau du CNVA qui était l’organe de fonctionnement où nous avons tous deux siégé… 

 

Il y avait en effet 15 membres au bureau qui étaient nommés pour deux ans renouvelables une fois. Les derniers  bureaux du CNVA avaient été composés des présidents des coordinations qui y siégeaient. On a bien vu là toute l’absurdité de cette affaire. Pour moi, cela n’avait aucun sens et cela a marqué le début de la fin du CNVA tel qu’il était pensé. Edith Arnould-Brill, qui en était à l’époque présidente, était visionnaire sur la place des associations et s’était fortement engagée pour le faire évoluer en surmontant beaucoup de difficultés. On voyait bien qu’il y avait une rivalité entre le CNVA et la CPCA puisque l’on retrouvait les mêmes qui siégeaient au bureau. Pour les pouvoirs publics, c’était compliqué et certains ministres disaient : il faut recevoir la CNVA d’un côté, il faut recevoir la CPCA de l’autre et ce sont les mêmes interlocuteurs ? C’était assez incompréhensible. Je rappelais toujours que le CNVA émanait d’une volonté des pouvoirs publics puisqu’il avait été créé par décret, alors que la CPCA était une association qui émanait de la volonté des associations. On voyait bien que l’on ne pouvait continuer avec ce dispositif très longtemps. La réflexion a donc commencé dans les années 2006-2007 pour aboutir en 2011 à la création du Haut Conseil de la Vie Associative (HCVA) qui est une instance de consultation. Ses 30 membres, 25 experts et 5 personnalités qualifiées, savent que lorsqu’ils prennent la parole, ils n’engagent pas tel secteur ou telle association. C’est la force de ce conseil.

Lucrativité, non lucrativité un enjeu pour demain

  • C’est une instance de conseil auprès du Premier ministre ?

 

Oui, toujours placée auprès du Premier ministre. Cette instance en plus des missions qui étaient déjà celles du CNVA est aussi obligatoirement saisie des textes législatifs et réglementaires qui concernent les associations dans leur ensemble. Je pense que c’est une très bonne chose que l’on ait abouti à ce résultat. Ce qui fait la force de cette instance, c’est que ses membres parlent en leur nom propre et non pas en qualité de représentant d’une organisation. Créé en 2011, le HCVA entre dans la loi de 2014 relative à l’Économie Sociale et Solidaire (loi Hamon, article 63). Cette loi a naturellement des avantages, parce qu’elle a ouvert tout ce qui était économie sociale et en même temps pour moi, elle crée une forme de partition entre les associations qui ont une activité économique un peu importante et celles qui n’en ont pas Les associations elles-mêmes se mettent en situation paradoxale, puisqu’elles insistent sur le poids qu’elles représentent dans la société en termes d’économie, de nombre de salariés, de PIB. Tout cela entretient, selon moi, ce rôle des associations dans l’économie en même temps pour le meilleur et pour le pire peut-être. On arrive à cette difficulté de se situer entre le lucratif et le non lucratif. Il y a en cours un travail dans le cadre du Conseil Supérieur de l’Économie Sociale et Solidaire sur un bilan de cette loi après dix ans, avec peut-être une idée d’ouverture notamment depuis l’explosion de l’entreprenariat social. Aujourd’hui, je pense qu’il faut que nous soyons très attentifs, car la suite devrait être une révision de cette loi.  

Il ne faut pas que les associations soient désormais cantonnées aux questions de loisirs, avec des bénévoles. Encore une fois, ce qui a été dit dans maints rapports et écrit par le Haut Conseil depuis 2012, c’est que les associations ne créent pas des besoins, mais elles répondent à des besoins, ce qui est fondamentalement différent en termes d’économie. C’est pour cela qu’il faut qu’elles continuent à avoir ce type d’activités et qu’on les aide. Des associations qui proposent des services pour des personnes âgées, des enfants, ou autres doivent pouvoir s’adresser à des publics solvables et à des publics non solvables. Il ne faut pas, comme les pouvoirs publics auraient tendance à le faire, cantonner le monde associatif dans les publics non solvables. Ce n’est pas comme cela que l’on peut concevoir un modèle économique, car le fait de s’adresser à des publics solvables permet d’avoir un équilibre économique et permet aussi une mixité sociale. Les associations, même si elles ont vocation à s’adresser à des publics en difficulté, ne doivent pas contribuer à créer une société clivée avec des pauvres et des riches où elles prendraient uniquement en charge les pauvres. C’est ce point qui rend, selon moi, le débat difficile sur le rôle des associations aujourd’hui. On est toujours prêt à féliciter les associations pour ce qu’elles font dès lors qu’elles ne vont pas vouloir développer des activités dont on va dire qu’elles sont en concurrence avec…

 

  • C’est ce que l’on a vu sur les crèches, sur un certain nombre de projets où la solvabilité s’est mise en place. Mais la question du secteur lucratif et du secteur non lucratif ne se pose-t-elle pas en amont ? Avec l’économie sociale qui introduit des barrières floues, il y a un autre risque pour le secteur non lucratif, c’est de se faire supprimer la fiscalité au prétexte que tout est pareil ?  

 

Alors effectivement, il y a la question de lucratif versus non lucratif. Pour avoir interrogé le ministère des Finances et la direction de la législation fiscale notamment, leur position est de dire que les barrières sont floues. On doit donc placer des barrières extrêmement étanches. Cela constitue un risque. L’autre risque est effectivement de dire : vous voulez avoir une activité économique lucrative vous entrez dans ce cadre. Si vous ne voulez pas, vous ne pourrez rien faire d’autre que d’apprendre aux petits enfants à jouer à la balle, en étant une peu caricatural naturellement. Il faut selon moi rester très attentif. Quand on parle de lucrativité limitée, il y a eu des débats assez récemment et des discussions au HCVA sur le fait que des élus disaient qu’il fallait permettre au secteur à lucrativité limitée d’accéder au mécénat. Pour nous au HCVA, il est clair que la barrière infranchissable est le caractère désintéressé des associations. Le traitement fiscalité repose notamment sur le caractère désintéressé, ce n’est même pas 20 % de distribution des bénéfices, c’est zéro, c’est cela le monde associatif !

 

  • La  bataille de lucrativité limitée est-elle un sujet important ?

 

Je pense que cela sera une des batailles importantes à l’avenir, et le travail qui est en cours sur la loi 2014 me fait un peu peur de ce point de vue-là.

Faire reconnaître le secteur non lucratif de l’intérêt général comme essentiel

  • Pour vous, à travers toute cette évolution que vous avez vue, sur les grands enjeux de la persistance de la vie associative dans son essence et la différenciation avec l’ESS, en termes économiques, qu’est-ce qui vous préoccupe pour l’avenir ? 

 

La préservation de l’essence de la vie associative. On parle beaucoup d’engagement aujourd’hui puisqu’on veut faciliter l’engagement des jeunes dans le monde associatif. Il y a cet engagement, ce mode de gouvernance que l’on ne trouve pas ailleurs, même si dans l’économie sociale il y a effectivement un tel engagement, mais les grandes forces du bénévolat sont dans le monde associatif. A priori, on ne fait pas de bénévolat dans une entreprise. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être le village gaulois réfugié en se disant que ce que l’on fait est bien et qu’il ne faut pas y toucher. Mais il s’agit quand même de remettre en avant les spécificités qui sont effectivement le mode de gouvernance. Là aussi il faut que les associations progressent elles-mêmes sur des sujets perdus durant ces années : qui s’engage dans le monde associatif, pourquoi… ? On sait très bien qu’aujourd’hui, ce sont surtout les CSP + et plutôt des personnes diplômées. Il faut que les associations puissent s’ouvrir davantage pour avoir ce vrai rôle dans la société. Je suis persuadée, y compris sur la question de la démocratie, du vote, etc., que les associations ont un rôle à jouer sur la sensibilisation des citoyens à leur rôle. Et si on permet effectivement aux citoyens de s’engager parce que tout un chacun peut s’engager sur des causes qui sont sur le terrain, il me semble que l’on devrait avancer en matière de démocratie. Il y a un certain nombre d’années une étude a été conduite par la Fonda avec le centre d’études de Science Po (CEVIPOF) sur la relation dans les élections municipales, entre la montée du Rassemblement National et l’importance du monde associatif. Là où le Rassemblement National avait eu des résultats importants aux élections municipales, c’est précisément là où le tissu associatif s’était délité en laissant les gens à l’abandon. 

 

  • Il s’agit donc là de la question associations, participation citoyenne et démocratie. 

 

Exactement.  C’est pour cela que moi je « milite ». Nous allons travailler au conseil sur le prochain bilan qui va être publié à l’automne sur le rôle des associations dans la société et ce qu’elles apportent, comment elles peuvent mobiliser les hommes et les femmes pour être acteurs dans leur société avoir un rôle dans le lien social. Lorsque vous regardez les débats qui ont eu lieu sur la loi confortant le respect des principes la République et le contrat d’engagement républicain, tous ceux qui intervenaient à la tribune disaient que les associations apportent ceci ou cela, mais pourtant ils allaient créer une contrainte. 

 

  • Pouvez-vous nous dire un mot sur la montée en puissance des fondations et la relation qui s’établit entre les associations et les fondations comme étant ensemble parties prenantes des acteurs de la philanthropie ? Avez-vous une idée sur ce sujet ? 

 

Je ne suis peut-être pas la mieux placée, mais il me semble qu’il n’y a pas de rivalité ou de conflit. 

 

  • Je pense au contraire que nous sommes arrivés à un apaisement total des relations. Souvenez-vous la situation il y a quinze ans.

 

Je pense qu’effectivement, si nous devons faire bouger les choses, nous demandons que le HCVA ait une vocation aussi sur les fondations puisque ce n’est pas écrit dans le texte. Cela dit, depuis un certain nombre d’années déjà, cela ne nous empêche pas d’avoir des propos sur les fondations. D’abord parce que la fiscalité est quasiment la même. 

 

  • Oui, et elles participent au secteur non lucratif.

 

Exactement, mais certaines confusions demeurent. Un membre du HCVA disait que les fondations sont des associations. Mais non, l’origine n’est pas la même. Pour autant, on voit là aussi des personnes engagées qui ont envie de travailler sur l’intérêt général. Qu’est ce qui nous motive tous ? C’est en fait l’intérêt général. Il s’agit de mettre au centre l’intérêt général et de se dire finalement : pourquoi privilégier ou pourquoi donner des avantages particuliers ? C’est parce que toutes ces structures, qu’elles soient associations ou fondations, participent de l’intérêt général. Mais effectivement, je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui il y ait une nécessité d’avoir une autre instance qui défendrait ou abriterait les fondations comme le HCVA porte la vie associative. Il vaut mieux effectivement que toutes les structures soient rassemblées, d’autant qu’on a vu qu’un nombre de fondations sont créées par les associations elles-mêmes. Il y a donc un lien très étroit. Cela s’est peut-être fait pour des raisons fiscales mais pas uniquement.

 

  • Faut-il envisager un HCVAF ?

 

Wilfried Meynet porte beaucoup cette idée aussi au sein du HCVA. On l’a dit à la ministre. 

 

  • Je pense que c’est effectivement un sujet de savoir par rapport aux préoccupations que vous avez évoquées sur la révision de la loi de 2014, que ce secteur non lucratif à l’intérieur de l’économie sociale soit bien identifié comme un secteur à part entière. J’avais eu des discussions avec Benoît Hamon longues et difficiles à ce sujet et nous n’avons pas fait affaire. 

 

On voit le nombre d’associations qui se créent, même s’il l’on peut toujours discuter sur le type d’associations, le nombre de personnes bénévoles qui sont engagées est important. Pourtant, on dit qu’il y a moins de bénévoles. Il y a un vieillissement et peut-être moins d’engagement sur une longue durée ou dans des conseils d’administration, car la responsabilité est grande. Mais on voit aussi de plus en plus de personnes qui s’engagent auprès des plus démunis, pour accompagner des enfants... en fait, pour des actions de proximité. Hors du bénévolat, dans les nombreux rapports faits sur la vie associative, on retrouve toujours les relations avec l’État, la fiscalité, la gouvernance, la sécurisation de la vie associative. Pour l’avenir, il faut passer des constats à la mise en place de mesures concrètes, le Mouvement Associatif a fait des propositions « pour une politique ambitieuse pour la vie associative et une société d’engagement». Le Centre Français des Fonds et fondations a fait aussi des propositions pour les fondations.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

 

Ressources

La liste des rapports sur la vie associative est longue. Pour compléter l’information des lecteurs, voici une liste des principaux rapports avec les liens qui correspondent :

 

Delmon (1976) Propositions pour faciliter les autorisations d’absence pour les responsables d’associations, voire un congé et des mesures pour la formation.

Rudolf (1981) Proposition de loi pour favoriser le développement du mécénat de de la vie associative.

Conseil d’État (1997)  Rapport sur « rendre plus attractif le droit des fondations » [indisponible en ligne].

Hénard (2003) Rapport relatif au mécénat et aux fondations.

Decool (2005) « Des associations en général … vers une éthique sociétale ».

Morange (2008) Rapport d'information sur gouvernance, le financement des structures associative.

Langlais (2008) Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations.

Vercamer (2009) Rapport sur l'économie sociale et solidaire : « L’Economie Sociale et Solidaire, entreprendre autrement pour la croissance et l’emploi ».

Ferry (2010) La représentation du monde associatif dans le dialogue civil.

CSA (2011) L'accès des associations aux médias audiovisuels.

Marland-Militello (2012) Livre blanc parlementaire : « libérer les   générosités associatives ».

Bachelier (2013) Les règles de territorialité du régime fiscal du mécénat.

Dilain, Duport (2013) Pour une nouvelle charte des engagements réciproques entre l’État, les collectivités territoriales et les associations.

Blein (2014) 50 mesures de simplification pour les associations

Bocquet, Dumas (2014) Rapport sur « les difficultés du monde associatif ».

Langlais (2018) Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations.

El Haïry, Moutchou (2019) La philanthropie à la française.

Racon-Bouzon, Heidsieck (2019) Rapport de mission « Accélérer les alliances stratégiques entre associations et entreprises ».

 

 

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