Aller au contenu principal
Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 27 septembre 2022 - 07:31 - Mise à jour le 20 octobre 2022 - 15:52
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

[INTERVIEW] Wilfried Meynet : « dans le secteur non lucratif, aborder le droit sans la fiscalité et inversement est un non-sens »

Une passionnante interview d’un praticien du droit et de la fiscalité qui ouvre des pistes pour l’avenir du secteur non lucratif.

[INTERVIEW] Wilfried Meynet : « dans le secteur non lucratif, aborder le droit sans la fiscalité et inversement est un non-sens ». Crédit photo : DR.
[INTERVIEW] Wilfried Meynet : « dans le secteur non lucratif, aborder le droit sans la fiscalité et inversement est un non-sens ». Crédit photo : DR.

Un avocat militant spécialiste de l’ESS et du secteur non lucratif

  • Wilfried Meynet, vous êtes avocat inscrit aux barreaux de Marseille et de Luxembourg. Vous vous intéressez depuis longtemps au secteur non-lucratif. Quelle a été votre trajectoire pour arriver à cela ?

 

 

Je viens de loin puisque je viens du monde des fusions acquisitions commerciales et grâce à un concours de circonstances, en arrivant à Marseille chez Ernst & Young, en 2002, j’ai eu la chance et l’immense privilège de rencontrer Philippe-Henri Dutheil, alors que je me posais des questions sur le sens de ce que je faisais. À l‘époque on n’utilisait pas les termes de raison d’être ou de quête de sens, car ces expressions n’existaient pas, et j’ai pu intégrer son équipe progressivement et développer cette compétence. Il y a donc bientôt vingt ans que je suis avocat dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, et après quatre années passées chez Ernst & Young, j’ai passé six années ensuite dans un autre cabinet très reconnu auprès de Xavier Delsol, toujours à Marseille. Et ensuite j’ai commencé à travailler à mon compte en 2012 puis j’ai rejoint Kelten. C’est donc un double anniversaire : vingt ans que je travaille dans le secteur et dix ans que je travaille à mon compte.

 

  • Vous vous êtes spécialisé sur ce secteur ? 

 

Oui je n’interviens que pour des structures et des projets d’économie sociale et solidaire et également dans le secteur du sport professionnel et amateur. Dans l’économie sociale et solidaire, on peut mettre beaucoup de choses : le droit associatif, les structurations de groupements associatifs avec la filialisation, les fusions, scissions ou apports partiels d’actifs, le droit des entreprises et entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire et également le droit des coopératives. Je suis à ce titre réviseur coopératif (sorte de commissaire au droit pour notamment les sociétés coopératives de production et les sociétés coopératives d’intérêt collectif). Je travaille beaucoup avec des fondations et fonds de dotation et enfin sur la structuration juridique et fiscale de politique de mécénat. 

 

  • Vous êtes en même temps juriste et fiscaliste ?

 

Oui, tout à fait. Formé au DJCE de Lyon, j’ai toujours eu une vision transversale de la pratique du droit. Dans le secteur non-lucratif, aborder les aspects juridiques sans connaître la fiscalité et inversement, est un non-sens.  

Pour l’affirmation d’un secteur non lucratif bien identifié

  • Depuis 2002, vous avez donc vu passer différentes lois. Comment percevez-vous l’évolution du secteur durant cette époque, dans sa structuration, dans son évolution juridique ?

 

J’ai commencé à travailler dans ce secteur au moment où on discutait du projet de Loi Aillagon. J’ai vu l’arrivée de cette loi du 1er août 2003 dont on fêtera les vingt ans l’année prochaine. De ce fait, j’ai vu le secteur des fondations et fonds de dotation prendre un vrai coup de boost. Il faut le dire qu’il y a eu un avant et un après, même s’il existait déjà des structures. Il y a eu également l’arrivée du fonds de dotation en 2008 – 2009 qui a engendré une deuxième accélération. Comme vous l’avez dit je suis juriste et fiscaliste, et sur l’aspect fiscal, cette loi de 2003 a vraiment donné un nouveau souffle, une nouvelle vision du mécénat et aussi du secteur de l’économie sociale et solidaire non lucratif. 

Depuis cette loi, nous n’avons eu de cesse de défendre ce que l’on pourrait appeler un « acquis », pour défendre ce système, pour défendre les conditions d’éligibilité, pour défendre la réduction fiscale. Chaque année nous avons vu réapparaître la fameuse complainte de la niche fiscale et du rabot. Très souvent, le secteur est arrivé à faire entendre raison, mais en 2021 il y a eu la limitation de la réduction accordée aux entreprises qui est passée de 60 à 40 % pour les dons supérieurs à deux millions. 

Un autre aspect a été aussi l’arrivée des entrepreneurs sociaux avec la volonté de mettre en avant la lucrativité limitée avec une démarche qui consiste à dire que si l’avantage de la réduction d’impôt pour le mécénat est valable pour les organismes non-lucratifs, pourquoi ne pourrait-il pas être valable pour les structures à lucrativité limitée. Je n’ai pas de problème avec les évolutions car je suis plutôt progressiste, mais ici l’on touche une barrière qui dénature le système. Si la lucrativité limitée est éligible au mécénat, alors pourquoi pas la lucrativité partiellement limitée, c’est une façon de faire exploser le système.  

 

  • C’est là un point important. Vous pensez qu’il est absolument nécessaire que le secteur non-lucratif ait un périmètre bien défini de façon à éventuellement à faire des passerelles avec des activités semi-lucratives, limitées… pour éviter le risque fiscal ? 

 

En effet. Il ne faut pas oublier qu’une grande partie du droit fiscal associatif ou non-lucratif n’est pas dans le Code général des impôts, il est dans la doctrine fiscale. Il est donc très facile pour Bercy à un moment donné de tout remettre à plat en disant qu’il n’est  pas la peine de faire une distinction puisque ces organisations sont identiques. Je considère que la confusion des types d’organisations lucratives et non-lucratives est un gros risque. Aussi, je pense qu’il faut deux systèmes. Le système non-lucratif a énormément apporté à la société française, il n’a pas les mêmes contingences que le système économique classique ni les mêmes sources de revenus.  Une société commerciale pourra avoir une activité dans l’ESS, mais elle aura des revenus partageables. L’association s’engage pour le bien commun sans espoir de retour financier, c’est pour cela qu’elle doit être soutenue par la collectivité des contribuables au travers du mécénat et/ou des subventions publiques. Même si on prend l’exemple d’une entreprise associative, bien qu’elle soit lucrative fiscalement et donc non éligible au mécénat, tous les « bénéfices » ne feraient jamais l’objet d’un partage entre qui que ce soit. On voit bien ici la grande différence avec le secteur « marchand » ou « lucratif ».

 

  • En réalité nous sommes dans deux systèmes marché/hors marché. C’est difficile à concevoir pour certaines organisations comme la commission européenne avec qui il y a des discussions autour de l’ESS et qui ne conçoit que de l’activité économique.

 

Absolument ! Et il y a une grande distinction — et j’insiste sur ce sujet — car il me paraît essentiel pour le secteur de la philanthropie. Je ne suis en rien contre l’activité économique, mais il ne faut pas tout confondre car la confusion et l’absence de clarté seront préjudiciables au secteur non lucratif. 

 

  • Que pensez-vous du système fiscal tel qu’il est conçu aujourd’hui pour le secteur non-lucratif ?

 

Il serait bon d’avoir un peu plus de sécurité sur les fondamentaux. Je ne pense pas que la loi doive tout régir de A jusqu’à Z parce que cela rend l'application trop complexe. Je suis très admiratif du droit français tel qu’il était il y a quelques dizaines ou quelques centaines d’années, assez universaliste. C’est-à-dire qu’on soit en capacité de créer un code civil et des principes applicables à tous les cas pendant des années sans être modifiés. Le vrai sujet est que le droit fiscal associatif et des organisations non-lucratives est à 90 %, même si j’exagère un peu, contenu dans la doctrine fiscale. En 2012 il y a eu la mise en place du BOFIP et tout le monde s’était réjoui de l’arrivée de ce document qui permet d'accéder à toute l’information fiscale alors qu’avant on ne disposait que de documents parcellaires et incomplets. Maintenant, c’est transparent et lisible, mais Bercy peut changer le contenu de sa doctrine quand elle le souhaite, ce qui est de nature à créer une insécurité juridique. Je pense que des principes fondamentaux, et notamment la définition de l’intérêt général, devraient être dans la loi et non pas dans la doctrine fiscale. Je dépasse le cadre de l’avocat fiscaliste et, bien entendu, je n’ai aucun souci avec les fonctionnaires du ministère des Finances, mais il n’est pas normal, à mes yeux, que la notion de l’intérêt général, si importante pour la société française, ne soit définie que par la doctrine fiscale. 

Pour une meilleure définition de l’intérêt général

  • Est-ce que cette notion d’intérêt général définit le secteur ? Ce n’est pas simple car vous êtes « d’intérêt général » lorsque vous vous occupez d’EPHAD, ou quand, agriculteur, vous fournissez de la nourriture au pays par exemple. Cette notion d’intérêt général autour de laquelle on tourne depuis des années peut-elle être une notion simple? Elle n’est pas spécifique au secteur non-lucratif. Nous sommes tous acteurs de l’intérêt général à un titre ou à un autre. N’est-ce pas finalement une erreur que de vouloir définir l’intérêt général ?

 

Il y a déjà plusieurs définitions. Dans le code du sport, il y a une notion d’intérêt général qui sert à flécher les subventions pour les clubs sportifs y compris pour les sociétés sportives professionnelles. Il y a encore quelques années je n’étais pas en faveur de cette définition légale, sauf que le législateur l’utilise pour les textes qu’il publie. Si l’on prend l’Article 6 de la Loi 1901, texte fondamental, modifié en 2014 avec la Loi ESS, il est dit qu’une association ne peut normalement pas recevoir de dons et legs et ne peut posséder que des immeubles strictement nécessaires à son activité, son objet social. Mais la loi envisage une exception si l’association exerce exclusivement des activités visées à l’article 200 du Code général des impôts. Dans ce cas, elle peut recevoir des dons et legs si elle exerce son activité depuis plus de trois ans. On voit là que le législateur, lorsqu’il parle d’intérêt général, ne fait lui-même référence qu’à l’article 200 du Code général des impôts. Et comme à l’Article 200 du Code général des impôts ne figure que le terme d’intérêt général, on est ensuite obligé d’aller consulter les dispositions de la doctrine fiscale. 

On constate donc une forme de vampirisation de l’intérêt général par les définitions de l’administration fiscale et je pense que c’est vraiment un sujet. Sans tout définir précisément dans la loi, je suis contre cette idée-là, cette notion d’intérêt général pourrait l’être. On peut s’inspirer de ce qui s’est passé en 2014 avec l’utilité sociale, l’utilité sociale est définie dans la loi sans notion fiscale. C’est ce qui permet de définir les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Peut-être faudrait-il s’inspirer de ce schéma-là, on ne peut pas faire du copier-coller, ce n’est pas possible, mais on peut essayer de réfléchir au sujet. S'il ressort que ce n’est pas possible, alors on laissera le soin à Bercy de définir ce qu’est l’intérêt général, dans l’éducation, dans la culture, dans le sport ou encore le social.

 

  • Cela veut dire que les collectifs doivent se mettre au travail de façon assez unitaire pour trouver ce qui pourrait être la définition de l’intérêt général reconnu par le secteur. Pour en terminer sur la fiscalité, comme vous l’avez dit, elle bouge en permanence, même si ce n’est finalement pas aussi souvent et nous avons eu une longue période de stabilité très favorable à la collecte.  Le système s’est complexifié en fonction des circonstances : différents taux,  différents plafonds. Doit-t-on simplifier ?

 

En gros, le dispositif n’a pas trop changé depuis vingt ans. Le fait que le plafond pour le mécénat d’entreprise passe de 0,5 % du chiffre d’affaires à 10 000 ou 20 000 euros est une évolution positive permettant d’aider les petites et moyennes entreprises à aller vers le mécénat et éviter qu’il soit  réservé aux très grandes entreprises. Ce qui n’est quand même pas dans l’intérêt général une fois de plus, que seules les grandes entreprises parisiennes ou du Cac 40 fassent du mécénat. Parmi les avancées la notion de cercle restreint de personnes a évolué dans le temps dans un sens positif. Avant le rapport Bachelier, l’administration fiscale utilisait toujours la notion de cercle restreint de personnes pour refuser l’éligibilité au mécénat. Il y a eu aussi des définitions plus claires sur la territorialité, sur la définition de l’humanitaire. Auparavant c’était uniquement les réponses à apporter aux différentes formes de catastrophe, maintenant cela concerne le développement des populations, le droit des femmes ou encore la protection des minorités.

 

  • Nous nous sommes beaucoup battus pour ouvrir les définitions lors d’un groupe de travail au conseil d’État. Les discussions furent très productives et apparaissent dans le rapport Bachelier. 

 

C’est ce qu’il faut continuer à faire et cela rejoint le travail que je fais actuellement avec toute l’équipe du Haut Conseil à la Vie Associative.

Réduire et moderniser les statuts de fonds et fondations

  • Nous allons revenir au HCVA. Auparavant, nous pouvons aborder, après la fiscalité, les questions juridiques concernant les statuts des fondations. Il en existe huit types, voire neuf si on prend la Fondation du Patrimoine qui est sui generis. Ne serait-il pas intéressant d’avoir quelque chose de plus simple et compréhensible ? 

 

Tout à fait, j’ai eu le plaisir de travailler avec Naima Moutchou et Sarah El Haïry, dans la commission parlementaire qui a émis le Rapport sur la philanthropie à la française. Une de nos recommandations a été de réduire le nombre de formes juridiques, puisque certaines d’entre elles ne sont quasiment pas employées comme la fondation hospitalière. Faire adopter une loi puis un texte de règlement qui met quatre ans à sortir et ce, pour un dispositif qui, à ma connaissance, ne concerne que trois fondations hospitalières en France est bien de l’énergie perdue. Il y avait déjà un grand nombre de fondations RUP qui portent des projets hospitaliers, comme par exemple à Marseille l’Hôpital Saint Joseph, et la Fondation Ambroise Paré qui est devenue Hôpital Européen. On n’avait donc pas besoin d’une forme supplémentaire. De plus, c’est illisible pour le commun des mortels. Dans le domaine de l’université et de l’enseignement supérieur, vous avez les fondations de coopération scientifique, les fondations partenariales et les fondations universitaires qui ne sont pas des vraies fondations, car elles n’ont pas la personnalité morale, plus des fondations abritées par des fondations abritantes qui ont une priorité éducative ou d’enseignement supérieur… Tout cela ne sert à rien et est surtout très difficile à comprendre.

 

  • En plus, les fonds de dotation se sont ajoutés et eux-mêmes abritent des fonds individualisés…

 

Tout à fait. Il faut aller vers une simplification. Le plus important pour un secteur, c’est son développement basé sur la clarté des textes.  Quand on dit à un donateur qu’il y a huit formes de statuts, c’est d’emblée compliqué. L’idée est donc d’en réduire le nombre. Dans le rapport nous étions arrivés à réduire à quatre. La fondation reconnue d’utilité publique (FRUP), la fondation abritée, la fondation d’entreprise et les fonds de dotation. Personnellement j’étais favorable à une limitation à trois : FRUP, la fondation abritée et une fondation simplifiée en effectuant une forme de fusion entre la fondation d’entreprise et le fonds de dotation. On l’appellerait fondation simplifiée, au même titre que pour les sociétés commerciales, la société par actions simplifiées apporte la souplesse et l’adaptabilité qui peut faire défaut à une société anonyme. Tout en simplifiant, il faudrait que toutes les formes soient encadrées par la loi, et non pas par des doctrines, des pratiques, ou des statuts types. Il y a quelques années lorsque la fondation hospitalière était sortie, j’avais écrit dans Juris Associations que cette énième nouvelle forme de fondation pouvait être un exemple à suivre offrant un cadre légal pour la création, la gouvernance et le fonctionnement d’une fondation. On pourrait très bien partir de ce travail pour l’adapter à la fondation reconnue d’utilité publique. Ainsi, on pourrait envisager, dans la loi de 1987 sur le mécénat, un grand chapitre sur la fondation reconnue d’utilité publique, un grand chapitre sur les fondations simplifiées et un plus petit chapitre sur les fondations abritées. Bien entendu, cette loi modernisée pourrait contenir des dispositions spécifiques à certains secteurs (enseignement, recherche, santé…). Enfin, la mise en place d’un décret unique d’application de la loi de 1987 serait également une source de simplification et de lisibilité favorable à la consolidation et surtout au développement du secteur. 

 

  • Si on revient à la fondation reconnue d’utilité publique, aujourd’hui c’est le parcours du combattant qui est très fléché puisque le ministère de l’Intérieur s’arroge le droit de transformer un statut type en un statut obligatoire. Vous l’avez remarqué, je suppose ?

 

Oui, professionnellement parlant, je m’en suis bien rendu compte. Le système actuel est inique et à mon sens complètement dépassé par rapport aux enjeux sociétaux actuels.

 

  • Aujourd’hui un fondateur peut souhaiter la reconnaissance de l’utilité publique, parce que c’est tout à fait prestigieux. Mais n’est-il pas temps d’abandonner le décret en Conseil d’État qui est un reste de la prévention contre les biens de mainmorte de l’Ancien Régime ? 

 

Tout à fait, bien qu’il ne faille jamais occulter l’histoire et les origines d’un système qui peuvent expliquer les problématiques liées au changement, je pense que ce système est d’un autre temps. Je ne vois plus trop l’intérêt que ce soit le Conseil d’État qui détermine ce qu’est l’utilité publique, et permette la création des fondations RUP. Il y a d’autres pays, comme le Luxembourg, où il y a des fondations reconnues d’utilité publique et où le ministère de la Justice est au cœur du principe. Le Conseil d’État au Luxembourg n’intervient absolument pas dans la reconnaissance d’utilité publique. Je pense donc qu’il faudrait une structure interministérielle ou quelque chose d’équivalent qui puisse déterminer ce qui peut être reconnu d’utilité publique sans passer par le Conseil d’État. Cela  supprimerait ce double filtrage d’abord devant le ministère de l’Intérieur qui est très souvent plus radical que le Conseil d’État puis un deuxième examen en Conseil d’État.

 

  • Ce serait une forme de modernisation.

 

Oui, et surtout dans la ligne de ce que j’ai dit précédemment, quand on dit à un fondateur qui a la volonté d’agir dans un domaine utile qu’il va falloir attendre pendant un an, voire plus, ce n’est plus adapté aux pratiques actuelles. Les gens ne comprennent pas. 

 

  • Vous êtes aussi membres du HCVA, de quoi s’agit-il et qu’est-ce que cela signifie ?

 

Le Haut conseil à la vie associative (HCVA), est un organe d’experts, qui est rattaché à la Première ministre et qui a pour mission, notamment, de formuler des recommandations en vue d’améliorer la connaissance des réalités du secteur associatif, d’établir tous les deux, un bilan des activités associatives et surtout qui doit être consulté préalablement à tout projet de texte relatif à la vie associative en général. S’il y a par exemple un texte sur les associations sportives, le HCVA ne sera a priori pas consulté. En revanche, s’il y avait une modification de la Loi 1901, nous serions consultés.

 

  • Vous êtes consultés et écoutés ou vous émettez juste un avis… ?

 

Nous sommes consultés, parfois entendus, mais pas tout le temps, il faut le reconnaître.

 

  • Au sein du HCVA, vous faites partie du Bureau et de la Commission juridique, c’est bien cela ?

 

C’est bien cela. Le Bureau est l’ organe dit « de gouvernance » qui oriente les travaux du HCVA et fait le lien avec les ministères et les différentes administrations. C’est aussi un lieu de réaction rapide s’il y a un événement ou des demandes, à la suite d’un changement de ministre par exemple. Le travail de fond se fait ensuite dans les deux commissions, une commission engagements et une commission juridique et fiscale à laquelle je participe. Pour information, la notion d’intérêt général et de non-lucrativité y a été travaillée lors de la précédente mandature du HCVA, et nous allons poursuivre ce travail sur l’intérêt général et sur les déclinaisons dans les différents secteurs associatifs. 

Il y a un deuxième sujet qui fait également l’objet de toutes les attentions de la commission juridique, à savoir la problématique des rescrits. Il s’agit là à la fois de la procédure spécifique que les associations initient pour connaître leur situation au regard de la fiscalité et du mécénat, et également des rescrits que nous appelons les rescrits généraux, qui sont dans la doctrine fiscale et qui donnent une orientation sur des secteurs spécifiques. Nous souhaitons que l’on multiplie les rescrits généraux afin de vraiment aider le secteur associatif à mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la fiscalité et de l’éligibilité.

 

  • Ce sont des sujets dont vous vous emparez ou vous demande-t-on de les étudier ? 

 

Ces deux sujets-là émanent d’une volonté de la Commission juridique avec sa présidente, Anne-Sophie de Jotemps, et ont été validés avec le Bureau. Nous sommes autonomes par rapport à cela.

 

  • Vous pouvez donc vous saisir de tel ou tel sujet de prospective.

 

Exactement, nous pouvons aussi nous auto-saisir d’un texte ou d’un sujet d’actualité, même si nous n’avons pas été consultés. De plus, même si cela n’est intervenu qu’une fois dans la jeune histoire du HCVA, nous pouvons être saisis par au moins cent associations couvrant au moins trois régions et ayant un objet statutaire comparable sur toute question intéressant l’ensemble des associations.

Un HCVAF source de cohésion des acteurs de la philanthropie : associations, fondations, bénévoles, donateurs

  • Ne pensez-vous pas qu’il serait intéressant d’avoir un HCVAF ?

 

Oui bien sûr ! J’en suis convaincu. Dans le texte de loi qui définit les compétences du HCVA ne figurent pas les fondations/fonds de dotation. Le secteur des fondations, et j’inclus les fonds de dotation est à mon sens sous-représenté, voire non représenté au niveau des instances gouvernementales. Certes il y a le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire où il y a des représentants du monde des fondations, avec le CFF en particulier. Le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire est un organe qui est assez fourni en représentants et qui n’a pas la réactivité et la souplesse d’un HCVA. Celui-ci  peut avoir des commissions, travailler, réagir, donner des avis sur un sujet. Typiquement pour le Décret du 16 mai 2022 sur les fonds de dotation, il n’y avait aucun interlocuteur du Premier ministre pour savoir si les choix engagés étaient les bons ou pas, puisqu’on ne peut pas saisir le HCVA de cette question, on ne peut pas formellement saisir les représentants les fondations /fonds de dotation. Il y a donc un trou dans la raquette, un vide administratif, institutionnel et je pense que ce serait une bonne chose que le HCVA puisse travailler sur ces questions. Il convient également de noter que les fondations et les fonds de dotation utilisent très majoritairement leurs ressources pour financer des projets portés par des associations. Les fondations et fonds de dotation sont donc essentiels au développement du secteur associatif. Le HCVA aurait donc toute légitimité à voir son champ d’intervention étendu aux fondations et fonds de dotation. C’est un vrai sujet parce qu’il faudrait changer la loi et changer la loi c’est toujours un sujet.

 

  • Oui ,c’est changer la loi, mais en fait ajouter un alinéa à la loi. Cela n’est pas si compliqué et cela se fait en permanence. Mais cela ne nécessite-t-il pas une volonté politique ? Vous avez évoqué le Rapport Moutchou-El Haïry qui émet l’idée d’une instance représentative du secteur qui serait consultée. Aujourd’hui, les lieux de traitement des questions qui concernent les associations et fondations sont éclatés dans tellement de ministères qu’il n’y a pas vraiment d’interlocuteur officiel. Ne serait-il pas nécessaire d’avoir un vrai référent sur ce secteur qui soit de poids ?

 

Oui, c’est un sujet d’importance. Cela dépasse aussi le cadre des fondations. Les travaux que nous avons faits nous ramènent aux notions d’intérêt général et de l’éligibilité au mécénat. Sans aller vers un système à l’anglo-saxonne avec la Charity commission qui fait la pluie et le beau temps sur la philanthropie au Royaume-Uni, l’idée serait d’avoir quand même un interlocuteur interministériel. Il y a quand même un point positif puisqu’avec ce nouveau gouvernement, la vie associative est regroupée avec l’économie sociale et solidaire et ce, avec un rattachement auprès de la Première ministre. Pour une fois, il n’y a pas deux ministres, un de la vie associative et un de l’économie sociale et solidaire où donc les associations sont partagées en deux : celles qui sont dans l’activité avec des salariés étant rattachées à l’économie sociale et solidaire, et celles qui ne le sont pas étant elles rattachées à la vie associative. Ce qui n’avait pas trop de sens. Peut-être allons-nous dans la bonne direction. 

Pour une reconnaissance du secteur non lucratif comme acteur essentiel dans la société française

  • Nous sommes là davantage dans un problème de politique générale et il s’agit de faire reconnaître le secteur non-lucratif comme un secteur essentiel dans la société française, au même titre que l’agriculture, l’artisanat...

 

Le fait de ne pas reconnaître ou simplement connaître ce secteur est source de vrais dangers. Pour prendre un exemple d’actualité, dans le rapport sur les États généraux de la Justice, au détour de certaines propositions, il y a l’idée de remplacer les tribunaux de commerce par un tribunal des affaires économiques. De ce fait les associations, et on imagine les fondations et les fonds de dotation, pourraient non plus aller devant le tribunal judiciaire pour leur problématique, mais ils relèveraient désormais de la compétence de ce tribunal des affaires économiques (donc l’ancien tribunal de commerce), avec peut-être derrière tout cela, la remise en cause du Journal Officiel pour les publications et le cas échéant l’obligation de passer au Registre du commerce et des sociétés, pour tous les actes relatifs aux associations et aux fondations. 

Être vigilant sur les effets de bord des projets de loi qui peuvent toucher les associations et fondations

  • Il faut donc beaucoup surveiller les effets de bord. 

 

Exactement, et réaffirmer qu’il s’agit d’un secteur à part entière est un but essentiel, car ce secteur n’est pas juste une variable d’ajustement. Même si c’est de moins en moins le cas, parce de plus en plus d’associations, de fondations, de collectivités locales ou d’entreprises travaillent ensemble, il y a quand même encore une tendance à penser que le secteur associatif est à la marge, et que si on lui applique de nouvelles mesures sans même faire attention ce n’est pas grave… Pourtant, c'est important et même central, d’un point de vue économique mais aussi du point de vue de nos valeurs républicaines. Le monde associatif est le terreau de notre démocratie et de notre république. 

 

  • Ce qui m’a toujours frappé, c’est quand on prend une mesure fiscale d’augmentation, ou même de diminution, on ne pèse jamais les effets sur les récipiendaires. C’est toujours traité comme une question budgétaire, jamais comme une question sociale.

 

Oui, c’est le vrai problème. J’ai quand même l’impression que l’on sort un peu de cette politique du chiffre. Et tout en restant loin du résultat optimal, j’ai le sentiment que dans l’entreprise, et maintenant aussi dans les collectivités, il y a la recherche de l’impact, de l’effet induit. Mais je suis d’accord, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. 

 

  • Pour le projet de loi dont nous venons de parler, des personnes se sont-elles mobilisées sur ces questions ou est-ce passé un peu inaperçu ?

 

Moi je l’ai vu, j’ai d’ailleurs tout de suite alerté les membres du Bureau du HCVA et nous avons mis en branle tous les dispositifs pour être très vigilants et pour très vite rencontrer les représentants du ministère de la Justice à la rentrée. À ce stade, ce n’est pas un projet de loi mais un Rapport des États généraux de la Justice qui contient des préconisations. Mais il est quand même fort possible que le Garde des Sceaux s’inspire de ce rapport pour faire une loi cadre d’orientation de la Justice. C’est la raison pour laquelle il faut rester extrêmement vigilant. 

 

C’est là où l’on voit bien que le fait de ne pas avoir d’organisation un peu centrale est pénalisant, parce que chaque ministère fait comme il l’entend.

 

Tout à fait, et le HCVA a joué son rôle. J’avais été alerté en qualité d’avocat, car j’avais assisté à la fin de l’année dernière au Congrès national des greffiers des tribunaux de commerce où j’avais été invité en tant que membre du HCVA pour parler de cette problématique de la fin du tribunal de commerce. Cette réforme a été menée en Belgique. Les Belges ont supprimé le tribunal de commerce et je crois qu’ils ont également supprimé le Code du commerce. Je sentais donc qu’il y avait quelque chose qui nous concernait. Quand j’ai lu le rapport, j'ai tout de suite alerté le HCVA. Ainsi, nous ferons tout notre possible pour être présents dans les discussions futures et pourrons contre-argumenter sur cette mauvaise idée de mettre les associations dans la sphère d’un tribunal des Affaires économiques.

Être unis pour peser

  • Comme nous avons parlé du HCVA et éventuellement du HCVAF, des progrès significatifs ont été réalisés avec la coordination Générosités qui s’est efforcée de rassembler les acteurs pour avoir une parole unique au moins sur un certain nombre de sujets. Pour vous qui avez l’habitude du lobbying, cela vous parait-il important ?

 

Oui, cela me paraît même essentiel. Le titre du rapport, Philanthropie à la française, est pour moi important. Il s’agit de montrer la spécificité française, mais il y a beaucoup d’écueils. Il y a ceux qui veulent faire à la manière anglo-saxonne, avec du charity business, et puis il y a tous ceux qui pensent que c’est vraiment de l’argent jeté par les fenêtres, que cela ne sert à rien, et qu’il faut que les choses se régulent par elles-mêmes (ou par la fameuse « main invisible »). Le fait d’être uni permet de peser. Je le vois typiquement dans ma profession. Je suis avocat et les avocats sont connus depuis un certain nombre de siècles pour être très individualistes. Quand vous regardez les instances, il n’y a pas une instance qui représente les avocats en France il y en a trois : le Barreau de Paris, le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers qui reprend les barreaux de province. Quand il y a un sujet sur le statut d’avocat, il y a trois représentants pour en débattre et en réalité ce n’est moins crédible même si instances, sans toujours parler d’une même voix, essayent de rapprocher leurs points de vue. Le fait de s’unir, de réfléchir et de travailler ensemble apporte déjà beaucoup, mais surtout cela donne du poids et de la visibilité à un secteur. Les politiques réfléchissent de toute façon en masses. Si on arrive à faire comprendre que l’on est nombreux, que l’on est structuré et mobilisé, on parvient à préserver les acquis et peut-être aussi à modifier des textes. Il ne faut pas être dans une attitude attentiste et de défense. Il faut aussi faire évoluer le système pour qu’il soit encore plus efficace et que, si je reprends l’exemple du mécénat, l’effort consenti au titre du mécénat soit vraiment consenti pour de l’intérêt général. L’idée est bien de servir l’intérêt général, de servir les citoyens. Nous avons une responsabilité et nous ne pouvons pas ne pas nous unir, ne pas travailler ensemble et ensuite avoir un déni du système en se disant que c’est dommage que notre parole ne soit pas entendue. Il y a un vrai enjeu de société et pour tout le secteur non lucratif une très grande responsabilité face à l’avenir.

 

  • Surtout qu’en matière de lobbying, on a bien vu lors de rencontres avec M. Martel, conseiller du Premier ministre avec  d’autres personnes de ministères ou du parlement qui nous disaient : « vous, vous dites cela, mais les autres disent autre chose, comment peut-on déterminer une orientation ? » Nous n’avions aucune crédibilité.

 

Exactement, c’est aussi une stratégie de diviser pour mieux régner. Alors que si tout le monde parle d’une seule voix, il est difficile de recourir à ce genre de subterfuge.

Un code du mécénat pour renforcer la connaissance et la professionnalisation

  • Vous venez de publier le code du mécénat qui regroupe tous les textes en vigueur. Un travail énorme dont il faut saluer le résultat. C’est une avancée significative pour tous les acteurs du secteur non lucratif, car il aidera à la professionnalisation du secteur. On ne pourra plus dire qu’il n’y a pas d’encadrement juridique ou fiscal !

 

L’une des préconisations du rapport était de faire un recueil de textes. Il a été  publié le 11 août 2022 chez Juris éditions Dalloz. C’est donc un Code du mécénat qui regroupe tous les principaux textes juridiques, fiscaux, administratifs, qui sont autour du mécénat, de l’acte de générosité. 

Il comporte 520 pages avec à la fin un tableau comparatif enrichi d’informations sur les formes associatives des associations et fondations. Ce travail a été rendu possible grâce à un mécénat du fonds de dotation MiKdo dirigé par un chef d’entreprise marseillais, Michel Feraud, qui a pré-financé le Code. Si ce code a été rédigé grâce à l’aide de plusieurs professionnels (Kathleen McLeod-Trémaux, Léa Morgant, Gaëlle Russo, Daniel Bruneau, Robert Fohr, Philippe Guay et Laurent Mazeyrie), les auteurs sont Naïma Moutchou et moi-même. Nous avons abandonné nos droits d’auteur à l’Institut de l’engagement. Nous sommes, Naïma et moi, fiers d’avoir rendu ce travail collectif possible et surtout d’avoir fait de ce Code, un véritable acte de mécénat du début à la fin.

 

  • C’est intéressant parce qu’à partir de la dernière interview que j’ai faite sur mon blog, j’ai fait sur LinkedIn une digression sur les fonds de dotation. Je disais qu’ils avaient l’impression de n’être soumis à aucune réglementation alors qu’en réalité il y a un corps juridique et fiscal derrière tout cela qui est quand même assez lourd et que ce serait bien qu’ils y fassent référence. Les gens pensent qu’ils sont suspendus en l’air. Comme le texte sur les fonds de dotation est tellement léger, ils pensent avoir toutes les libertés, mais ils oublient ou ne savent pas qu’ils sont dans un cadre juridique français très charpenté.

 

L’objectif de ce Code c’était d’apporter des réponses. Il s’agit vraiment d’un recueil de textes que l’on a organisé pour que ce soit facile à comprendre. C’est apporter des réponses à des questions qui se posent par exemple à ce fonds de dotation dont vous venez de parler. La deuxième finalité de ce Code est d’être un objet un peu militant. Pour beaucoup de gens et notamment les politiques, le mécénat se réduit à deux articles : Articles 200 et 238bis du Code général des impôts. Quand on fait un Code du mécénat et qu’autour de cette matière, on compile en 520 pages de texte, de lois, de règlements, de la doctrine fiscale, ce ne sont pas juste deux articles isolés mais au contraire une vraie matière qui plus est technique. Le code du mécénat permet donc de mettre en lumière ce magnifique secteur d’activité au service de l’intérêt général qui mérite plus d’attention du grand public et de considération des politiques. 

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer