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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 14 juillet 2021 - 18:02 - Mise à jour le 14 juillet 2021 - 18:02
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Les interviews de Chroniques philanthropiques : Nicolas Truelle, directeur général d'Apprentis d’Auteuil

« La confiance peut sauver l’avenir. » Une belle devise pour La Fondation Apprentis d’Auteuil qui joue un rôle essentiel par son activité auprès des jeunes et de leur famille en s’adaptant en permanence aux besoins de la société. Un formidable exemple de ce que peut faire la philanthropie.

Les interviews de Chroniques philanthropiques : Nicolas Truelle, directeur général d'Apprentis d’Auteuil. Crédit photo : © Besnard/Apprentis d'Auteuil.
Les interviews de Chroniques philanthropiques : Nicolas Truelle, directeur général d'Apprentis d’Auteuil. Crédit photo : © Besnard/Apprentis d'Auteuil.
  • Nicolas Truelle, vous dirigez la Fondation Apprentis d’Auteuil, une organisation extrêmement importante pour les jeunes. Pouvez-vous préciser quelle a été l’évolution de la fondation, anciennement Les Orphelins d’Auteuil, depuis la création. 

 

C’est à la fois une grande continuité historique et beaucoup d’évolutions. Au démarrage, en mars 1866, ce sont des jeunes garçons orphelins. Ils sont qualifiés de vagabonds parce qu’ils ont entre 12 et 16 ans, vivent dans la rue et à ce titre, sont passibles du délit de vagabondage et risquent donc la prison. Alors qu’ils ne peuvent pas avoir accès à l’instruction religieuse, à la formation, à l’éducation, un prêtre l’abbé Louis Roussel, les recueille et s’en occupe pour leur donner un métier. Fidèle à ces fondamentaux, la fondation Apprentis d’Auteuil, accompagne ainsi depuis l’origine des jeunes confrontés à des difficultés dans les champs éducatifs, de la formation et de l’insertion dans la société et la vie professionnelle. Nous utilisons même quatre verbes pour définir notre mission : accueillir, éduquer, former, insérer. Entre temps beaucoup de choses ont changé. D’une part, nous sommes passés d’un accueil de garçons à un accueil mixte depuis les années 1970. Parce que la sociologie française était ainsi faite, nous sommes aussi passés d’une œuvre catholique pour des catholiques, à une œuvre qui est toujours catholique, mais qui agit pour des jeunes de toutes origines, de toutes conditions et de toutes convictions. Enfin et c’est un point important, nous sommes passés de jeunes qui n’étaient que des orphelins à des jeunes dont la situation familiale est extrêmement variée, très rarement orphelins. C’est la raison pour laquelle nous avons changé de nom pour passer des Orphelins d’Auteuil à Fondation Apprentis d’Auteuil

Une modification très significative des vingt dernières années est que nous avons décidé d’investir le champ de l’accompagnement à la parentalité en travaillant également avec les familles. En effet, nous avons compris que pour prévenir les difficultés des jeunes, on doit travailler avec leurs familles le plus tôt possible. Aujourd’hui la fondation a quatre grands champs d’activité en France métropolitaine : le premier est la protection de l’enfance. Il s’adresse à des enfants qui sont placés ou font l’objet de mesures éducatives décidées par un juge ou par un président de Conseil départemental. Le deuxième champ est l’activité scolaire. Ce sont des écoles, des collèges et des lycées dont la spécialité est la prévention et la lutte contre le décrochage scolaire. On préfère dire aujourd’hui la promotion de la persévérance scolaire. Le troisième est la formation professionnelle avec l‘insertion sociale et professionnelle des grands jeunes de 16 à 25 ans, à travers des dispositifs de formation, de remobilisation et d’insertion. Enfin le quatrième champ d’activité est celui du soutien aux familles et l’accompagnement à la parentalité, avec des crèches, des maisons des familles, des lieux où nous accompagnons des parents dans le développement de leurs capacités d’éducateurs. Et cela concerne transversalement aussi la protection de l’enfance, le scolaire et l’insertion où la responsabilité éducative et la participation des parents doit être encouragée et promue chaque fois que c’est possible.

De l’internat pour les garçons aux structures mixtes et ouvertes

  • Lorsque vous parlez de la mixité, j’ai compris que vous aviez des internats et aviez été confrontés aux problèmes des jeunes femmes enceintes. Il fallait donc prendre en charge les bébés. Est-ce que cet accompagnement est assuré dans le cadre des votre activité avec les familles, ou s’agit-il des familles des jeunes en internat ? 

 

Effectivement, au départ, le mode d’accueil était à 100 % en internat. Aujourd’hui, si une partie de l’accueil se fait en internat, une autre, de plus en plus importante, se fait en accueil ouvert et l’action éducative a lieu alors que l’enfant reste dans sa famille. Cela nous met au contact des familles et c’est une évolution importante. 

Dans le champ de la protection de l’enfance, nous avons mis en place quelques centres maternels qui accueillent des jeunes filles enceintes jusqu’à quelques mois après la naissance de leur enfant pour accompagner à la fois la maman et l’enfant. Mais notre travail avec les familles ne se limite pas à ces dispositifs très spécialisés. Nous accompagnons les familles qui sont souvent dans des situations de précarité sociale et économique. Leurs ressources propres, leur environnement réduisent souvent leur capacité à accompagner et à éduquer leurs enfants. Nous les accueillons soit dans des crèches, soit dans des maisons des familles qui sont des accueils de jour où les familles viennent pour discuter entre elles, avec des bénévoles et avec des professionnels de leurs questions de parents. C’est là une évolution plus récente de la fondation. 

Pour terminer la description de la fondation, il faut ajouter que nous avons une action au niveau international qui est née il y a une trentaine d’années.  Au départ, nous avions l’idée qu’il était bon pour les jeunes accueillis en France d’aller faire des séjours humanitaires en dehors de France. Ce faisant, nous nous sommes créé un réseau d’associations qui elles-mêmes travaillent auprès de jeunes et de familles en difficultés dans une trentaine de pays. Maintenant nous travaillons avec ces associations à la formation de leurs éducateurs, à la stabilisation de leur gouvernance parfois même à la levée de fonds pour leurs projets. La dernière évolution de cette relation est l’échange de pratiques parce que nous avons fait l’expérience que  nous n’avons pas seulement à les aider et à les accompagner, nous trouvons auprès d’elles des pratiques inspirantes pour ce que nous faisons en France. 

Une stratégie sur quatre principes : accueillir, éduquer, former et insérer

  • Quelles sont vos orientations stratégiques ?

 

Dans le projet stratégique 2017-2021 de la fondation, elles sont au nombre de quatre. La première a été intitulée « Placer la relation au cœur du projet éducatif ». Quand nous avons construit ce projet stratégique, nous avons voulu souligner que l’important n’était pas la quantité, mais la qualité d’accompagnement et de prise en charge des jeunes. Chaque activité, que ce soit dans une crèche, un lycée professionnel, ou encore une maison d’enfants à caractère social, met en œuvre notre projet éducatif où la question de la relation entre les jeunes et les adultes et entre les jeunes eux-mêmes est placée au centre de nos préoccupations. 

La deuxième est de « Promouvoir l’insertion sociale et professionnelles des jeunes ». Nous nous étions rendus compte que parmi nos quatre principes d’action : accueillir, éduquer, former et insérer, celui sur lequel nous étions probablement le moins avancé était celui de l’insertion. Nous avons voulu aller jusqu’au bout du travail en nous investissant fortement sur la vie active. Il se trouve que durant ce quinquennat, le Gouvernement s’est énormément penché sur la question de l’insertion des jeunes NEETS (les jeunes de 16 à 25 ans ni en emploi, ni en études, ni en formation) et c’est ainsi que nous avons été aux premières loges du plan d’investissement dans les compétences lors d’un certain nombre d’appels à projets sur la préparation à l’apprentissage et sur la dynamique de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. Nous avons, par exemple, une belle expérimentation de co-construction de projet à Marseille : « Impact Jeunes ».

La troisième orientation s’intitule « Rendre Apprentis d’Auteuil, plus agiles et plus efficients ». C’est ouvrir de manière stratégique et non pas simplement comme une modalité, la question de notre organisation, de la mesure, de l’évaluation de ce que nous faisons. Notre monde de l’action sociale a toujours eu un peu peur de la culture du résultat, surtout lorsque l’on « travaille sur de l’humain ». Pour autant, on voit bien que pour choisir ce que l’on fait, pour orienter nos énergies et nos fonds vers telle ou telle opération il est nécessaire d’en évaluer l’impact. Le développement de l’analyse d’impact et des systèmes de qualité font donc partie de cette orientation.

La dernière est de « s’ouvrir aux partenariats ». Nous en avons fait un enjeu stratégique parce qu’historiquement la fondation travaillait sur de grands sites isolés à la campagne. Au fil du temps, la diversité des sujets et des questions posées a montré que l’on ne peut plus agir seul. J’ai en tête l’exemple d’une problématique croissante (et cela quel que soit le sujet : protection de l’enfance, scolaire, formation professionnelle), celle des jeunes qui présentent des troubles du comportement, des pathologies psychiques, psychiatriques peu ou pas diagnostiquées, qui les mettent en échec et mettent aussi en échec équipes et les structures qui les accueillent. Ces difficultés font que ces jeunes sont systématiquement exclus, y compris des dispositifs qui sont conçus pour eux. Apprentis d’Auteuil rencontre ces difficultés, mais n’étant pas une structure médico-sociale, dotée de médecins, psychiatres et de personnel spécialisé, nos meilleurs efforts et même avec l’aide des psychologues, ne sont pas à la dimension des problématiques.  Nous cherchons donc de plus en plus à nouer des partenariats comme, par exemple, une association de psychologues en Île-de-France qui s’est spécialisée dans la prise en compte des problèmes psychiatriques et psychologiques de jeunes mal diagnostiqués et mal dans leur peau et qui a accepté de travailler avec nous. Nous travaillons aussi de plus en plus en lien avec les ITEP (Instituts Thérapeutiques, Éducatifs, Pédagogiques), les IME (Instituts Médico-Éducatifs), les CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogiques) ou autres. Nous voulons initier des partenariats partout où cela est possible. C’est un sujet extrêmement complexe parce que la culture de ces partenaires est différente de la nôtre. La construction prend du temps car le partenariat ce n’est pas l’un qui dirige et les autres qui suivent mais une construction où la parole de chacun compte et trouve sa place, c’est le facteur de réussite et je pense que c’est vraiment l’avenir.

 

  • Vous avez parlé d’évaluation et d’impact, la question du temps est importante car la mesure d’impact n’est pas immédiate et les résultats en matière sociale sont parfois longs. 

 

Exactement. Cela s’est mis en place progressivement par exemple pour l’expérimentation de nos Toulines, un dispositif d’accompagnement des sortants de protection de l’enfance. Ce dispositif innovant lancé en 2016 n’a pu se mettre en place qu’avec son dispositif d’évaluation, en se donnant le temps de la mesure d’impact. Et vous avez raison, si l’on a une innovation conduite sur trois ans, le retour sera sur cinq. Il faudra attendre au moins deux ans après, et encore la mesure d’évaluation ne sera pas terminée. C’est à cette échelle-là que nous aurons les premiers retours d’évaluation. 

Au côté de 30 000 jeunes et 6000 familles

  • Cela concerne un nombre important de personnels et de jeunes soutenus chaque année.

 

Chaque année, nous accompagnons un peu plus de 30 000 jeunes et 6 000 familles en France et au travers de nos partenariats, ce sont 11 000 autres jeunes dans une trentaine de pays. Pour mener cette action en France, il y a un peu plus de 6 400 salariés à la fondation et 1 400 bénévoles qui complètent nos équipes de salariés. Nous sommes historiquement d’abord et fondamentalement une organisation de salariés professionnels accompagnés de bénévoles par rapport à d’autres organismes qui sont plus majoritairement constitués de bénévoles.

 

  • Pour mener vos actions vous disposez d’établissements dans toute la France ?

 

Oui, nous gérons plus de 300 dispositifs à travers toute la France, tous de petite taille, à échelle humaine, parce qu’il est important pour ces enfants d’être dans un univers où ils sont non seulement connus mais surtout reconnus afin que le niveau de relation soit fort pour pouvoir bien les accompagner dans leurs difficultés. Par exemple, un collège d’Apprentis d’Auteuil accueille un peu plus de 100 élèves, un lycée entre 100 et 200 élèves, une école primaire entre 50 et 100 élèves.

Des relations harmonieuses et constructives avec l’État

  • Soutenir 30 000 jeunes chaque année, c’est un chiffre très important.  Comment votre activité se situe-t-elle par rapport à l’action institutionnelle de l’État sur ce type de sujets ? Est-ce que cela signifie que ce que vous faites, l’État ne peut le faire ?

 

Le Père Daniel Brottier, qui a été un refondateur d’Apprentis d’Auteuil après la Première guerre mondiale, a transformé l’association en une Fondation Reconnue d’Utilité Publique (FRUP). Il a intégré des hauts fonctionnaires au conseil d’administration au côté de religieux spiritains et d’acteurs de la société civile. Depuis, on peut dire que l’action de la fondation s’est toujours située en synergie avec l’action publique. Nous ne sommes pas à l’extérieur pour faire mieux, critiquer ou faire différemment, nous contribuons en cherchant à répondre à des besoins particuliers de certains jeunes, de certaines familles. C’est comme cela que nous nous voyons. Bénéficiant de ressources privées par des donateurs, des philanthropes, nous avons en plus la capacité d’expérimenter. 

Dans le champ de l’action publique, nous sommes suivant les cas, habilités, contractualisés, avec des prix de journée, avec des forfaits, avec du personnel détaché… L’enseignement scolaire est sous contrat d’association avec l’État, avec des enseignants de l’Éducation nationale. Nous sommes donc à l’intérieur d’un système mais nous y apportons notre touche, notre couleur propre qui tient à notre projet éducatif. Cela convient à la puissance publique qui est notre donneur d’ordre et financeur. Le dialogue avec les pouvoirs publics au niveau central est pour nous une opportunité de plaidoyer car forts de notre expérience, nous allons indiquer ce qui, de notre point de vue, devrait être fait pour garantir au mieux une éducation ou une formation de qualité pour les jeunes confrontés aux plus grandes difficultés. Nous agissons à un double niveau. Nous avons à la fois une action opérationnelle de terrain dans des cadres contractualisés avec les pouvoirs publics et à partir de cette expérience, une action de plaidoyer pour permettre une amélioration de la prise en charge de ces enfants.

 

  • Est-ce que par votre capacité d’innovation vous occupez un champ que l’État n’occupe pas, puisque bien sûr, il ne peut pas être partout ? 

 

Je ne dirais pas que nous occupons un champ que l’État n’occupe pas, parce que, voyez-vous, quand nous sommes dans la protection de l’enfance, on ne parle pas alors de l’État mais des Conseils départementaux dont c’est l’attribution. Pour autant ils en confient une part à des structures associatives, auxquelles ils reconnaissent un certain savoir-faire pour le temps qui les intéresse.  Nous faisons partie de ces acteurs qui ont développé un savoir-faire. Ce qui intéresse les acteurs de protection de l’enfance à Apprentis d’Auteuil, c’est que non seulement nous faisons de l’accueil éducatif, mais en plus il y a dans notre ADN la dimension formation, insertion. Nous allons donc être naturellement portés à suivre le parcours scolaire des enfants, à les encourager, etc. Je dirais que c’est cela notre couleur particulière. Pour La Croix-Rouge, qui elle aussi travaille sur la protection de l’enfance, sa couleur particulière est la santé : santé psychique, santé physique des enfants qu’elle accueille. 

Le propos n’est pas de dire : « Nous faisons ce que l’État ne fait pas », mais dans un certain nombre de domaines qui sont partagés entre les pouvoirs publics et les associations, nous apportons un angle et une expérience particulière, et en plus grâce à la générosité de nos bienfaiteurs nous avons les moyens d’enrichir, d’expérimenter, d’ajouter. Ce n’est pas forcément possible pour la puissance publique.

 

Un terrain multi-acteurs

 

  • Êtes-vous beaucoup d’organisations privées à travailler dans ce champ ? 

 

Nous sommes un certain nombre sur le champ de la protection de l’enfance.  On pourrait citer par exemple la Croix-Rouge, SOS Villages d’enfants, Action Enfance, le Groupe SOS, l’Armée du Salut, de grandes structures nationales qui, au nom d’une certaine vision et d’un certain savoir-faire accumulé, se sont développées dans la protection de l’enfance. Même si nous sommes un grand réseau qui accompagne et accueille dans ce domaine spécifique 7 000 jeunes par an, nous ne sommes qu’une petite partie de la protection de l’enfance qui concerne en France plus de 300 000 jeunes. C’est donc un monde extraordinairement atomisé.

Dans le champ du scolaire, c’est un peu différent parce que ce champ est régi aujourd’hui par la Loi Debré, on est dans le champ de l’enseignement privé sous contrat. Nous nous situons au sein de l’enseignement catholique et nous avons autour de nous un certain nombre de réseaux, comme les Frères des Écoles Chrétiennes, les Lassaliens, les Salésiens qui se sont intéressés depuis leur fondation aux jeunes confrontés à des difficultés. 

Dans le champ de la formation professionnelle, le jeu est le plus ouvert.  Il y a tous types d’acteurs entre l’associatif non lucratif et le privé lucratif dont de grandes associations privées lucratives. C’est assez complexe et touffu car la formation professionnelle des adultes et des jeunes représente de très grands marchés. 

Dans le domaine de la parentalité, on ne peut pas dire qu’il y ait vraiment de grands réseaux, il y a de petites initiatives associatives et une présence des pouvoirs publics autour des CAF, des mairies, des centre communaux d’action sociale, des centres sociaux, etc. qui ont structuré l’action auprès des familles.  Le paysage est très varié. 

 

  • Dans le domaine sensible que sont les jeunes, votre fondation se doit d’être extrêmement professionnelle.

 

En effet nous avons beaucoup travaillé pour être toujours plus professionnels, il faut agir en proximité, en connaissance de l’environnement immédiat des structures dans un monde qui est de plus en plus réglementé et encadré et savoir s’adapter en permanence.

Le financement privé source d’innovation et de flexibilité

 

  • La fondation est un organisme privé, recevant des financements privés. Quelle spécificité cela donne-t-il à votre action ? Quel est l’intérêt pour vous d’être dans un tel schéma d’organisation ? 

 

Le premier intérêt que je vois d’être une Fondation Reconnue d’Utilité Publique c’est l’extraordinaire stabilité qu’apporte sa gouvernance. Le conseil d’administration est là pour garantir que l’action de la fondation est conforme à ses statuts et à l’esprit des fondateurs, c’est pour moi un point fondamental, car il faut s’adapter à travers le temps. L’histoire de la fondation montre que pour passer du milieu du XIXe siècle au début du XXIe, une gouvernance de ce type est vertueuse, elle porte les impulsions d’origine et reste en même temps flexible, adaptable mais fondamentalement solide.  Je pense que c’est une force pour l’action sociale et je m’en réjouis tous les jours.  La deuxième chose c’est le propre aussi de la fondation, c’est d’être fondée financièrement avec la capacité de recueillir des fonds pour son action. Chez nous, la répartition est à peu près de 60 % de fonds publics et 40 % de fonds privés sur un budget d’un peu plus de 400 millions euros. C’est une répartition globale que je mentionne ici. Action par action, la répartition sera très variable.

 

  • La part du soutien privé est très importante.

 

C’est beaucoup de part et d’autre. Cela donne la possibilité de synergies entre les deux types de financements. Les fonds publics sont en général, dans une logique pérenne de dispositifs de droit commun, dans lequel on est habilité pour de nombreuses années et financé de manière récurrente, tant que bien sûr nous faisons ce que nous devons faire.  Les fonds privés vont permettre d’ajouter des dimensions qui ne sont pas prévues dans le dispositif de droit commun. Elles sont mises en place soit expérimentalement, soit à titre d’essaimage, ou pour la croissance d’une nouvelle activité permettant de nouveaux développements. C’est extraordinairement vertueux que de pouvoir joindre les deux aspects privé et public.

 

  • Vous parlez des expérimentations, je suppose que cela permet aussi d’être véloce pour mettre en place de nouveaux dispositifs, développer de nouveaux concepts et les expérimenter à partir de vos fonds propres. C’est important pour vous ?

 

Oui, tout à fait. Je peux donner un exemple, dans le champ de la protection de l’enfance, donc des enfants placés, il y a un serpent de mer qui s’appelle les « sortants de protection de l’enfance ». Il s’agit des enfants qui finissent leur parcours en protection de l’enfance parce qu’ils ont eu 18 ans et l’obligation faite à un Conseil départemental de prendre en charge l’éducation d’un enfant tombe à cet âge-là. S’il n’y a pas une volonté du Conseil départemental de poursuivre, l’enfant se retrouve seul avec lui-même. Cela peut se passer du jour au lendemain sans plus aucun financement dédié. C’est évidemment un problème majeur et nous ne sommes pas les seuls à le dire. Notre statut de fondation nous a permis d’imaginer le dispositif des Toulines, dont je parlais tout à l’heure, qui permettent de ne pas lâcher la main du jour au lendemain. Il s’agit non de refaire un service éducatif à la place des départements, mais d’avoir des éducateurs qui restent disponibles pour parler avec les jeunes, les rencontrer, les accompagner dans leur vie de tous les jours. Cette action, nous l’avons lancée puis évaluée sur fonds privés. Et, avec les résultats de cette évaluation, nous sommes revenus voir les conseils départementaux. Cela s’est fait en grande partie dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté mis en place par Olivier Noblecourt. Les conseils départementaux étaient aussi poussés par la puissance publique pour réfléchir à l’après.  Au vu d’une expérimentation évaluée positivement ils se sont dit qu’ils pourraient y mettre de l’argent public, que ce ne serait pas stupide même s’ils n’étaient pas obligés de le faire. Voilà ce qu’est le cercle vertueux de la conjonction privé/public. Il me semble important de noter que nous n’aurions pas pu développer ces initiatives pour les sortants de protection de l’enfance si on n’avait pas à la base cet historique de protection de l’enfance financée par les pouvoir publics. Il y a donc de l’œuf et de la poule partout, mais cela fonctionne ! J’en fais beaucoup la promotion, car il ne s’agit pas de dire que nous faisons appel à des donateurs parce que les pouvoirs publics sont déficients. Cela reviendrait à délégitimer l’action des pouvoirs publics. Il faut que nous arrivions à tirer le meilleur des deux et c’est possible.

 

  • En se projetant sur l’avenir quel est le projet stratégique 2022-2026 ?

 

Nous sommes en plein dans l’écriture du projet stratégique 2022-2026, dont je ne connais pas encore les futures orientations. Mais vu le chamboule-tout provoqué par la pandémie, nous avons pensé indispensable de le construire après une phase d’écoute longue. Elle a été lancée depuis le mois de janvier 2021 auprès des jeunes, des familles, des salariés, des bénévoles, d’un certain nombre d’experts de l’éducation, de partenaires pour ouvrir nos oreilles, et entendre ce qui pouvait éventuellement infléchir notre projet stratégique. D’autres structures nous ont rejoints, Sport dans la Ville, Bayard, l’UNAF, les Maisons Familiales Rurales, pour monter avec nous un questionnaire accessible sur smartphone à destination des jeunes, dont bien sûr ceux de la fondation. Nous avons reçu plus de de 5 000 réponses ! À partir de cela, nous avons fait des focus-groupes pour capitaliser. C’est un gros travail mais il en ressort énormément de choses.

La confiance peut sauver l’avenir

 

  • Vous avez été surpris par les réponses ? 

 

Oui, comme toujours. Je ne sais pas s’il faut appeler cela une surprise, mais nous avons découvert que cette attitude d’écoute mériterait d’être plus permanente. Je fais, bien sûr, la différence avec l’écoute spécifique d’un professionnel par rapport à des jeunes, car c‘est la base du métier. Mais on a compris que cette attention régulière à ce que disent les uns et les autres aujourd’hui n’est pas vraiment là. Cela prend du temps, cela demande de l’énergie, nous le faisions de manière trop exceptionnelle. Ce qui est une surprise, bien que déjà un peu repéré, c’est à quel point la place de la famille est importante pour des jeunes pourtant en grande difficulté familiale. Ce point sort en premier sous deux formes : la famille qui m’aidera à traverser les difficultés et la manière dont je me projette demain en famille.  Cela va plutôt dans le sens de renforcer notre intuition d’il y a vingt ans et de renforcer nos actions. C’est quand même assez frappant que dans l’air du temps où la tendance est à déconstruire, il y a là manifestement quelque chose qui ne se déconstruit pas du tout. Il faut ajouter que les thématiques de l’écologie, du numérique, de l’égalité homme-femme sont absolument dominantes. Ces sujets ne sont plus des options mais attendent des réponses.  

 

  • J’imagine que ces questionnements que vous avez réalisés font partie de la relation de confiance qui fonde votre travail. Plus vous écoutez, plus vous gagnez en confiance. 

 

L’écoute n’est qu’une partie, ce qui importe c’est le dialogue et ce sont les réponses que nous allons apporter, car la condition de la réussite doit être la cohérence. La cohérence des adultes entre le langage qu’ils tiennent sur leurs principes éducatifs et la réalité de la relation éducative qu’ils mettent en place. On sent qu’il y a un regard, une attente qui est extrêmement forte. Il y a aussi sous-jacent un point important sur le rapport à l’autorité et à la violence, aujourd’hui cette thématique envahit les médias mais pas seulement. La qualité du projet éducatif, de la relation éducative est fondamentale, le moindre manquement est repéré tout de suite par les jeunes qui voient l’incohérence. Pour mener à bien notre mission et travailler main dans la main avec les jeunes et les familles, nous devons les écouter, les entendre et agir en conséquence.

La philanthropie facteur de progrès social

 

  • Que pensez-vous du système philanthropique en France ? 

 

Je trouve qu’il permet des relations extrêmement fécondes. Apprentis d’Auteuil est bénéficiaire de dons, de legs, de libéralités, elle est fondation abritante. La relation avec les philanthropes se développe beaucoup par la rencontre de leurs projets et des projets de la fondation. Cette rencontre est vertueuse quand on va jusqu’au bout, c’est-à-dire que l’on vérifie bien qu’il n’y a pas d’alibi. Il n’y a pas chez nous une simple recherche de fonds et chez le philanthrope une arrivée en terrain conquis pour développer son projet indépendamment de ce que nous sommes. C’est la conjonction d’une envie d’engagement, d’un projet et de notre manière de faire, de notre expérience qui fait que l’on développe quelque chose ensemble au sein de l’institution. Je trouve cela fantastique. Le complément que cela apporte à l’action publique qui vient financer une partie significative de nos actions, on l’a décrit, est aussi très vertueux. Moi je suis tout à fait favorable à cela. Nous nous sommes pas mal exprimés sur le travail qu’a fait Sarah El Haïry sur l’évolution de la philanthropie à la française, pour qu’il ne soit pas « jeté avec l’eau du bain », quand certains financements peuvent donner l’impression d’être uniquement à bénéfice fiscal et justement pas une conjonction de projet et d’intuition au service de l’intérêt général. Nous sommes capables de témoigner de ce que cela apporte et de ce qu’il faut en termes de gouvernance pour que cela fonctionne. 

Plus globalement sur la philanthropie, on présente volontiers notre société comme totalement fracturée avec les riches, les pauvres, etc. Nous sommes justement un lieu où ces fractures sont réduites, je ne dis pas qu’elles disparaissent, mais nous sommes des réducteurs de fractures, des chirurgiens orthopédiques parce qu’effectivement des gens qui ont de l’argent, qui ont des moyens intellectuels et financiers, s’approchent de ceux qui ne les ont pas et contribuent à leur permettre de leur trouver une place. De ce fait, nous jouons un rôle, et nous ne sommes pas les seuls, loin de là, mais tous nous jouons un rôle dans la société pour reconsolider ce qui doit l’être et rapprocher ce qui pourrait être assez violemment, voire définitivement distendu. Nous sommes un acteur essentiel du lien social dans la reconstruction d’espace d’espoir pour ceux qui n’en avaient plus.

L’enthousiasme pour moteur

 

  • Un dernier mot peut-être sur l’enthousiasme et la vision positive que porte la Fondation Apprentis d’Auteuil sur ses projets ?

 

Les valeurs qui nous portent et nous inspirent sont fondées sur l’Évangile. Nous sommes une œuvre de l’Église catholique. Notre lecture de l’Évangile est que chaque personne a sa dignité, elle est une puissance vitale qui ne demande qu’à être révélée et accompagnée. L’enthousiasme de la fondation vient du résultat que l’on voit quand un jeune qui ne disait plus un mot, recroquevillé sur lui-même, après avoir été accompagné par des adultes, avec d’autres jeunes, se lève, prend la parole, explique qu’il a retrouvé un sens à sa vie, et qu’il est capable de s’orienter par lui-même dans la société. Ce résultat est d’une force et d’une puissance incroyables.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

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