Leadership au féminin, chapitre 5 : Charlyne Péculier, celle qui offrait un toit aux femmes victimes de violences
Charlyne Péculier est fondatrice et directrice générale l’association Un abri qui sauve des vies, qui offre des solutions d’hébergement temporaire aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Engagée en politique depuis ses 19 ans, elle a même été la plus jeune candidate d’un des grands partis de la majorité présidentielle lors des élections législatives de 2022. Charlyne prouve qu’il est possible de défendre ses convictions et de faire bouger les lignes, peu importe notre âge.
- Lancer un projet intimide, peut-être d’autant plus quand on est jeune et qu’on est une femme. Vous avez lancé la plateforme en seulement une semaine. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Charlyne Péculier : Au départ, je ne mesurais pas l’ampleur du travail que cela exigerait. À l’origine, c’était un projet d’études, monté avec trois autres étudiants en Master 2 de communication, en pleine période de confinement. Notre responsable de Master nous avait demandé d’imaginer une initiative citoyenne pertinente pour cette période particulière. À ce moment-là, les signalements de violences augmentaient et il y avait un manque criant de places pour accueillir les victimes. Nous avons eu l’idée de reproduire l’initiative de prêt d’appartements aux soignants, mais pour les victimes de violences.
Dans nos têtes d’étudiants, tout semblait facile, probablement parce que nous ne pensions pas concrétiser le projet. Mais lorsque notre responsable a déclaré : « En 72 heures, vous pouvez y arriver », ça a été le déclencheur.
Pendant le confinement, l’émission Ça commence aujourd’hui sur France 2 a interviewé Charlyne pour faire connaître cette initiative : « Malgré ma formation en communication, je n’ai pas réalisé que cela allait faire exploser les compteurs, qu’on allait avoir plein de demandes et de propositions de logements, et qu’on allait donc devoir continuer au-delà du confinement. »
- Quelles compétences aviez-vous au début de cette aventure ?
Mes compétences étaient principalement en communication, que nous avions étudiée pendant cinq ans. Cela nous a permis de créer un site Internet et de lancer des actions sur les réseaux sociaux pour mobiliser du monde. Sans la communication, l’association n’aurait pas pu exister, car elle sensibilise et encourage l’engagement du grand public. J’avais également un réseau institutionnel et politique, ce qui a été un atout, comme lorsque le secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes a relayé notre initiative pendant le confinement. Un soutien précieux en termes de crédibilité.
- L’entrepreneuriat permet de donner vie à ses convictions, tout comme la politique. Vous combinez les deux. Que dites-vous aux jeunes qui pensent que leur opinion e vote ne changeront rien ?
Je comprends que les débats politiques soient durs à suivre et que l’actualité semble écrasante. Mais aujourd’hui, beaucoup de jeunes s’informent par des médias alternatifs comme HugoDécrypte. J’entends souvent dire « je ne suis pas légitime pour voter, car je ne comprends pas la politique ». Dans ces cas-là, je pousse la personne à discuter d’un sujet concret qui la touche, comme la lutte contre le racisme ou la discrimination. La politique, c’est avoir une opinion, et chacun de nous en a une.
- Si vous pouviez proposer une loi pour protéger les femmes, laquelle serait-elle ?
Les femmes enceintes bénéficient d’une protection dans le cadre professionnel, mais elles la perdent après l’accouchement, malgré la difficulté de la période post-partum. Nous pourrions prolonger cette protection pendant une durée définie après la naissance. Cette idée m’a été inspirée par Pauline Martinot, médecin et experte sur le sujet, qui rappelle que la première année après l’accouchement est celle où le risque de suicide est le plus élevé pour les femmes.
- Avec Un abri qui sauve des vies, vous avez pris les devants pour améliorer les choses. Pouvez-vous partager une histoire marquante de l'association ?
Charlyne Péculier : Je me souviens de notre tout premier hébergement, que j’ai moi-même géré vers la fin du premier confinement. Une femme victime de violences intrafamiliales a appelé le numéro de l’association, qui était mon téléphone personnel à l’époque. Je lui ai trouvé un logement, j’ai récupéré les clés et fait l’état des lieux avant de l’accueillir avec son fils. Elle n’allait vraiment pas bien, évidemment. Mais quand je suis revenue un mois plus tard pour l’état des lieux de sortie, elle n’était plus la même : elle souriait et avait même changé de couleur de cheveux. Ce moment m’a fait réaliser la responsabilité de l’association et l’importance de continuer.
Joanna Ducerf, responsable engagement : L’histoire qui m’a le plus marquée est celle d’une extraction. La victime vivait cloîtrée chez elle car son mari l’exigeait, elle ne sortait que pour ses cours de français. Notre coordinatrice d’aide aux victimes a organisé une extraction avec la police. Finalement, cette femme a trouvé une opportunité pour fuir en se réfugiant dans une supérette. Le stress est intense puisque le mari peut débarquer à tout moment. Grâce à notre aide, et à son courage, elle a pris un taxi, puis un train vers Paris. Cette histoire montre l’élan de solidarité qui caractérise notre association.
- Quels sont les besoins actuels de l'association et comment peut-on contribuer ?
Charlyne Péculier : Nous avons toujours besoin de bénévoles : pour le suivi des personnes abritées, pour la gestion des hébergements et pour être en relation avec les abritants, qui offrent un espace (une chambre, un appartement) pour une durée qu’ils déterminent. Nous développons aussi le mécénat de compétences avec Day One, afin d’accueillir des salariés qui pourraient nous aider en communication ou pour la recherche de financement par exemple.
- Avez-vous un livre, film ou podcast à recommander sur la cause des femmes ?
Charlyne Péculier : Le podcast Le Cœur sur la table de Victoire Tuaillon déconstruit les schémas traditionnels de l’amour.
Joanna Ducerf : À propos d’amour de Bell Hooks explore les relations amoureuses et définit l’amour comme un acte, non comme un sentiment. Je recommande aussi Le coût de la virilité de Lucile Peytavin, qui analyse le lien entre violence et genre.
Merci à Charlyne Péculier et Joanna Ducerf pour leur travail formidable avec Un abri qui sauve des vies. Pour vous, chères lectrices et chers lecteurs, sachez que vous pouvez également offrir un abri ou demander un abri.