Climat : Notre affaire à tous attaque l'État français en justice
L’ONG estime que les objectifs de réduction des gaz à effet de serre du pays sont insuffisants, et qu’ils ne reflètent ni sa responsabilité historique dans le changement climatique, ni ses capacités économiques à agir.
« Vous aimez le gâteau ? ». C’est avec cette question que débute la communication de Notre affaire à tous annonçant le recours qu’elle dépose contre l'État français. L’objectif est de démontrer qu’en partageant le niveau de gaz à effet de serre qu’il est possible d’émettre au niveau mondial pour limiter le changement climatique à 1,5 degré équitablement, le pays ne prend pas sa « part juste ». Pour l’évaluer, sont comptabilisées la responsabilité historique du pays, c’est-à-dire ses émissions depuis 1990, et « ses capacités économiques actuelles à agir ».
Concrètement, Notre affaire à tous dépose un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, en s’appuyant sur le droit national, européen, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou encore un avis consultatif de la Cour internationale de justice portant sur les obligations des États en matière de changement climatique. L'ONG demande à la France de renforcer les politiques climatiques avec des « mesures concrètes, crédibles et plus ambitieuses pour atteindre ses objectifs », mais aussi de renforcer les objectifs eux-mêmes – soit une réduction des émissions de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 – puisqu'elle ne juge pas cette cible compatible avec l’objectif de 1,5 ° et « la part juste de la France ».
La quantité d’émissions restantes de la France négative
Notre Affaire à tous a calculé jusqu’à combien la France pouvait émettre de gaz à effet de serre, pour que l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C soit atteint à l’échelle mondiale.
Proportionnellement à la taille de sa population, le pays peut encore émettre 2,83 gigatonnes de gaz à effet de serre en émissions nettes, c’est-à-dire en intégrant les émissions absorbées par les puits de carbone naturels, comme les forêts ou les océans.
En prenant en compte sa contribution au changement climatique par rapport aux autres pays depuis 1990, la quantité d'émissions encore possibles tombe à 1,52 gigatonne de gaz à effet de serre.
Et en intégrant au calcul le « niveau de développement économique », mesuré par le PIB par habitant, cette quantité devient est négative : -7,57 gigatonnes. En effet, elle fait partie des États qui « disposent des moyens économiques les plus importants » pour réduire leurs émissions et doit donc le faire « plus vite et plus fortement que les autres », justifie l'ONG.
« À titre de comparaison, entre 2015 et 2022, les émissions territoriales françaises atteignaient 2,31 Gt CO₂ », précise Notre affaire à tous.
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Un ralentissement fort de la baisse de nos émissions
L’organisation appelle donc « en premier lieu » la France à « réduire drastiquement ses émissions territoriales », c’est-à-dire celles directement émises sur son sol. « Les mesures prises à ce jour ne sont pas du tout à la hauteur », ajoute-t-elle, « tant en termes de planification que de moyens budgétaires alloués ».
Alors qu’une baisse des émissions territoriales de 5 % par an est nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, « les émissions n’ont baissé que de -1,8 % en 2024 et les premières estimations pour 2025 annoncent -0,8 % », rappelle Notre affaire à tous, en s’appuyant sur l’évaluation du Citepa, un organisme indépendant.
L’ONG mentionne également la « fragilisation des puits de carbone français, mise en lumière par le HCC [Haut conseil pour le climat] ».
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Des financements internationaux
Elle appelle également la France à réduire ses émissions importées, celles qui sont nécessaires à la production à l’étranger de biens consommés en France, et à « réglementer les entreprises françaises ». Elle mentionne à ce titre les débats actuels sur la directive sur le devoir de vigilance (CS3D), texte européen qui rend les grandes entreprises responsables de leurs impacts sur l’environnement et les droits humains. Le pays porte une position « loin d’être ambitieuse » dans ces discussions, pointe Notre affaire à tous.
Enfin, la France doit « contribuer de manière ambitieuse aux financements internationaux et à la transition juste à l’étranger via des dons » envers les pays qui portent moins de responsabilité, notamment historique, dans le changement climatique. « Alors que la plupart des pays en développement sont déjà endettés envers les pays développés, les financements par prêts ne font qu’empirer la situation et profitent aux pays créanciers », souligne Notre affaire à tous.
Célia Szymczak 