L’ANTISÈCHE- Au fait, c’est quoi une fondation actionnaire ?
La fondation actionnaire est un modèle issu d’Europe du Nord qui allie mission économique et philanthropique. Encore balbutiante en France, la fondation actionnaire connaît toutefois un regain d’intérêt porté les évolutions du droit.
Une fondation actionnaire est une fondation à but non lucratif qui détient la totalité ou une partie des actions ainsi que la majorité des droits de vote d’une entreprise industrielle ou commerciale.
Son but est double, à la fois philanthropique et économique. D’une part, elle protège l’entreprise dont elle détient les parts et pérennise sa mission et ses valeurs, en participant aux décisions de la société en fonction de son droit de vote. D’autre part, elle soutient des causes d’intérêt général grâce aux dividendes qui lui reviennent.
Constituée par la volonté des actionnaires initiaux de l’entreprise qui lui font don de leurs titres, la fondation actionnaire ne peut ensuite, en tant que fondation, être ni vendue ni cédée.
Son fonctionnement repose sur deux possibilités : soit la fondation actionnaire gère directement l’entreprise, soit elle décide de créer une entreprise tierce chargée de la gestion pendant que la fondation se concentre sur la philanthropie.
Chaque année, la fondation actionnaire doit déterminer le montant qui sera investi dans le développement de l’entreprise ainsi que le montant qui sera consacré à la fondation pour financer des actions d’intérêt général.
Un modèle venu du Nord
Le modèle de la fondation actionnaire est né dans les années 1920 en Europe du Nord, là où il s’est particulièrement développé. En 2017, 1360 fondations actionnaires étaient recensées au Danemark. Les entreprises détenues par des fondations actionnaires représentaient 54 % de la capitalisation de la bourse de Copenhague, 10 % de la richesse nationale et 25 % des exportations du pays. Chaque année, les dons des fondations actionnaires danoises dépassent le milliard d’euros. Parmi les entreprises danoises détenues par une fondation actionnaire, on retrouve entre autres le brasseur Carlsberg, l’entreprise pharmaceutique Novo Nordisk ou encore le fabricant de fenêtres de toit Velux.
En Allemagne, le modèle a conquis près de 1 000 entreprises parmi lesquelles Bosch, le groupe de média Bertelsmann et le fabricant de jouets Playmobil. En Suède, un nombre similaire de fondations actionnaires existent, notamment chez Electrolux et Seb. Elles sont également présentes en Suisse, par exemple chez le fabricant de montre Rolex, détenu à 100 % par la fondation Hans Wilsdorf, ou les laboratoires Sandoz.
Au-delà des grandes entreprises, les fondations actionnaires se développent également au sein de PME, de start-ups en situation de croissance qui veulent s’assurer de ne pas dénaturer leur mission à la suite des divers levées de fonds ou encore d’entreprises de l’économie sociale et solidaire qui cherchent à protéger leur mission d’intérêt général avec une gouvernance plus pérenne.
Comme avantage pour les entreprises, la fondation actionnaire permet de sécuriser leur actionnariat, de développer des stratégies à long terme, de mieux partager la valeur et de conserver un ancrage local.
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En France, UN SYSTème réservé aux cessions et aux transmissions d’entreprise
Bien qu’ancien, le modèle est peu répandu et relativement méconnu en France, où une dizaine d’entreprises présentent une fondation actionnaire à leur capital.
Il a toutefois bénéficié d’un coup de projecteur médiatique en 2022, lorsque le fondateur de l’entreprise californienne Patagonia a décidé de transférer 100 % des parts de la société à un fonds de dotation et à une organisation à but non lucratif dédiés à la lutte contre la crise environnementale et à la protection de la nature. « La Terre est maintenant notre seul actionnaire », avait-il alors déclaré.
Parmi les pionniers sur le territoire français, se trouvent les laboratoires Pierre Fabre, le groupe de presse la Montagne, le groupe d’agroalimentaire Avril et l’institut Mérieux.
Ce dernier a créé sa fondation en 2005, à la suite de l’adoption de la loi dite Dutreil, en faveur des petites et moyennes entreprises. Ce texte a permis un changement important en autorisant la détention de parts de sociétés commerciales par une fondation d’intérêt public, jusqu’alors proscrit par le ministère de l’Intérieur et le Conseil d’État, dans le but avancé d’éviter la dislocation de petites entreprises lors des successions et de réconcilier utilité publique et choix entrepreneurial.
Ce cadre législatif est cependant réservé aux cessions et aux transmissions d’entreprises, en excluant la création d’entreprise dont l’actionnariat serait détenu par une fondation. Le processus requiert de plus l’accord des enfants des actionnaires, héritiers présupposés des parts transférés à la fondation.
Un statut qui reste à définir
Contrairement aux pays d’Europe du Nord qui reconnaissent dans leurs droits la double mission philanthropique et juridique des fondations actionnaires, il n’existe toutefois pas de statut juridique spécifique à la fondation actionnaire en France.
Les fondations actionnaires peuvent être créées au choix sous la forme de fondation reconnue d’utilité publique (Frup), de fonds de dotation ou, depuis la loi Pacte de 2019, de fonds de pérennité.
Dans les cas de la Frup et du fonds de dotation, seule la mission d’intérêt général est reconnue officiellement et non la mission de protection de l’entreprise. Le fonds de pérennité quant à lui a d’abord pour but principal de contribuer à la pérennité économique de l’entreprise tandis que sa fonction philanthropique revêt un rôle secondaire.
Malgré l’absence de statut spécifique, le modèle suscite un regain d’intérêt en France, notamment porté par le cabinet de conseil Prophil qui milite en sa faveur et qui a créé la communauté « De Facto ». Cette dernière rassemble des entrepreneurs ayant transmis leurs entreprises à des fondations actionnaires ou étant désireux de le faire. Le mouvement a notamment contribué à l’éclosion du statut de fonds de pérennité introduit par la loi Pacte.
En majorité, les fondations actionnaires se forment sous l’impulsion d’entrepreneurs ou de familles qui ont intégré des considérations sociales et philanthropiques à la gestion de leurs entreprises. Si le modèle cherche à rendre le capitalisme plus vertueux, il n’est pas exempt de défis. Parmi eux, celui d’arbitrer entre les budgets dédiés à l’entreprise et ceux dédiés à l’action philanthropique. La pérennité économique de l’entreprise peut également se retrouver en concurrence avec les valeurs de la fondation. C’est ce que vit par exemple l’actionnariat de Playmobil, contraint à décider d’un plan de restructuration en 2023.
Élisabeth Crépin-Leblond