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Par Carenews INFO - Publié le 20 février 2020 - 17:52 - Mise à jour le 21 février 2020 - 17:27
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3 questions à Pascale-Dominique Russo sur la « souffrance en milieu engagé »

La journaliste spécialiste de l’ESS Pascale-Dominique Russo sort aujourd’hui « Souffrance en milieu engagé - Enquête sur des entreprises sociales » (Editions du faubourg). Elle dévoile à Carenews les grandes lignes de son enquête et lance l’alerte sur la souffrance des salariés d’associations, de mutuelles et d’entreprises sociales où règne une forme de « servitude volontaire » et une pression économique très forte.

Crédit : DR.
Crédit : DR.

Journaliste aujourd’hui à la retraite, j’ai travaillé pendant 20 ans sur des sujets liés à l’ESS. Mon dernier poste consistait à rédiger une lettre bimensuelle sur la santé au travail dans les associations. Elle était éditée par Chorum, une petite mutuelle paritaire. J’y suis restée huit ans, ce qui m’a donné l’occasion d’y observer de nombreux dysfonctionnements dans le mode de gouvernance et des cas de souffrance au travail. Puis, ayant quitté la mutuelle, j’ai commencé à enquêter et à recueillir des témoignages de syndicalistes et de spécialistes de la mutualité. Je me suis demandée si ce que j’observais en termes de souffrance au travail, de management approximatif, faisait système. Puis j’ai enquêté sur la MACIF, Emmaüs Solidarité, Emmaüs France, Emmaüs international, France terre d’asile et le groupe SOS. 

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur les révélations de ce livre ?

Il y en a un certain nombre. Je montre qu’à Emmaüs Solidarité, la volonté de répondre à l’urgence de la crise de la pauvreté peut être à l’origine de difficultés réelles pour des travailleurs sociaux. À France terre d’asile, qui est engagée auprès des populations migrantes, les relations sociales en interne sont parfois rudes et les membres du conseil d’administration se désintéressent la plupart du temps des cas de burnout. En ce qui concerne Emmaüs France et Emmaüs international, d’anciens salariés ont témoigné de déséquilibres démocratiques importants. Dans le groupe SOS, malgré des valeurs sociales affichées, l’organisation est très verticale, avec des managers sous la coupe du patron Jean-Marc Borello, assimilé par certains à un « gourou ». C’est une organisation où les relations sociales sont tendues. Dans toutes ces associations, les salariés se sentent très impliqués. 

À la MACIF (dont la direction n’a pas souhaité répondre à mes questions), les témoignages et les études font état d’une grande souffrance au travail. Elle a longtemps offert des conditions de travail quasi idéales. Désormais, l’adaptation à la modernisation, à la concurrence se fait sous une forme brutale. Il y a même eu des tentatives de suicide. Pourtant, avec ce qui s’est passé à France Télécom, on ne peut plus faire semblant de ne pas savoir. Partout, il ressort que la fonction d’employeur est souvent un impensé de ces structures qui se vivent avant tout comme militantes. Pourtant, Il serait souhaitable que l’ESS soit en avance sur la prévention des risques psychosociaux. 

  • Quel est le problème structurel dans l'ESS ?

Les salariés sont les grands oubliés de la gouvernance associative et mutualiste. Les mutuelles font face au contexte de rachats et de regroupements. Les associations, elles, opèrent dans un contexte de fragilité où elles sont mises en concurrence par le système des appels d’offres. Tout est fait pour que les grandes structures les remportent. Il faut dire que la législation européenne considère que les associations sont des entreprises commerciales. Cela favorise les plus gros, pas forcément les meilleurs. Le directeur général de l’association France terre d’asile, Pierre Henry le reconnaît : « que l’on fasse du secteur social un secteur concurrentiel comme un autre est à l’évidence un problème ». Il se sent toutefois obligé de prendre en compte cette donne.

Le problème, c’est que ce sont les salariés qui en font les frais : les rythmes de travail exigés sont frénétiques. Dans les plates-formes d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) ou dans les structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA), on estime, qu’en moyenne, un salarié doit recevoir 300 à 400 personnes par jour… Du point de vue des pouvoirs publics, les associations sont devenues des sous-traitantes, alors qu’elles étaient avant des partenaires. C’est une logique déplorable. Malgré tout, il est possible d’enrayer la souffrance. Greenpeace, a connu trois cas de burnout au moment de la COP21. Sous l’impulsion d’un lanceur d’alerte syndicaliste, le directeur Jean-François Julliard a alors décidé de créer un poste de DRH et une cellule d’écoute psychologique où les salariés peuvent se rendre à tout moment, gratuitement.

Propos recueillis par Hélène Fargues 

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