Fiore Longo (Survival) : « S’engager pour les peuples autochtones, c’est s’engager pour l’avenir de toute l’humanité »
Violations des droits humains, spoliation, déforestation… Les droits des quelque 370 millions d’autochtones dans le monde sont bafoués, entre autres, par de nombreux gouvernements. Face à la pandémie de Covid-19, ils sont d’autant plus vulnérables, nous explique Fiore Longo. Elle dirige la branche française de la seule organisation exclusivement consacrée à la défense des peuples autochtones : Survival International.
- Comment les droits des peuples autochtones sont-ils menacés dans le monde ?
La majorité des gouvernements et des citoyen·ne·s considèrent les peuples autochtones comme étant primitifs, pas développés. Au nom de la civilisation, ils leur imposent donc leurs ambitions de développement, et en même temps, ils convoitent leurs terres au nom du profit. La situation est particulièrement critique au Brésil et en Inde. Le gouvernement Bolsonaro revient en arrière sur toute la législation des droits des indigènes, et met en place ce qui s’apparente pour nous à un génocide, avec l’élimination des peuples autochtones en même temps que celle de la biodiversité. Le nombre d'assassinats des leaders augmente, la situation est vraiment terrible. On pourrait dire la même chose en Inde avec le gouvernement Modi, et ses lois représentant un véritable retour en arrière pour les peuples autochtones.
Et parmi les différentes communautés, les plus vulnérables sont les peuples non contactés, par exemple ceux vivant dans la forêt amazonienne. Ils n’ont aucun contact avec la société majoritaire et n’ont donc pas développé un système immunitaire capable de faire face aux maladies virales. En général, quand il y a un contact avec la société majoritaire, plus de la moitié du peuple autochtone rencontré meurt. Les chasseurs-cueilleurs, étant dépendants de la forêt, sont eux particulièrement touchés par la déforestation et les vols de terre. Nomades, ils ne pratiquent pas l’agriculture et ont par conséquent besoin de beaucoup d’espace pour vivre.
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Les communautés autochtones sont-elles davantage à risque face au Covid-19 ?
Les seuls peuples autochtones relativement protégés du Covid-19 sont ceux qui ont encore le contrôle de leur territoire. Les Orang Rimba en Indonésie ou encore des villages adivasi en Inde ont ainsi pu se confiner dans leurs forêts. Ceux qui ne disposent pas de leurs droits territoriaux sont bien plus exposés. Au Canada ou en Australie par exemple, beaucoup de peuples autochtones ont été expulsés de leurs terres et privés de leurs moyens de subsistance. Ils ont donc une santé plus fragile, ce qui les expose particulièrement au virus. Nous constatons également des problèmes de santé publique. Les communautés encore sur leurs terres sont loin des services de santé et ne disposent pas forcément de moyens de transport. Les systèmes de santé spécifiques ont eux fait l’objet de tentatives — parfois fructueuses — de destruction, notamment en Amérique latine. Tout cela rend les peuples autochtones beaucoup, beaucoup plus vulnérables face au Covid-19 que la société majoritaire.
Mais les risques sont encore autrement plus élevés pour les peuples non contactés, puisque leur système immunitaire n’est aucunement armé contre le virus. Nous sommes particulièrement inquiets de la situation au Brésil, où des autochtones ont déjà été contaminés. Le président Bolsonaro vient de nommer un missionnaire évangélique à la tête du département gouvernemental pour les peuples non contactés. Les dernières semaines, des missionnaires fondamentalistes ont précisément affrété un hélicoptère pour aller les « convertir ». C’est déjà grave en temps normal, mais c’est encore plus tragique dans le contexte actuel de pandémie.
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Comment Survival vient-elle en aide aux peuples autochtones ?
Tout d’abord, nous nouons des partenariats avec eux. Cela nous permet de leur offrir, via notre projet Voix autochtone, une plateforme grâce à laquelle ils peuvent s’adresser au monde, ainsi que de mener sur place des enquêtes concernant la violations de leurs droits. Nous pouvons ensuite faire des campagnes pour informer les publics. Car le cœur du sujet, c’est vraiment de changer radicalement la manière dont l’opinion publique regarde les peuples autochtones.
La principale et plus importante manière de les aider est de démarquer leurs territoires, sans lesquels ils ne peuvent pas vivre, de faire pression sur les gouvernements pour faire reconnaître et/ou respecter leurs droits territoriaux. Et si nous dénonçons la déforestation, nous pensons que les peuples autochtones sont les meilleurs défenseurs de la nature. C’est eux qui devraient contrôler leurs territoires, pas les associations ou les gouvernements, ce que ne fait que confirmer la pandémie actuelle.
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Quelle stratégie de lobbying utilisez-vous pour cette cause qui peut parfois sembler lointaine ?
Quand l’association est née, en 1969, nous envoyions des lettres. Avec les évolutions des façons de communiquer, nous utilisons désormais davantage les réseaux sociaux. La caractéristique principale de Survival, c’est que nous essayons toujours de donner de la place aux voix et aux points de vue des peuples autochtones. Nous ne voulons pas les représenter, nous souhaitons leur offrir une plateforme pour s’adresser aux sociétés majoritaires. Mais nous continuons à faire du lobbying classique en écrivant des lettres et en rencontrant les gouvernements.
Chez Survival, nous expliquons que la question des peuples autochtones devrait tous nous toucher, d’autant plus quand nous sommes dans une démarche écologiste. 80 % de la biodiversité du monde se trouve dans les territoires autochtones, et ce sont ces peuples qui en sont les meilleurs protecteurs. Ce sont aussi eux qui représentent le mieux la diversité sociale. S’engager pour les peuples autochtones, c’est s’engager pour la nature et la diversité, l’avenir de toute l’humanité.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau