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Par Carenews PRO - Publié le 19 juin 2020 - 09:45 - Mise à jour le 19 juin 2020 - 09:46
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Pierre-René Lemas (France Active): « Le solidaire n’est pas qu’un slogan »

Association « qui agit en faveur des entrepreneurs engagés », France Active accompagne près de 60 000 entreprises par an et a mobilisé plus de 370 millions d’euros rien qu’en 2019. Face à la crise, son rôle de financeuse de l’économie sociale et solidaire est plus que jamais essentiel. Le monde de la finance traditionnelle sera-t-il au rendez-vous pour soutenir le secteur ? Pierre-René Lemas, le président de France Active, a répondu à nos questions.

Pierre-René Lemas, président de France Active. Crédit photo : DR.
Pierre-René Lemas, président de France Active. Crédit photo : DR.
  • Comment se portent les entreprises accompagnées et financées par France Active ? 

Les entreprises de l’ESS souffrent comme les autres. Il me semble qu’il n’y a pas de différence à ce stade avec les entreprises de l’économie « classique ». Leurs problèmes, qui découlent du confinement, sont de même nature : difficultés de trésorerie, commandes en berne, problèmes d’acheminement… Au global, 40 % des entreprises que nous accompagnons sont en grave difficulté.

Dans l’ESS en revanche, on observe des différences très sensibles par secteur : le monde associatif ne va pas bien du tout, car les aides financières accordées par l’État ne répondent pas toujours aux besoins. Beaucoup de ces associations vivent de subventions. Un petit musée associatif en province qui est resté fermé pendant deux mois a quand même dû payer les salaires, entretenir les lieux, mais sans l’argent de la billetterie. Les subventions ont donc du mal à faire la différence, d’autant plus que les collectivités locales sont aussi dans une situation compliquée. 

Et puis, il y a ceux dont on ne parle pas beaucoup en ce moment. Ce sont toutes les structures qui ont été en surchauffe pendant la période de crise sanitaire : par exemple, dans l'économie circulaire et la production de fruits et légumes, certaines ont fait face à une hausse de la demande, mais sans les moyens ou les financements adéquats. 

L’ESS s’interroge sur la reprise. Les pouvoirs publics — l’État, les régions, la BPI — ont mis beaucoup d’argent pour remédier aux problèmes de trésorerie via des prêts gratuits garantis par l’État avec la fameuse aide de 1 500 euros dont l’ESS a fini par bénéficier. Certains vont devoir changer de modèle… Des collectifs qui fabriquaient des masques sont aujourd’hui confrontés à un manque de débouchés, par exemple.

Dans l’immédiat, le problème n’est plus celui de la trésorerie. On entre dans une deuxième phase où le problème est plutôt celui de la consolidation du secteur et des entreprises elles-mêmes. Comment allons-nous aider ces entreprises à avoir des fonds propres, des quasi fonds propres ou des prêts participatifs ? Comment aider les entreprises dès maintenant à revoir leur plan d’affaires, à redéfinir leurs objectifs, leurs perspectives à trois ans et, si besoin, faire évoluer leurs activités ? C’est le sens de la mobilisation que nous avons engagée.

  • Quelles sont les principales solutions que vous avez déployées pour faire face à la crise ?

France Active met en œuvre deux missions principales : nous garantissons jusqu’à 80 % des prêts bancaires pour les toutes petites entreprises que nous aidons à créer ou les entreprises de l’économie sociale. Notre deuxième métier est celui d’investisseur : nous disposons d’une société d’investissement (France Active Investissement) qui apporte des investissements, des fonds propres aux entreprises de l’ESS.

Face à la crise sanitaire,  nous avons tout de suite mis sur pied une « fusée à trois étages ». Dès le mois de mars, nous avons maintenu les garanties et avons aidé les entreprises à négocier avec les banques des rééchelonnements de prêts. 

Le « deuxième étage » que nous mettons en place maintenant consiste à analyser les entreprises avec l’aide de nos 350 experts et 40 associations sur le territoire. Nous avons mis en place un plan de relève solidaire : nous accordons aux entreprises des prêts plus longs, gratuits, sur 12-18 mois qui peuvent aller jusqu’à 100 000 euros. Ces prêts relais vont permettre d’accéder au troisième étage de la fusée, pour atteindre le financement du capital. Avec les régions et nos partenaires privés, nous avons réussi à récolter beaucoup d’argent. Nous disposerons à la fin du mois d’une enveloppe globale de 30 millions d’euros. 

Pour nous, la vraie question est maintenant d’arriver au « troisième étage » de la fusée. Nous voulons créer un « club d’investisseurs », une coalition au niveau national et régional pour boucler des tours de table avec les banques et les assets managers. Nous visons les 200 millions d’euros. Ca serait pour le secteur un premier élément de réponse complémentaire à ce que fait l’État, qui a lancé une grande opération pour répondre aux besoins de trésorerie.

La dernière solution concerne la finance solidaire : grâce à France Active Investissements, nous sommes le premier collecteur d’épargne solidaire. Nous allons donc aussi essayer à la rentrée de la développer davantage. L’encours de l’épargne solidaire a atteint 15 milliards d’euros en 2019. C’est une progression formidable, mais je suis persuadé que le potentiel est bien plus important que ça. Le livret A représente à lui tout seul près de 300 milliards d’euros... ça laisse de la marge ! 

  • Quelle est votre stratégie pour renforcer les entreprises en fonds propres ?

Pour l’instant, on rentre au capital des entreprises, par le biais de France Active Investissement. Ou alors nous octroyons des prêts participatifs, à long terme. Nous sommes donc prêts à investir dans les entreprises, mais nous allons faire des tours de table avec des investisseurs institutionnels comme Mirova, pour qu’ils investissent aussi dans l’ESS. Nous faisons le pari qu’en faisant des tours de table de ce type, cela permettra de consolider les entreprises en question, tout en répondant aux besoins des investisseurs. 

Si certains investisseurs institutionnels ont une tendance au green ou social washing, ils sont pour beaucoup en train de prendre conscience de l’intérêt économique de ces investissements. L’ESS n’est pas de l’addition de bénévolence. Le modèle économique de l’ESS n’est pas différent, c’est sa finalité qui est différente. 

  • Pensez-vous que la crise soit une opportunité pour l’ESS ? 

Je crois que si tous les acteurs se mobilisent – pouvoirs publics, collectivités locales, les régions, les associations, les réseaux de l’ESS – c'est possible. En revanche, je suis sûr que l’ESS est une réponse très forte aux difficultés qu’on a pu rencontrer pendant la période. Car elle est par nature collective et proche des gens. À France Active, nous sommes en train de rebâtir notre projet stratégique. Nous allons évoluer vers une cible encore plus territorialisée. Déjà, depuis deux ans, nous avons priorisé les zones les plus difficiles, l’habitat social... Le social et l’écologique ne sont pas antinomiques. On voudrait donc aller vers plus de développement durable. 

France Active est née en 1988 à l'initiative de Claude Alphandéry. Son projet était moderne : il consistait à dire qu’une des réponses possibles au chômage, c’est la création d’entreprise. Historiquement, notre cible prioritaire est donc le public le plus éloigné de l’emploi que nous accompagnons vers la création d’entreprise. Ce sont des emplois pérennes, puisque à trois ans, 90 % des entreprises sont viables. 

Notre logique, c’est aussi de faire levier sur la finance. On accepte l’économie telle qu’elle est car nous ne pouvons pas faire autrement, mais on la fait évoluer vers un objectif social. On finance de cette manière 7500 entreprises par an, ce qui permet de créer 40 000 emplois. Ce modèle-là est un modèle d’avenir et peut entraîner l’économie dans son ensemble.

Je pense en effet qu’on sous-estime le poids de l’ESS. Elle n’est pas « un truc à part » financé par la bienveillance collective et l’argent public. C’est une économie porteuse de sens, dont la finalité est sociale et /ou écologique, mais aussi, avant tout, un moteur de création de valeur. La crise aura au moins fait prendre conscience que le solidaire n’est pas qu’un slogan.

Propos recueillis par Hélène Fargues 

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