Ces entreprises, coopératives et associations qui agissent pour rendre le foncier et le logement plus solidaires
Une soixantaine d’organisations de « l’immobilier social et solidaire » étaient réunies à Paris le 27 novembre, à l’occasion d’un événement. L’occasion de parler de leurs modèles destinés à mettre l’immobilier et le foncier au service de l’utilité sociale. Reportage.
Des architectes, des propriétaires d’immeubles, des entreprises qui réhabilitent des bâtiments… Ce jeudi 27 novembre à Paris, une soixantaine d’acteurs de l’immobilier se sont réunis pour présenter leurs diverses activités, échanger et s’interroger sur leurs pratiques. Cela pourrait être un rendez-vous professionnel classique, si la rencontre n’était pas portée par des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) agissant pour mettre l’immobilier au service de « la justice sociale, la solidarité et l’innovation sociale ».
Plutôt qu’un salon immobilier, les organisateurs se sont donc réunis pour une « Kermesse de l’immobilier social et solidaire » ou « Kiss ». Parmi les acteurs présents, il était possible de découvrir des foncières solidaires, c’est-à-dire des sociétés réhabilitant et gérant des bâtiments ou des terres dans un objectif d’utilité sociale, des associations agissant pour l’accès au logement ou encore des architectes souhaitant imaginer des projets en limitant au maximum leur impact environnemental.
Multiplier les fermes en agriculture biologique
Fermes en vie (Feve) est l’une de ces organisations. Cette entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus) basée à Bordeaux, souhaite « accélérer la transition agroécologique et faciliter le renouvellement des générations agricoles », explique Paul-Antoine Raulin, son responsable investisseurs. Comme il le rappelle, la moitié des agriculteurs qui exerçaient en 2020 seront partis à la retraite d’ici à 2030
Or, le prix des terres est un frein à l’installation de ceux et celles qui souhaitent les remplacer. Pour y répondre, Feve lève des fonds auprès d’investisseurs et de particuliers afin d’acheter des terres et des bâtiments agricoles. Elle les loue ensuite à des agriculteurs pour une durée de 25 ans à un tarif « bien moins élevé qu’une échéance de remboursement de prêt », assure Paul-Antoine Raulin. Il est aussi possible pour les agriculteurs d’acquérir plus tard les terres qu’ils cultivent

Enjeu majeur : les fermes doivent être exploitées selon des principes d’agroécologie, notamment en agriculture biologique, avec un travail minimal du sol, en favorisant la biodiversité et en assurant une gestion de l’eau durable. Cela est précisé dans une « clause environnementale » inscrite dans le bail rural.
Depuis sa création, Feve a ainsi financé 42 fermes « de taille intermédiaire », un peu partout en France, à l’exception du nord. Les agriculteurs y pratiquent de l’élevage, de la grande culture, de l’arboriculture, ou encore du maraîchage.
Revitaliser les villages ruraux
Un peu plus loin, le stand de Villages vivants affiche des photos d’un café-boulangerie de Saône-et-Loire ou d’un atelier d’artisan en Ardèche. La mission de la société coopérative, également labellisée Esus, est d’acheter et de rénover des locaux dans des zones rurales du Sud-Est de la France, pour contribuer à la revitalisation des villages.
Dans ce but, les espaces sont loués des porteurs de projets collectifs ayant une activité d’utilité sociale. Locaux associatifs, librairie, tiers-lieux… À ce jour, Villages vivants a contribué à l’ouverture de 30 établissements aux fonctions parfois très différentes et souvent plurielles. Elle offre aussi un accompagnement à des collectivités ou des collectifs dans des projets de développement local, et des formations sur ses sujets de spécialité.
« Le plus souvent, les porteurs de projet font face à un blocage financier dans leur projet », explique Gaëlle Cozic, chargée d’accompagnement des territoires pour Villages vivants. La coopérative les appuie donc dans leur démarche. « Nous ne sommes pas juste un bailleur », insiste-t-elle.
Des réhabilitations écologiques
Feve et Villages vivants sont des foncières solidaires : elles achètent des terrains ou des locaux pour les proposer à la location, dans un objectif d’utilité sociale. C’est aussi le cas de Bellevilles, une société agréée Esus qui « voit l’immobilier et la finance comme un outil au service des territoires », comme le résume Coline Laugraud, responsable de programme.
En pratique, Bellevilles gère donc une trentaine de lieux différents comme des commercies, tiers-lieux ou logements à Paris, Toulouse et Marseille. Les loyers pratiqués sont en moyenne 20 % plus bas que les prix du marché pour les locaux commerciaux, notamment pour « limiter la spéculation », assure Coline Laugraud.
Dans ses travaux de réhabilitation des bâtiments, la foncière recherche un impact économique mais aussi social et écologique, par exemple en impliquant des entreprises employant des personnes très éloignées de l’emploi, dites d’insertion, ou des structures locales. « Nous nous intéressons de très près aux territoires, pour s’y insérer le mieux possible, en menant un travail de proximité avec les collectivités et les parties prenantes locales », souligne la responsable.
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Récemment, la foncière a réhabilité deux anciennes halles industrielles en Seine-Saint-Denis, pour créer un espace de travail à destination des acteurs de l’ESS. L’espace a été rénové par la coopérative d’architecture Bellastock – aussi présente à l’événement -, dans une démarche de construction particulièrement frugale, reposant au maximum sur des matériaux réemployés.
Loger les étudiants
Bellevilles a également réhabilité l’une des deux résidences étudiantes gérées par L’Aclef. Cette association soutient des jeunes aux ressources limitées, en leur sous-louant des appartements – individuels ou en colocation -, qu’elle loue elle-même à des bailleurs sociaux. Le loyer est ainsi en moyenne 30 % moins coûteux que les prix du marché.
Un enjeu majeur. « Le public étudiant est un peu exclu du parc social, parce que les temporalités sont longues et il ne connaît souvent pas la façon dont ça fonctionne », constate Emilia Imadache,.
Cette responsable du développement nous invite à jouer à un jeu de l’oie imaginé par l’association pour faire connaître les difficultés rencontrées par les étudiants. , Les visiteurs peuvent par exemple apprendre que 12 à 17 % d’entre eux déclarent abandonner leurs études faute d’accès au logement ou que la part du logement dans le budget moyen s’élève à 45 %.
Au-delà du logement, l’Aclef propose un accompagnement aux étudiants qui habitent dans les lieux qu’elle possède « pour les difficultés du quotidien, le savoir-habiter écologique et l’intégration dans le quartier ». En tout, 200 logements de 420 places sont gérés par l’association à Paris, Bordeaux et Lyon.

Favoriser les colocations entre personnes avec et sans handicap
D’autres acteurs présents à la Kiss agissent pour l’accès au logement. C’est le cas de la Fondation pour le logement des défavorisés – ancienne Fondation Abbé Pierre – ou de la fédération Habitat et humanisme. Mais aussi de la société Fratries, appartenant à un fonds de dotation, donc à une structure philanthropique à objectif non lucratif. « Nous développons des maisons où vivent des jeunes actifs avec ou sans handicap mental, sans relation d’aidant. L’idée est de montrer que vivre ensemble est possible, et ça permet à nos “colocs” en situation de handicap d’avoir des relations d’égal à égal », explique Sophie Le Maire, responsable du fundraising et de l’investissement solidaire.

« Les personnes en situation de handicap paient un loyer adapté à leurs ressources », détaille-t-elle. Dans les habitations, des responsables de maison les aident à s’insérer professionnellement - « le logement est juste une première étape vers l’insertion », estime Sophie Le Maire -, et des accompagnants les soutiennent dans leur vie quotidienne. Neuf maisons ont été ouvertes depuis 2022, dans six villes de France. 103 personnes y habitent en tout.
« Dans nos annonces, nous ne mettons pas en avant le “petit truc en plus” du projet », souligne encore la responsable des levées de fonds. « Nous voulons toucher des gens qui n’ont pas de lien avec le handicap et changer leur retard », justifie-t-elle.
S’ouvrir aux autres acteurs de l’immobilier
La Kiss est organisée à Césure, un tiers lieu aménagé dans des espaces de l’université de la Sorbone-Nouvelle en attente de rénovation thermique et d’un désamiantage, par Plateau urbain. Cette coopérative Esus d’une centaine de salariés « porte des projets d’occupation temporaires », explique Agathe Hamzaoui, qui coordonne l’un de ces projets. L’idée est d’animer, avec l’accord du propriétaire, des espaces vacants en attente de transformation ou de réhabilitation. Pour cela, un appel à projet est lancé à destination « d’acteurs exclus des marchés de l’immobilier » intéressés par les espaces, comme des artistes, des créateurs d’entreprises ou des associations. Pour une contribution modique - 23 euros le mètre carré par mois, afin de financer les charges -, ces acteurs peuvent bénéficier temporairement de locaux.
En ce qui concerne les bâtiments dans lesquels est implanté Césure, « les travaux ne sont pas votés pour l’instant, pour des questions de validations politiques et d’échéances administratives », indique Agathe Hamzaoui. Depuis deux ans et jusqu’en 2026, un projet est déployé dans les lieux autour de la « transmission des savoirs ». Des médias, une maison d’édition et des structures d’éducation et de formation sont notamment accueillis. Une manière de « rendre un service au propriétaire » en animant l’espace met en avant Agathe Hamzaoui.
La Kiss était ouverte au grand public curieux mais elle se destinait surtout à des professionnels l’ESS, ainsi qu’à des acteurs de l’immobilier non solidaire. « Si nous ne touchons pas l’économie plus traditionnelle, nous ne touchons pas la masse. Il y a un enjeu de coopération, même si nous ne sommes pas toujours guidés par les mêmes intérêts », fait valoir Mathias Rouet, membre du directoire de Plateau urbain, qui a contribué à l’organisation opérationnelle de l’ événement. « On aimerait pouvoir changer un peu plus que les lieux et les quartiers : changer un peu de la société », espère-t-il.
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Célia Szymczak 