Et si on interdisait le gaspillage et la publicité ?
Le gaspillage constitue un fléau social, économique, et écologique. Au niveau européen seulement, l’ensemble des aliments jetés aux ordures tous les ans pourrait nourrir un milliard de personnes. A titre indicatif, notons qu’un rapport de l’ONU de 2018 dénombrait 821 000 000 personnes souffrant de malnutrition dans le monde. Pourtant, on continue de voir chaque jour des publicités incitant à consommer, encore et encore. La solution serait-elle d’interdire totalement et radicalement la publicité, ainsi que le gaspillage ?
De quoi parle-t-on exactement
1,3 milliard de tonnes de denrées alimentaires sont jetées dans le monde chaque année, ainsi que 2 milliards de tonnes de produits ménagers. En France, ce sont 10,3 millions d’aliments qui sont gaspillés par les ménages, les restaurateurs, et la grande distribution. De plus, les publicités télévisées destinées à cette consommation sont souvent consacrées à des aliments faibles en apport nutritif : il est donc clair que dans ces programmes publicitaires, la malbouffe est reine. Obésité, surproduction, exploitation … tant de problématiques soulevées par cette industrie.
Mais du côté de l’électroménager aussi, la surconsommation règne. En 2018, on pouvait lire sur une publicité d'un géant du e-commerce : « Mon vieil ordinateur fonctionne encore... Mais un accident est si vite arrivé ». Le désir de satisfaction instantanée que profèrent ces publicités et l’achat de ces biens et services incitent à une surconsommation de produits et d’aliments dont nous pourrions largement nous passer au quotidien, et qui conduit à un gaspillage de masse. Le lien avec la publicité semble donc évident.
La France : pays pionnier de la lutte contre le gaspillage alimentaire
Le 11 février 2016, le gouvernement adopte une nouvelle loi inédite relative à la lutte anti- gaspillage alimentaire. Cette loi interdit désormais les commerces de plus de 400 m2 de jeter leurs invendus, ils doivent obligatoirement les donner à des associations d’aide alimentaire. Le Pérou, l’Italie, ainsi que la Finlande ont rapidement suivi l’initiative française, et les effets positifs sont déjà observables : augmentation du nombre de repas distribués, mise en place de l’organisation de récupération des invendus. En 2018, cette loi a été renforcée et étendue à l’échelle des restaurateurs et des industries agroalimentaire. Mais malgré le succès de cette loi, les chiffres du gaspillage demeurent conséquents. Faudrait-il ainsi traiter le problème à la source, et agir sur la publicité ?
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Quels scénarios possibles face à l’interdiction de la publicité ?
Sur le court terme, on peut s’imaginer que la suppression des publicités représenterait un effondrement économique. Le Baromètre Unifié du Marché Publicitaire (BUMP) indique que les recettes nettes totales du marché de la publicité s’élèvent à 15 milliards d’euros en 20191. De plus, cela engendrerait une baisse de la consommation de nombreux produits (pas seulement de ceux qualifiés d’artificiels et de superflus), ce qui, par extension, engendrerait la faillite de nombreuses entreprises. C’est ce qu’on observe aujourd’hui, dans un monde où les échanges de biens et de services au-delà des frontières rythment les marchés internationaux. Une telle crise ne fait saliver personne.
Or, un des scénarios plausibles serait que la fin des publicités marquerait le réel début de l’expansion du commerce de proximité. En effet, si nous ne sommes plus incités à acheter des sodas toute la journée, peut être consommerions-nous du soda régional ? Les marchés locaux seraient les premiers gagnants. Cela s’accompagnerait d’une production plus adaptée à la demande, des coûts de transports notablement moins élevés, et donc une empreinte écologique presque nulle comparée à aujourd’hui. Nous pouvons même imaginer que la suppression totale des publicités dans le monde serait à l’origine d’une organisation tout à fait nouvelle du marché.
Et nos désirs dans tout ça ?
La publicité révèle la capacité des êtres humains à être influencés. Abordons le sujet d’un point de vue plus philosophique. Gaston Bachelard, philosophe et essayiste français du XXe siècle, explique que nous sommes des créations du désir, et non pas du besoin. Nous serions naturellement plus excités par l’envie de choses superflues que par la conquête du nécessaire. C’est ce que l’on peut observer lorsqu’un individu s’offre le tout dernier smartphone en date, bien que son téléphone actuel soit encore en état de marche. Le philosophe néerlandais Spinoza analyse également cette relation entre le désir et l’homme, estimant que le désir passe toujours en premier, c’est une logique inhérente à l’Homme. Nous jugeons qu’une chose est bonne, car nous la désirons, et non pas l’inverse. L’individu de notre exemple trouvera toutes les bonnes raisons d’expliquer son nouvel achat luxueux, mais la véritable explication restera le fait qu’il désirait intimement ce dernier téléphone portable. La publicité ne se contente que de révéler ces désirs, ce qui laisse supposer que de l’interdire ne serait pas la seule solution pour lutter contre la surconsommation, et de facto, le gaspillage. Il faudrait que nous apprenions à connaître nos désirs et en prendre conscience. De cette manière, nous pourrions les convertir afin de consommer différemment, raisonnablement.
Rose Boutboul