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Par Carenews INFO - Publié le 12 octobre 2022 - 10:00 - Mise à jour le 17 octobre 2022 - 16:14
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Sobriété commerciale : peut-on vendre moins mais mieux ?

La notion de sobriété commerciale, appliquée par de plus en plus d’entreprises, prône le « vendre moins mais mieux ». Pour certains spécialistes et dirigeants d’entreprises, elle peut être créatrice de croissance et de sens.

Comment les entreprises deviennent-elles sobre commercialement ? Crédit : iStock
Comment les entreprises deviennent-elles sobre commercialement ? Crédit : iStock

 

Éteindre vos appareils au lieu de les laisser en veille, baisser la température de deux degrés dans toutes les pièces, utiliser le programme éco de vos lave-linges et lave-vaisselles… Autant de petits gestes qu’on ne cesse de nous répéter afin d’économiser de l’énergie à un moment où le pays vient à en manquer. Alors que la sobriété énergétique s’impose aujourd’hui, cette notion de sobriété, synonyme de modération, s’applique à bien d’autres domaines. Sobriété dans notre consommation, sobriété numérique, mais aussi sobriété commerciale de la part des entreprises.

 

Qu'est-ce que la sobriété commerciale ?

 

« Ne pas vendre coûte que coûte, mais vendre le juste produit, au juste prix, pour répondre au juste besoin. » C’est la définition de la sobriété commerciale que donne Hugues Poissonnier, économiste et professeur associé à Grenoble École de Management. Un modèle qui permettrait de produire moins afin d’utiliser moins de ressources. La sobriété commerciale sonne comme une « révolution par rapport aux pratiques classiques et au business model qui très généralement repose sur une forme d’agressivité commerciale », explique Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, qui a à cœur d’appliquer cette forme de sobriété au sein de son entreprise.

 

Quelles motivations pousseraient les entreprises à se tourner vers un modèle de sobriété commerciale ? Tout d’abord, certaines « veulent être dans une proposition de valeur plus vertueuse », indique Blandine Barré, fondatrice de Les Réparables, une entreprise qui entend répondre au problème de la surconsommation textile par la réparation. Selon elle, certaines marques, qui font notamment appel à ses services pour organiser des ateliers de réparation dans leurs points de vente, veulent être « responsable d'un produit de sa mise sur le marché jusqu'à sa fin de vie ».

D’autre part, « il y a une véritable demande de la part de leurs clients », notamment « concernant la seconde main et la réparation », ajoute-t-elle. Outre la pression de la part des consommateurs, ce sont aussi les employés qui exigent de plus en plus d’engagement vers la transition écologique de la part de leurs entreprises. « Les entreprises qui ne changent pas vont avoir du mal en termes de recrutement », explique Fiammetta Cascioli, explique Fiammetta Cascioli, spécialiste des ressources humaines et professeur de management à l’école de commerce Kedge.

 

Comment appliquer la sobriété commerciale ?

 

La sobriété commerciale passerait avant tout par un meilleur conseil client. « À la MAIF, nous disons à nos vendeurs qu’ils doivent toujours conseiller le sociétaire dans le sens de ses intérêts et non pas dans celui de l’entreprise », explique Pascal Demurger. Cela se concrétise par exemple par des conseillers qui, après avoir réalisé un bilan des contrats de leurs clients, les appellent pour résilier ceux dont ils n’ont plus besoin.

« Nous renonçons à vendre des choses inutiles au client », ajoute-t-il. Pour les biens de consommation, la sobriété commerciale se caractérise également par une meilleure durabilité et réparabilité des produits. C’est ce qu’explique le Baromètre du SAV FNAC-DARTY qui met en avant les produits durables, c’est-à-dire les produits qui servent longtemps notamment grâce à leur forte fiabilité et à leur facilité à être réparés.

 

Cette sobriété dans la façon de vendre peut également passer par la compétitivité hors-prix, soit la capacité à imposer ses produits indépendamment de leur prix grâce à la qualité ou l'image de marque. Cela permet de vendre moins de produits, mais à un prix plus élevé. Florent Curel, responsable du Club de la Durabilité au sein de l’association Halte à l'Obsolescence Programmée, parle aussi de « dynamique servicielle » pour répondre aux enjeux de la sobriété commerciale. Elle permet de « diversifier les leviers de création de valeur avec de nouvelles offres et de remplacer la vente de biens par la vente de services ».

 

Pour Pascal Demurger, la sobriété commerciale est une « preuve de la sincérité de l'entreprise ». Elle est synonyme de croissance car, se sentant écouté, « le client va être fidèle à vie ». « Nous avons un turnover très inférieur à celui de la concurrence et quand on connaît le coût d'acquisition d'un nouveau client, ce sont des économies gigantesques que nous faisons tous les ans », affirme-t-il.

 

Des employés en quête de sens

 

Face à ces nouvelles façons de produire et de vendre, l’attitude des commerciaux doit être repensée. « Qu'est-ce qui fait la fierté d'un commercial ? », se questionne Pascal Demurger. « Effectivement, c'est de vendre, mais si vous essayez de déplacer cette fierté et de faire en sorte que ce soit d'être utile au client, c'est infiniment plus valorisant », explique-t-il. La question du but est également primordiale selon Dirk Moosmayer, professeur au département stratégie de l’école de commerce Kedge, qui pousse les entreprises à se demander si « leurs employés sont motivés par l'argent ou par une activité qui fait du sens ».

 

En termes de rémunération, la question se pose de « redéfinir la performance », explique l’économiste Hugues Poissonnier. « La rémunération ne doit pas être liée au chiffre d’affaires, mais plutôt à la satisfaction des clients », détaille-t-il. Dirk Moosmayer suggère par ailleurs de « verser des primes [aux commerciaux] pour le taux de produits recyclés plutôt que pour les ventes en volume ». Dans la même veine, Pascal Demurger explique avoir adapté la politique de rémunération de la MAIF afin que les vendeurs n’aient ni commissionnement, ni prime, ou bonus quand ils vendent un contrat.

 

Pour changer les comportements, il faut adapter les formations des commerciaux et dirigeants de demain. À Kedge, le master Business Transformation for Sustainability, qui accueille ses premiers étudiants cette année, enseigne le rôle qu’ont les entreprises en tant qu'acteurs sociétaux et les manières pour celles-ci de créer de la valeur qui ne soit pas que financière. « Nous voulons faire de nos étudiants des acteurs du changement », explique Fiammetta Cascioli, professeur de management, mais également directrice de ce master. Au sein de cette école, la direction académique demande que tous les programmes mis en place incluent des enseignements en lien avec le développement durable. En ce qui concerne les élèves, « l'intérêt est clairement là », explique Dirk Moosmayer, professeur au sein de ce master. « C'est une génération très ouverte concernant la durabilité », ajoute-t-il.

 

Même son de cloche à la Grenoble École de Management qui met en avant dans ses cours, l’idée de « paix économique », notion selon laquelle la performance économique est importante, mais n'est qu'un moyen au service d'une performance sociale et environnementale. Les réactions des étudiants pendant ces cours sont « généralement très positives », explique Hugues Poissonnier, car « ils voient bien qu'il y a des problèmes et que cela ne peut pas continuer ainsi ».

 

Pédagogie et exemples de réussite

 

Reste encore à convaincre plus d’entreprises de rejoindre le chemin de la sobriété commerciale. Pour cela, la pédagogie et l’exemple sont nécessaires. Le Club de la Durabilité permet à ses membres de « monter en compétences, de créer des synergies entre eux » et encourage « le partage de bonnes pratiques », explique son responsable Florent Curel. Mais il convient également, grâce à des exemples inspirants, de montrer aux entreprises et à leurs actionnaires que cette forme de sobriété peut être rentable. « ll faut une forme d’audace pour faire cela, pour inciter sa force commerciale à de la modération dans l'acte de vente », reconnaît Pascal Demurger. « C’est un saut dans l'inconnu, c'est faire le pari que par la satisfaction des clients et par la réputation de la marque, nous récupérons sur le moyen terme ce que nous perdons en refusant la vente forcée. Le retour sur investissement est décalé dans le temps », conclut-il.

À l’heure où la transition écologique n’est plus un choix, le modèle de la sobriété commerciale représente l’avenir, s’accordent à dire les spécialistes et dirigeants d’entreprises interrogés, sans pouvoir toutefois prédire la vitesse et l’ampleur de son développement. Florent Curel affirme que « même si le coût de transition est important, celui de l’inaction sera forcément supérieur donc il faut trouver l'équilibre dès aujourd'hui ».

Souhaitant rester optimiste, Fiammetta Cascioli conclut : « Cela ne me surprendrait pas si d'ici dix ans, la nouvelle génération de PDG était en grande partie issue de fonctions liées au développement durable ».

 

 

Oihana Almandoz

 

 

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