« L’économie sociale et solidaire est une économie des solutions » (Pierre Hurmic, maire de Bordeaux)
En octobre prochain, la ville de Bordeaux accueillera le Forum mondial de l’économie sociale et solidaire. Son maire, Pierre Hurmic (écologiste), explique à Carenews pourquoi il a souhaité accueillir cet événement et en quoi l’ESS constitue, pour lui, l’un des piliers de l’économie du futur.

- Carenews : La ville de Bordeaux a pris la présidence du GSEF (Global social economy forum) en 2021, à la suite de Séoul (Corée du Sud). Le GSEF regroupe des collectivités territoriales et des réseaux d’acteurs de la société civile du monde entier, engagés dans la promotion des valeurs et des principes de l’économie sociale et solidaire. Pourquoi avoir souhaité présenter la candidature de Bordeaux à la présidence de cette organisation ?
Pierre Hurmic : Il faut d’abord dire que la ville de Bordeaux a porté cette candidature avec l’appui de la métropole, du département de Gironde et de la région Nouvelle-Aquitaine. Notre souhait commun est de contribuer à donner une visibilité internationale à l’ESS, cette économie ancrée dans les territoires, très dynamique, porteuse d’innovations sociales. Nous sommes fiers d’être ainsi devenus, comme l’ont formulé certains, la « capitale mondiale de l’ESS ».
Tous les deux ans, une ville membre du GSEF organise un forum mondial où se retrouvent les collectivités, réseaux et acteurs de l’ESS. Après Séoul, Montréal, Bilbao, Mexico et Dakar, il nous a paru naturel, à la suite de l’élection de la ville à la présidence du GSEF, de proposer d’accueillir le Forum mondial de l’ESS à Bordeaux en 2025.
Nous sommes fiers d’être devenus la « capitale mondiale de l’ESS ».
- Qu’attendez-vous de ce forum, qui aura lieu du 29 au 31 octobre prochain dans votre ville ?
Nous attendons d’abord 3 000 à 4 000 participants, venus à la fois de notre territoire, de la France entière et d’une cinquantaine de pays. Comme à chaque édition, ce forum a vocation à être un catalyseur de coopérations à la fois locales et internationales entre collectivités, réseaux et acteurs de l’ESS.
C’est aussi une occasion de créer plus de ponts entre l’ESS et les acteurs de l’économie dite « classique ». Je crois sincèrement qu’il faut arrêter d’opposer les différentes formes d’économies et qu’il faut au contraire les inciter à travailler davantage ensemble. Car de fait, face aux différentes crises, toutes les formes d’économie vont devoir être plus respectueuses de la planète, combattre les inégalités sociales, se préoccuper de leur responsabilité territoriale.
- En quoi l’économie sociale et solidaire constitue à vos yeux une forme d’économie à soutenir ?
D’abord, l’ESS est une économie de paix, de résilience, ce qui me paraît extrêmement important dans le contexte géopolitique actuel. C’est une économie fondée sur la coopération plutôt que sur la compétition.
C’est aussi une économie des territoires, ancrée localement, qui montre qu’il est possible de concilier sobriété et prospérité. C’est une économie des solutions, une alternative crédible au modèle économique dominant.
À ce titre, l’ESS est à mes yeux un pilier de l’économie de demain. En juillet 2022, j’avais d’ailleurs eu l’occasion de plaider devant l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en tant que président du GSEF et avec d’autres acteurs, pour dire à quel point l’ESS contribue aux objectifs de développement durable (ODD). En avril 2023, l’ONU a adopté une résolution pour reconnaître ce rôle indispensable.
L’ESS est une économie de paix, de résilience, ce qui me paraît extrêmement important dans le contexte géopolitique actuel. C’est une économie fondée sur la coopération plutôt que sur la compétition.
- Au-delà de la présidence du GSEF, de quelle manière la ville de Bordeaux soutient-elle le développement de l’ESS sur son territoire ?
Nous avons développé une politique d’achats responsables. Ainsi, la ville de Bordeaux a attribué 70 marchés à des structures de l’ESS sur les trois dernières années, pour un montant total d'environ 8 millions d'euros. Dans ce cadre 70 % des prestations du Forum mondial de l'ESS ont été confiées à des acteurs locaux de l’ESS, notamment via des coopérations entre des entreprises « classiques » et des entreprises de l’ESS.
Nous avons également fait le choix d’apporter un soutien appuyé à certaines initiatives locales portées par des acteurs de l’ESS. Je peux citer le projet Ikos, futur village du réemploi solidaire, créé sous statut de société coopérative d'intérêt collectif (Scic) en associant 9 structures de l’ESS, notamment Envie Gironde et Le Relais. Ce projet, qui doit être livré en 2027, sera installé sur un bâti de 13 000 m2. Il permettra de traiter 12 000 tonnes d’objets usagés par an, et de créer 300 emplois, dont la moitié en insertion. L’ensemble des collectivités du territoire soutiennent le projet. La ville de Bordeaux, notamment, y a investi plus de 300 000 euros et va garantir une partie des emprunts liés à la mise en œuvre du village.
Autre initiative emblématique que nous soutenons, la Manuco est un tiers-lieu dédié à l’ESS, installé en centre-ville de Bordeaux, dans le quartier populaire Saint-Michel. Par ailleurs, nous expérimentons, dans le quartier « politique de la ville » du Grand Parc, un « territoire zéro chômeur de longue durée ».
La ville a également créé le dispositif « Financez demain », via un appel à projets lancé en partenariat avec la plateforme de financement participatif « J’adopte un projet » pour soutenir le développement des initiatives de l’ESS à Bordeaux. Ce dispositif prévoit que pour pour 1 euro citoyen versé dans le cadre du financement participatif, la ville verse l'équivalent sur le projet, dans la limite de 5 000 euros. Elle accorde également un coup de pouce supplémentaire de 2 500 euros pour trois projets qui ont un impact dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
En soutenant toutes ces initiatives, nous voulons montrer que Bordeaux est un laboratoire de coopérations durables.
Nous voulons montrer que Bordeaux est un laboratoire de coopérations durables.
- Le budget de l’État pour 2025 a réduit de manière importante le soutien public accordé à certains acteurs associatifs, contraignant certains à réduire les services rendus à la collectivité. À la tête de Bordeaux, quelle a été votre réaction face à ces décisions nationales ?
Les carences de l’État vis-à-vis des acteurs de l’ESS, qui assument pourtant des missions d’intérêt général essentielles à la cohésion sociale de notre pays, nous contraignent, en tant que collectivité, à faire des efforts supplémentaires dans leur direction. Dans ce contexte, à Bordeaux, nous avons choisi de réaffirmer notre soutien politique et financier à l’ESS.
Je plaide pour ma part pour une équité des financements publics vis-à-vis des différents acteurs de l’économie. En juillet dernier, une commission d’enquête sénatoriale a établi que les entreprises conventionnelles reçoivent chaque année 211 milliards d’euros d’aides publiques, sous diverses formes, souvent sans qu’aucune contrepartie ne leur soit demandée. Dans le même temps, l’ESS est de moins en moins dotée, alors même que le soutien financier qui lui est accordé par l’État est conditionné à des missions sociales qu’elle se doit d’assurer. Cela n’est pas normal.
De la même manière, le budget de l’État aboutit à des formes d’inaction climatique, qui sont très dangereuses. Il est indispensable d’investir davantage sur l’économie décarbonée. À défaut, nous finirons tous par le payer très cher.
Propos recueillis par Camille Dorival