L’insertion par l’activité économique face à des coupes de grande ampleur
L’annonce du budget 2025 a fait naître des inquiétudes chez les acteurs de l’insertion par l’activité économique. Face à des coupes budgétaires conséquentes, différents responsables de réseaux et de structures, réunies dans le Collectif IAE, craignent pour la pérennité de nombreuses structures.

Le budget 2025, adopté officiellement jeudi 6 février, a eu l’effet d’une douche froide chez les acteurs de l’insertion par l’activité économique (IAE).
L’enveloppe des aides aux postes d’insertion fournies par l’État se trouve amoindrie de 50 millions d’euros par rapport à l'année précédente. « Cela représente 11 000 parcours d’accompagnement en moins, sur un total de 300 000 », estiment les différents responsables du Collectif IAE, réunis à Paris lors d’une conférence de presse.Ce collectif regroupe huit réseaux de l’IAE. Celle-ci représente 4 600 structures en France, chargées d’accompagner des personnes en difficulté sur le marché du travail, pour leur permettre de se réinsérer ensuite durablement dans l’emploi.
La formation professionnelle des salariés en parcours d’insertion est également touchée, avec un budget de 30 millions d’euros de moins qu’en 2023 pour le plan d’investissement dans les compétences de l’insertion par l’activité économique (PIC IAE). Ce plan vise à renforcer l’accès à la formation professionnelle des salariés en insertion pour favoriser leur retour à l’emploi durable. Il avait déjà été réduit de 10 millions d’euros en 2024, via un décret portant annulation des crédits.
Avec cette réduction de 30 millions d’euros, « ce sont à peu près 30 000 personnes qui ne reçoivent pas de formation et dont le parcours d’insertion pourrait échouer », alerte Antoine Laurent, délégué général adjoint de la Fédération des entreprises d’insertion.
Un soutien revu à la baisse malgré la hausse du chômage
« Nous sommes face à un paradoxe », dénonce Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité. « Le gouvernement affiche sa volonté de favoriser l’insertion par le travail dans sa loi pour le plein emploi (NDLR : promulguée le 18 décembre 2023) et aujourd’hui le mécanisme fait face à une baisse de budget », détaille-t-elle.
Pour les membres du Collectif IAE, la réduction du budget consacré à l’insertion par l’activité économique va également à contre-courant d’une stratégie efficace pour le plein-emploi, alors que le chômage connaît une recrudescence. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à France Travail en catégorie A, c’est-à-dire sans activité et disponibles immédiatement, a en effet augmenté de 3,9 % au quatrième trimestre 2024, selon les chiffres publiés lundi 27 janvier par la direction des statistiques du ministère du Travail (Dares). « Nous avons bien conscience qu’il y a eu des efforts sur l’IAE depuis 2018. Mais les objectifs sont aujourd’hui revus à la baisse. Or, l’IAE est un filet de sécurité qu’il est impératif de préserver », estime Antoine Laurent.
En plus des baisses des financements étatiques, l’insertion par l’activité économique est également affectée par la réduction du soutien des collectivités territoriales, elles-mêmes confrontées à des baisses de dotations et subventions, et par la dégradation des fonds européens, avertit Nathalie Latour. « D’une manière générale, l’IAE est confrontée à des logiques politiques d’à-coup qui créent une fragilité structurelle », analyse-t-elle.
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« Le modèle de société » choisie, en question
« La décision de diminuer les fonds est dangereuse », juge quant à lui Frédéric Fonton, vice-président à la politique emploi et IAE du Mouvement des régies de quartier, présentes dans 300 quartiers prioritaires de la ville.
« L’insertion par l’activité économique représente un employeur pour les personnes les plus en difficulté. Si nous perdons ces actions, nous perdons le dernier espoir. Il y a un risque d’explosion sociale sur les territoires », alerte-t-il.
« Les calculs ne sont pas bien faits car le dispositif raccroche des personnes qui seraient dépendantes des aides de l’État », abonde également Harouna Sow, chef cuisinier chez Refugee Food.
Pour les membres du Collectif IAE, ces choix budgétaires reflètent, au-delà de la contrainte financière, des choix de société posés par les pouvoirs publics.
« À quelques heures d’intervalles, Emmanuel Macron annonce 109 milliards d’investissement (NDLR : privés et étrangers) pour l’intelligence artificielle. La question est : quelle est notre modèle de société ? », interroge Laurent Pinet, président du réseau d’entreprises d’utilité sociale territoriale Coorace. En plus d’un seuil de pauvreté en hausse et du « trou béant » de la fracture démocratique, Laurent Pinet pointe l’urgence climatique, à laquelle tentent de répondre une partie des activités de l’insertion par l’activité économique.
D’après le collectif, les coupes budgétaires mettent en danger la pérennité de nombreuses structures. La Fédération des entreprises d’insertion fait déjà état de 35 % de structures en difficultés financières, tandis que 40 % des structures adhérentes de Chantier école sont en déficit.
« Le secteur social est mis en crise. Pourtant nous considérons que nous sommes un investissement », défend Dominique Hays, président du réseau Cocagne. Ce regroupement d’associations françaises réalise de la production maraichère biologique au moyen de l’insertion par l’activité économique.
« Alors que l’IAE s’est construite dans une coopération entre l’État et la société civile, nos réseaux ne peuvent pas croire qu’à l’aune des défis actuels, l’État souhaite s’en désengager », résume le collectif dans un communiqué.
Élisabeth Crépin-Leblond