La philanthropie de la confiance, un modèle plus vertueux de financement des associations ?
Lors d’un webinaire organisé en mars, le réseau Les Entreprises pour la cité et la Chaire philanthropie de l’Essec se sont penchés sur la notion de « philanthropie de la confiance ». Venue des États-Unis, cette doctrine cherche à rééquilibrer les relations entre fondations et associations, pour offrir plus d’autonomie et moins de contraintes administratives à ces dernières.

Appels à projet, dossiers de candidature, reportings… Les modes de fonctionnement des fondations reposent souvent sur des pratiques empruntées au monde de l’entreprise, suscitant des contraintes administratives importantes pour les associations soutenues.
« Il y a une frilosité à financer les frais de fonctionnement et de structures par les mécènes », note notamment Arthur Gautier, professeur associé et titulaire de la Chaire philanthropie de l’Essec, organisatrice d’un webinaire sur le sujet avec le réseau Les Entreprises pour la cité.
Le soutien financier apporté par les fondations d’entreprises est en effet souvent donné pour un temps court et est réparti sur plusieurs petits projets délimités. « La temporalité des financements est décidé par le mécène, qui reste dans une relation verticale et sous-traite l’activité d’intérêt général à l’association. C’est une posture assez fréquente, même si elle n’est pas consciente », analyse Arthur Gautier. « Ce système a des conséquences néfastes, comme un risque accru de burn-out au sein des équipes associatives. De plus, il y a un risque de découplage entre l’entreprise mécène et les associations qui vont présenter ce qu’on leur demande pour ensuite faire différemment », ajoute-t-il.
Face à ces risques, de nouveaux modèles apparaissent peu à peu. Parmi eux, la philanthropie de la confiance, développée aux États-Unis, vise à rééquilibrer les relations entre les organisations bénéficiaires et leurs mécènes.
Six principes pour favoriser l’autonomie des associations
La philanthropie de la confiance se présente comme une alternative aux modèles de fonctionnement des fondations dont l’objectif est de favoriser l’autonomie et la liberté d’action des associations soutenues et de leur permettre de s’investir pleinement dans leur mission sociale.
« Dès les années 2010, certaines fondations américaines se sont interrogées sur des manières de faire de la philanthropie autrement », relate Marie-Stéphane Maradeix, doctorante invitée à l’Essec, rattachée à la Chaire philanthropie. La démarche consiste notamment à financer les frais de structures des associations, et non seulement des projets précis via les appels à projets, mais aussi à inscrire ces financements dans une durée plus longue. « Généralement, ils s’étalent sur cinq ans », relève Marie-Stéphane Maradeix.
La crise du Covid-19, en forçant les fondations à fonctionner plus rapidement et à alléger les contraintes administratives, a accéléré ce processus de réflexion et a conduit une fondation américaine à lancer le « trust-based philanthropy project », fondé sur six principes. Ces six pratiques d’octroi des subventions sont les suivantes :
- un financement pluriannuel et sans restriction,
- une recherche des donataires potentiels réalisés par les mécènes, et non l’inverse,
- une simplification et une rationalisation des démarches administratives,
- une attitude transparente et réactive,
- un moyen d’action basé sur les retours des associations,
- et la proposition d’un soutien qui s’étend au-delà des financements.
« Certains principes sont plus difficiles à appliquer, comme la simplification des démarches administratives. Pour l’appliquer, la Fondation de France a par exemple remplacé les rapports écrits par des visio trimestrielles », explique Marie-Stéphane Maradeix.
Favoriser le dialogue mutuel entre associations et fondations
La philanthropie de la confiance ne se limite cependant pas à l’application de ces principes. « L’idée est d’instaurer un dialogue pour que l’association soit plus à même de se livrer », ajoute la doctorante, qui a travaillé au sein de différentes fondations.
Cette nouvelle doctrine philanthropique met en effet un accent particulier sur la relation et l’échange mutuel entre fondations et associations. « Dans la philanthropie de la confiance, il y a une prise de risque pour la fondation. Mais ce risque est contrôlé par la qualité de la relation avec les associations, qui permet aussi à la fondation de monter en expertise », détaille Marie-Stéphane Maradeix.
Des dérives de ces pratiques ont pourtant déjà été identifiées. « Un cas un peu extrême est celui de MacKenzie Scott (NDLR : cofondatrice d’Amazon avec son ancien mari Jeff Bezos) qui a versé des milliards de dollars d’un coup, sans demander de reporting. Cela a pu déstabiliser des associations et créer des jalousies intersectorielles », rapporte encore la doctorante invitée à l’Essec. Au contraire de la démarche de la milliardaire, « la philanthropie de la confiance n’est pas un chèque en blanc mais un compagnonnage dans la durée », soutient-elle.
À la Fondation Canal+, la volonté de « coconstruire une démarche »
« La confiance demande du temps, elle se construit dans la durée », ajoute Diane Emdin, directrice des programmes « Create joy » au sein de la Fondation Canal+. La pratique demande également de convaincre en interne, au sein de l’entreprise.
Pour mettre en place une démarche de confiance, la Fondation Canal+ a remplacé les appels à projets classiques par la détermination de grandes lignes, suivie par des actions de sourcing réalisées grâce à des échanges menés auprès des associations, explique Diane Emdin. « Nous ne sélectionnons pas par comparaison mais par valorisation des points forts des associations », met-elle en avant.
La Fondation Canal+ conclut ensuite un premier contrat annuel de financement pouvant déboucher à son issue sur un contrat pluriannuel. « Cela permet de favoriser la co-construction et de s’assurer que le projet correspond à ce qui est défini, avant de s’engager sur un financement de plusieurs années », soutient la directrice des programmes « Create joy ». Du côté du reporting, Diane Emdin explique privilégier des manières informelles de communiquer, par des appels téléphoniques ou des visioconférences, « quand on en a besoin ».
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Une relation de confiance dans les deux sens ?
« L’idée est d’instaurer cette relation de confiance, presque de copains, de manière à avoir accès à des informations vraies et à adapter le rôle de la fondation aux besoins de l’association. Cela va aussi dans les deux sens, quand il y a des réussites de l’association, nous voulons les célébrer également », estime la directrice des programmes.
Pour Diane Emdin, la confiance passe aussi par des rencontres et des moments d’échange avec les porteurs de projets et les bénéficiaires. « Il y a beaucoup plus de fierté de la part des associations quand le financeur s’intéresse vraiment au projet », argumente-t-elle, avant d’ajouter : « si la fondation est intégrée dans le comité de pilotage, nous voyons tout de suite quand il y a quelque chose qui coince en pratique ».
Cette intégration de la fondation « à la source », c’est-à-dire au sein du comité de pilotage et de certaines activités de l’association, lui permet également de rédiger elle-même son reporting, met en avant Diane Emdin. « Il y a une complémentarité dans les expertises qu’il faut arriver à marier », juge-t-elle.
Face à ces constatations, faut-il pour autant abandonner les modèles de philanthropie fondés sur les appels à projets ? « Il y a de la place pour les deux », estime Marie-Stéphane Maradeix. « La philanthropie de la confiance est une voie complémentaire », analyse-t-elle.
Élisabeth Crépin-Leblond