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Par Carenews INFO - Publié le 16 mai 2024 - 12:18 - Mise à jour le 3 septembre 2024 - 15:59 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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« Je me suis mise à pleurer devant un bénéficiaire » : le phénomène du burn out des salariés dans les associations

Mise en concurrence des associations, épuisement pour une bonne cause… De plus en plus de salariés d’associations évoquent une situation de burn out liée à des conditions de travail parfois difficiles.

Le burn out touche les salariés de structures associatives. Crédit : Moor studio, iStock.
Le burn out touche les salariés de structures associatives. Crédit : Moor studio, iStock.

 

En publiant un appel à témoignages sur LinkedIn, nous ne nous attendions pas à recevoir une marée de messages privés. Ce fut pourtant le cas avec un appel au sujet du burn out de travailleurs dans les associations. Un signe de l’ampleur du problème dans ces structures qui emploient deux millions de salariés en France  ?

Parmi les multiples histoires, il y a par exemple celle de Gabrielle. Diplômée d’une école d’agronomie en 2019, elle décide de réaliser un service civique d’une année dans une association d’accompagnement social dans les quartiers populaires. Elle est en charge de mettre en place et de gérer des activités : « J’avais l’envie de donner une année pour les autres avant de réellement rentrer dans le monde du travail », se rappelle la jeune femme.

Mais elle va vite déchanter. Rapidement, un de ses collègues, également en service civique, commence à se sentir mal, sans recevoir de soutien de la direction. Petit à petit, sa propre charge de travail devient très (trop) importante sans pour autant qu’elle n’obtienne de reconnaissance en retour : « On entendait nos responsables dire que ce n’était pas normal d’être fatigué à nos âges. Ils mettaient la barre très haut et nous ne faisions pas aussi bien que ce qui était attendu. »

 

Tenir pour les bénéficiaires

 

À bout de force, elle termine tout de même sa mission. Son épuisement est alors général : « après la mission, j’ai mis six mois à récupérer physiquement. Je n’arrivais pas à me réveiller le matin sans réveil alors que je ne suis habituellement pas une grosse dormeuse. J’ai mis plusieurs mois à comprendre qu’il s’agissait du début d’une dépression ».

J'ai mis six mois à récupérer physiquement." Gabrielle.

Ce qui fait tenir Gabrielle : les bénéfices qu’elle apportait aux bénéficiaires. « Je m’occupais de jeunes en préparation du bac : je restais seulement pour eux », se souvient-elle. « En association, on est tenu par l’aspect moral du travail, le fait que notre travail serve à quelque chose. Il est possible de s’emprisonner là-dedans ». Elle a vécu une situation de burn out, défini par un état de fatigue intense et une grande détresse liée au travail et au stress qu'il amène. 

 

Une bureaucratisation liée aux appels à projets

 

Le sociologue Simon Cottin-Marx a mené des recherches sur la question du travail dans les structures associatives. Il souligne également que le fait de travailler pour une bonne cause peut repousser la question du bien-être au travail au second plan. Il a consacré un livre à ce sujet, C’est pour la bonne cause (éd. de l’Atelier, 2021). « Le fait de travailler pour une bonne cause fait que le sujet du bien-être au travail est souvent mis de côté. Prendre du temps pour améliorer ses conditions de travail, c’est enlever du temps dédié aux bénéficiaires », explique-t il.

Selon la quatrième édition du baromètre de la qualité de vie au travail publiée en 2023 par Harmonie Mutuelle, la qualité de vie au travail a légèrement baissé dans les associations selon les salariés. Ils lui donnent la note de  6,3 sur 10 aujourd’hui, contre 6,5 en 2014.

 

Un phénomène structurel

 

Même si le burn out est un événement personnel, vécu dans sa chair, il est le résultat de facteurs structurels, d’un contexte socio-économique : « pour les associations, il y a eu une stagnation des financements ainsi qu’une transformation des modalités d’attribution : on est passé d’une logique de subventions à une logique d’appels à projets et de marchés publics. Ce nouveau fonctionnement demande un travail bureaucratique plus important, qui détourne certains salariés de leur cœur de métier, de ce qui fait sens pour eux », explique Simon Cottin-Marx. De plus, les financeurs peuvent demander aux associations d’atteindre des objectifs pour continuer d’être financés, pour conserver un marché public.


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« Je rédigeais des comptes rendus dans les bouchons »

 

C’est ce qu’a vécu Éléonore* en travaillant à partir de 2019 dans une association de conseil en mobilité. Elle y accompagnait les bénéficiaires dans la recherche de moyens de transport pour se déplacer notamment dans le but de les réinsérer professionnellement. Un certain nombre de financements publics y étaient liés à la réalisation de résultats. L’association est par exemple prestataire de France Travail (ex-Pôle emploi), qui demande aux conseillers de l’association d’accompagner chaque mois vingt nouveaux bénéficiaires. Éléonore doit remplir cet objectif en parallèle d’autres missions : « On nous disait que c’était faisable. Or, les bénéficiaires étaient des personnes en grosses difficultés financières ou ayant vécu des traumatismes lourds. Il fallait beaucoup de rendez-vous pour pouvoir leur trouver des solutions », estime Éléonore. 


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Pour pouvoir tenir ses objectifs, Éléonore dépasse largement ses horaires de travail : « quand il y avait des bouchons en rentrant chez moi en voiture, je rédigeais des comptes rendus de mes entretiens, je faisais du reporting. J’écrivais même des mails avec la voix », se rappelle-t-elle. Elle reprend régulièrement les tâches des autres salariés en arrêt maladie.

« À un moment donné, j’ai commencé à être de plus en plus fatiguée et à pleurer, je me suis même retrouvée lors d’un entretien avec un bénéficiaire à ne pas pouvoir m’arrêter de pleurer », se remémore-t-elle, émue. Un événement va constituer un tournant pour Éléonore. Un vendredi soir, elle reçoit en entretien un bénéficiaire pour lequel elle avait pourtant un mauvais pressentiment. Il va l’agresser sexuellement. Elle décide alors de demander un arrêt maladie puis quitte finalement la structure en 2023.

 

Vider la mer avec une petite cuillère 

 

Éléonore pointe du doigt cette logique d’appels d’offre qui, dans son cas, a entraîné une surdose de reporting et des objectifs compliqués à tenir : « Dans cette logique, celui qui remporte l’appel d’offre est celui qui propose le service le moins cher et de meilleure qualité : sur le terrain, cela devient impossible de travailler correctement », juge-t-elle. « Chaque nouveau président de la République souhaite réduire le chômage. C’est le conseiller en insertion qui en reçoit la pression ».

Des conditions de travail parfois compliquées pour un salaire en moyenne moins élevé que dans le secteur privé lucratif ou dans le public. Également, la possibilité d’un sentiment de désillusion, de désenchantement quant à son impact réel via son travail : « Il peut y avoir la sensation que malgré son travail, la situation ne s’améliore pas. On peut avoir l’impression de vider la mer avec une petite cuillère », explique Simon Cottin-Marx. Une attitude cynique vis-à-vis de son travail peut en découler, souvent symptôme d’un burn out professionnel.


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Même si la solution au problème est structurelle, Simon Cottin-Marx appelle les structures associatives à s’emparer de la question du bien-être au travail : « Les employeurs sont des bénévoles qui s’engagent pour une cause et non pour être employeurs. Aujourd’hui, durant les conseils d’administration, on préfère parler du projet que des conditions de travail ». Selon lui, il est nécessaire de créer des espaces pour la prévention au sein des associations, d’essayer de corriger des mauvaises conditions de travail et d’accepter de présenter ses excuses à la suite d’accidents de travail.

Gabrielle et Éléonore ont aujourd’hui changé totalement de direction et ont pris des routes plutôt similaires : la première a déjà monté son entreprise alors que la deuxième réfléchit à le faire. Le but : dépendre uniquement d’elles-mêmes et non plus d’une hiérarchie.

 

*Le prénom a été modifié dans un souci de préservation de l’anonymat.

 

Théo Nepipvoda

 

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