La semaine de 4 jours : révolution RH ou fausse bonne idée ?
La semaine de quatre jours est présentée par ses promoteurs comme permettant plus de flexibilité et un meilleur équilibre vie personnelle-vie professionnelle. En pleine expansion, le modèle recouvre en fait des réalités différentes, notamment selon qu’il soit accompagné ou non d’une réduction du temps de travail.
À l’occasion de son discours de politique générale prononcé le 30 janvier 2024, Gabriel Attal a annoncé la généralisation de l’expérimentation de la semaine en quatre jours dans l’ensemble des administrations centrales et déconcentrées de ses ministres.
Déjà expérimentée par le Premier ministre dans son précédent ministère des Comptes publics, la semaine de travail réalisée sur quatre jours a investi en un temps record les débats sur l’organisation du travail. Le modèle, qui fait également son chemin au Royaume-Uni, en Belgique, au Japon ou encore en Espagne, consiste à effectuer un temps plein sur seulement quatre jours de la semaine.
Pour ses promoteurs, elle permettrait de retrouver un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, d’augmenter la productivité et la motivation au travail, voire de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprise.
Accompagnée ou non d’une réduction des horaires de travail, elle est souvent présentée par les entreprises qui l’adoptent comme une manière d’accroître le bien-être de leurs salariés au travail.
Un jour pour « ouvrir son esprit »
Emilie Riou, brand manager au sein du gestionnaire d’énergies renouvelables Elmy, fait partie de ceux qui travaillent désormais en temps plein sur quatre jours. L’entreprise lyonnaise, en passe de signer un accord pour ses 160 salariés, a d’abord réalisé une phase de test de six mois à compter du 1ᵉʳ septembre 2022. Le temps de travail a été réduit à 35 heures pour les cadres qui travaillaient 39 heures, et à 32 heures pour les salariés qui étaient aux 35 heures.
« Quand on nous a annoncé le projet, je trouvais ça intéressant et novateur mais j’avais une appréhension sur la gestion du temps : est-ce que j’allais pouvoir réussir à tout faire ? », se souvient Emilie Riou. Après un an et demi d’expérience et « une phase d'adaptation de deux mois », la brand manager de quarante ans est convaincue par sa nouvelle organisation. Son vendredi non travaillé lui offre plus de temps pour s’occuper d’elle-même et de sa fille. Depuis récemment, elle profite également de ce temps pour s’engager auprès de l’ONG WWF. « Avoir un jour de libre par semaine permet d’ouvrir son esprit », témoigne-t-elle.
Même son de cloche du côté d’Alain Corestini, commercial de 29 ans au sein de l’entreprise tourangelle Suivi de flotte. Participant à une expérimentation depuis le mois de septembre 2023 avec huit autres collègues visant à établir une semaine de quatre jours sur deux, il n’en retire « que du positif ». En télétravail à 100 % depuis le sud-ouest de la France, Alain Corestini a conservé le même temps de travail de 39 heures par semaine mais réparti de manière différente. Il alterne désormais entre une semaine de cinq jours à 43 heures et une semaine de quatre jours à 35 heures. Un système « qui demande une organisation différente » mais qui lui libère du temps personnel, assure-t-il. Son vendredi disponible tous les quinze jours lui permet notamment de faire du sport ou de prendre des rendez-vous personnels, par exemple médicaux.
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L’enjeu, garantir la cohésion d’équipe
Pour Alain Corestini, habitué à effectuer de longs horaires, la semaine de quatre jours contribue à augmenter sa motivation au travail, sans augmenter sa fatigue. « C’est ma troisième année dans l’entreprise et depuis que j’ai commencé la semaine de quatre jours, j’ai réalisé ma meilleure période en termes de résultats », note le commercial. Un argument de plus qui le convainc à garder ce rythme à la fin de l’expérimentation. Une « disponibilité d’esprit », également louée par Émilie Riou.
« Il faut accepter que les projets prennent parfois plus de temps », nuance toutefois la brand manager. « Mais quand tout le monde est sur le même rythme, on ne le sent plus », ajoute-t-elle. Pour la salariée, la semaine de 4 jours, accompagnée d’une réduction du temps de travail, permet de réduire la pression de la productivité et côtoie une volonté d’inscrire le travail dans le temps long.
Sa mise en place demande toutefois un effort d’organisation à l’entreprise pour coordonner un travail d’équipe étalé sur cinq jours et préserver la cohésion. « Je pense que ce qui a été bien fait est d’avoir donné un cadre fixe à la semaine. Il est fondamental pour assurer la continuité de service et pour l'organisation personnelle », assure Emilie Riou. Chez Elmy, elle a intégré un système de binômes dans lequel chacun des salariés choisit pour un an de ne pas travailler soit le mercredi, soit le vendredi. « Il y a besoin d’une bonne cohésion et d’une bonne continuité dans les échanges », argumente quant à lui Alain Corestini.
Un facteur d’attractivité de l’entreprise ?
Pour condenser leurs efforts sur quatre jours, les entreprises misent également sur la réduction des temps de réunions. C’est sur ce levier qu'à entre autres joué Mozoo, une agence de création digitale installée à Paris. Depuis trois ans, l’entreprise a conservé un rythme de 35 heures de travail par semaine, mais répartie en quatre journées densifiées par semaine. Les salariés arrivent un peu plus tôt le matin, prennent une pause déjeuner plus courte et participent à moins de réunions. « Une manière de se réapproprier son emploi du temps », met en avant le cofondateur de l'entreprise, Mathieu Rostamkolaei. Les salariés fonctionnent également par binôme pour permettre l’ouverture de l’agence sur cinq jours et ont conservé des jours de télétravail.
Pour évaluer son expérimentation, Mozoo a mis en place deux familles d’indicateurs : les qualitatifs centrés sur le bien-être des salariés et les quantitatifs anglés sur la performance de l’entreprise. « Toutes les notes des indicateurs qualitatifs sont en augmentation depuis trois ans et en moyenne chaque indicateur quantitatif a augmenté de 25 % », met en avant son cofondateur.
Mathieu Rostamkolaei, qui a rédigé avec son associé Jules Minvielle et l’autrice Mathilde Desaché le livre Happy Work Place, en est convaincu : la semaine de quatre jours participe au bien-être de ses salariés, ce qui génère de la productivité. Sa mise en place fait d’ailleurs gagner de l’attractivité à son entreprise au niveau des recrutements, remarque-t-il.
Derrière le vernis, des réalités variées
Un constat partagé par Emilie Riou mais nuancé par Noémie Khenkine-Sonigo, ancienne avocate et fondatrice de l’application de soutien aux parents séparés Team’Parents. Pour les parents séparés et pour les parents seuls, la semaine de quatre jours peut se transformer « en fausse bonne idée », explique Noémie Khenkine-Sonigo.
La question se pose notamment pour la semaine en quatre jours sans réduction du temps de travail, comme le propose Gabriel Attal pour la fonction publique. « L’aspect positif est que les parents ont du temps pour eux quand leurs enfants sont à l’école et qu’ils ne travaillent pas. Mais le problème peut venir de l’allongement des journées de travail, lorsque les parents n’ont pas de relais suffisants pour s’occuper de leurs enfants », explique celle qui intervient aussi en entreprise pour sensibiliser sur la monoparentalité.
Noémie Khenkine-Sonigo insiste sur le fait qu’on ne peut pas imposer un changement de rythme au salarié sans son accord. Contractuellement, la mise en place d’une semaine de quatre jours nécessite la signature d’un avenant. « Le plus important est d’instaurer un dialogue et que chacun soit maître de ses décisions. On ne peut pas calquer un modèle unique sur tous les parents de France », argue-t-elle.
En pratique, la semaine de quatre jours recouvre des réalités variées selon l’organisation des entreprises et selon qu’elle soit accompagnée ou non d’une réduction du temps de travail. Une distinction jugée fondamentale par Sarah Proust, experte associée à la fondation Jean Jaurès et fondatrice du cabinet de conseil Selkis.
« La semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail est souvent avancée comme une compensation pour les salariés qui n’ont pas de télétravail et répond à des sollicitations individuelles », explique Sarah Proust. Pour l’experte à la fondation Jean Jaurès, la manière dont la mesure est adoptée fait courir le risque de perdre l’existence d’un commun au travail, ce qui diminuerait sa qualité.
Le bilan de son impact sur les familles et sur l’égalité femmes-hommes serait également mitigé. « Le mesure n’est attractive que si les conditions individuelles le permettent. Elle ne répond pas de manière commune à un nouveau droit pour les salariés », conclut-elle.
Elisabeth Crépin-Leblond