Les associations d’aide aux personnes migrantes dénoncent la fronde contre leurs subventions
Le député Éric Ciotti a proposé de réduire significativement les subventions versées aux associations d’aide aux personnes migrantes. Cette mise en cause s’inscrit dans un contexte plus large de défiance, déplorent ces dernières, qui assurent parfois des missions de service public.
Réduire de 500 millions d’euros les subventions versées aux associations en charge de l’accueil et de l’intégration des personnes exilées : c’est la proposition effectuée par le député Éric Ciotti en commission des lois à l’Assemblée nationale, ce mercredi 25 octobre. Celui qui est égalemente président du parti Les Républicains juge que l’action de ces associations a des « conséquences dramatiques », dont l’assassinat du professeur Dominique Bernard, à Arras, le 13 octobre.
Le coupable présumé est un terroriste dont l’expulsion du territoire a été empêchée en 2014 par une association d’aide aux migrants, La Cimade. Cette dernière, en revanche, « refuse de faire le lien entre ce drame et la mobilisation intervenue il y a 10 ans au nom du respect des droits d’une famille », selon un court texte publié sur son site internet le 16 octobre.
Si l’amendement a été rejeté, ce n’est pas la première fois que des élus s’en prennent aux subventions versées aux associations d’aide aux personnes exilées. « Ce sont des propos emblématiques d’un contexte que nous vivions depuis quelques mois, dramatiquement aggravé ces derniers jours », déplore auprès de Carenews Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade. Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée, a été condamnée le vendredi 13 octobre pour diffamation envers la Cimade après l’avoir accusée d’organiser une « filière d’immigration clandestine en provenance des Comores » à Mayotte. Elle avait alors appelé au retrait de ses subventions.
Contexte latent
« C’est dans l’air du temps », fustige également Yann Manzi, coordinateur national de l’association Utopia 56, qui soutient des personnes exilées. Elle ne reçoit pas de subventions publiques, mais des dons d’entreprises et de particuliers, ce qui permet de réaliser des déductions fiscales.
Il y a une terrible inversion des responsabilités.
Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade.
« Il y a une terrible inversion des responsabilités », ajoute Fanélie Carrey-Conte. « On considère que ce sont les associations et le travail de solidarité vis-à-vis des personnes vulnérables qui poserait problème. Ce discours repose sur un certain nombre d’amalgames et de mensonges ». Les actions de La Cimade, multiples, reposent à moitié sur des subventions publiques, issues de l’État et des collectivités territoriales. Il s’agit par exemple de missions d’hébergement et d’accueil de personnes exilées, d’accompagnement dans l’accès aux droits ou des ateliers d’apprentissage du français.
Un travail indispensable pour l’accès au droit
En 2021, 750 millions d’euros ont été versés à 1 350 associations d’aide aux nouveaux arrivants, a indiqué le Ministère de l’intérieur et des outre-mer en avril dernier. Il répondait à une question de la sénatrice centriste Nathalie Goulet, qui cherchait à connaître le montant des financements publics de ces associations. « Leur action est strictement encadrée », a précisé le ministère, rappelant que « la politique publique s’appuie largement sur des opérateurs associatifs » pour des missions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement d’étrangers primo-arrivants. Cela garantit à ces personnes leur « accès aux droits, au logement, en matière de formation professionnelle et d'insertion sur le marché du travail, de formation linguistique et également en matière de santé. ».
La politique publique s’appuie largement sur des opérateurs associatifs.
Ministère de l'intérieur et des outre-mer, avril 2023.
« Aujourd’hui, les associations sont indispensables à la mise en œuvre d’un certain nombre de politiques publiques que l’État n’est pas en capacité de gérer ou ne saurait pas gérer », estime quant à elle Fanélie Carrey-Conte. « Éric Ciotti le sait très bien. C’est ça qui est très hypocrite dans ses propositions. » La suppression des financements étatiques aurait donc des conséquences délétères sur le droit des personnes.
Des suspicions sur l’action des associations
Éric Ciotti reconnaît, dans l’exposé des motifs de son amendement, que « l'État s’appuie sur ces associations pour des actions parfois utiles », en ajoutant que « nous savons bien aussi qu'elles aident les clandestins à leur arrivée sur notre territoire national et favorisent leur maintien dans notre pays ». Une accusation reprise en commission par la députée Blandine Brocard, du groupe Modem et Indépendants, qui estime avoir « un peu de mal à mettre toutes les associations dans le même sac » mais que « certaines se font du beurre sur le dos de pauvres bougres » et« alimentent les réseaux de passeurs ».
« Se focaliser sur les associations, c’est vraiment une façon de détourner le regard d’un certain nombre d’enjeux », répond Fanélie Carrey-Conte. « On a vite oublié les drames humains que constitue la mort des milliers de personnes tous les ans sur les parcours migratoires. ».
Célia Szymczak