Les mots qui ont marqué l’année #3 : régénératif
Le terme « régénératif » est de plus en plus utilisé dans le monde de l’engagement économique, par des entreprises souhaitant qualifier leur mobilisation pour le vivant. Sans définition officielle pour le moment, il comporte des risques de greenwashing.
« Régénératif » : d’abord appliqué à l’agriculture, ce concept est employé par de plus en plus d’entreprises pour désigner leur engagement face à l’urgence écologique. Mais que signifie-t-il réellement ? Qu’implique-t-il pour les entreprises ?
Il est notamment mobilisé par la Convention des entreprises pour le climat (CEC), une association créée en 2023. Elle se fixe pour raison d’être de « rendre irrésistible la bascule d’une économie extractive vers une économie régénérative d’ici 2030 ». Elle propose aux dirigeants d’entreprises de participer à des parcours pour leur faire prendre conscience du défi climatique. L’objectif : faire évoluer leur modèle d’affaire pour l’inscrire dans les limites planétaires.
Vendre moins ?
Une entreprise régénérative « se donne pour ambition de régénérer les services écosystémiques [des services rendus par la biodiversité aux activités humaines, comme la fourniture d’eau douce] et de redonner sa place au vivant », précise Éric Duverger, le fondateur de la CEC, dans un entretien accordé à Carenews en mars. Ce dernier estime que les mesures écologiques et sociales mises en œuvre par les entreprises pour le moment sont insuffisantes et trop peu ambitieuses.
Celles qui participent au programme de la CEC doivent, à l’issue de ce parcours, établir une feuille de route visant à faire évoluer leur entreprise vers un modèle régénératif. Ainsi Renault Trucks, qui a participé à un parcours de la CEC, a « assumé la perspective de vendre moins de camions neufs, a beaucoup investi sur le reconditionnement des camions et développe des modes de transports radicalement plus écologiques en ville », illustre Éric Duverger.
Une entreprise peut rarement « être » régénérative
Comment s’assurer qu’une entreprise soit réellement régénérative ? En d’autres termes, comment éviter une vague de greenwashing ? Une note intitulée « L’entreprise à visée régénérative » publiée par le think tank Lumia interroge les conditions permettant à une entreprise de se qualifier de régénérative et vise à mieux cadrer le concept.
Selon ce document, une entreprise régénérative ne se contente pas de réduire ses impacts négatifs sur l’environnement. Elle doit contribuer à réparer - régénérer - les écosystèmes et les communautés humaines dont elle dépend et sur lesquelles elle a un impact. Il ne s’agit pas de planter des arbres pour compenser ses émissions de gaz à effet de serre, par exemple, mais bien de transformer directement son cœur d’activité.
Les auteurs détaillent les grands principes et les caractéristiques d’une entreprise à visée régénérative. Par exemple, elle « est capable de se limiter », c’est-à-dire de ne pas avoir une croissance indéfinie. Elle « partage la valeur monétaire avec ses parties prenantes et pour l’intérêt général » : elle rémunère de façon juste ses collaborateurs, elle réinvestit la majorité de ses bénéfices dans son activité et elle redistribue d’éventuels profits pour soutenir l’intérêt général.
« En réalité, une entreprise ne peut être réellement régénérative sur son périmètre propre que si elle a une activité directement liée au vivant, par exemple si elle intervient dans le domaine agricole », prévient Christophe Sempels, le directeur général de Lumia, dans un article publié en janvier. En effet, une entreprise n’est considérée comme régénérative que si elle a des impacts positifs nets directs sur les écosystèmes, mais toutes les entreprises ne sont pas en contact direct avec le vivant.
Une norme dans les six ans à venir ?
Autre initiative allant dans le même sens : en octobre dernier, un référentiel sur le sujet a été publié par Afnor, un groupe spécialisé dans l’élaboration de normes pour les entreprises et le développement durable. Ce guide, appelé « Afnor spec » établit une définition de l’économie régénérative et donne aux organisations – entreprises, collectivités ou même associations - des moyens de s’engager dans cette voie avec des bonnes pratiques, des exemples et des critères. Il a été élaboré à partir du travail de représentants d’entreprises, d’ONG et du monde de la recherche.
Selon les auteurs, l’économie régénérative est un « modèle d’activité agissant pour l’intégrité du vivant, humain et non humain, et soutenant la vitalité des écosystèmes écologiques et sociaux avec lesquels il co-construit, dans une spatialité définie. Sa création de valeur se caractérise par une prospérité écologique, sociale et économique, en intégrant le renouvellement continu, en qualité et en quantité, des matériaux, de l’énergie, des ressources naturelles et des capacités humaines et non humaines ». Avec cette définition ambitieuse, une entreprise peut davantage contribuer à l’économie régénérative comme objectif collectif ou adopter une approche régénérative que l’être en elle-même.
L’objectif des auteurs du document est d’élaborer une norme internationale et de mieux cadrer l’usage du terme, d’ici cinq à six ans. Une manière d’éviter qu’il ne soit qu’un mot de plus pour qualifier l’engagement des entreprises et de permettre une véritable transformation ?
Célia Szymczak