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Par Carenews INFO - Publié le 10 juillet 2023 - 18:29 - Mise à jour le 11 juillet 2023 - 09:36 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Révolte des banlieues : « Dans les quartiers, nous sommes des agents d’espoir » (Claudia Ruzza, Positiv, ex Positive Planet)

Positiv (ex Positive Planet) accompagne les personnes des quartiers vers l’entrepreneuriat. Entretien avec sa directrice générale à la suite des protestations et violences qui ont suivi la mort de Nahel.

Claudia Ruzza. Crédit : Positive Planet
Claudia Ruzza. Crédit : Positive Planet

 

Positiv (ex Positive Planet) est une association créée en 2005. Elle accompagne les personnes des quartiers dans leur aventure entrepreneuriale pour favoriser leur inclusion. 2 300 personnes sont accompagnées chaque année dans 170 quartiers. L’accompagnement se situe entre le mentorat entrepreneurial et l’accompagnement social pour s’adapter au profil des personnes suivies. Claudia Ruzza est directrice générale depuis 2022. Nous lui avons parlé suite aux protestations et violences qui ont suivi la mort de Nahel après qu’un policier lui a tiré dessus à Nanterre le 27 juin.

 

  • Vous avez publié un post LinkedIn à la suite de la mort de Nahel pour parler des discriminations qui existent dans la société. Pourquoi c’était important pour vous ?

Ce post a été publié en tant que citoyenne, à titre personnel. J’ai fait tout mon collège et mon lycée dans la banlieue lyonnaise, en sport-études football. Durant mes études, j’observais qu’il y avait plus de discriminations à  l’encontre de mes camarades que de moi. 

Je suis née énervée et engagée. Dès mon collège, j’ai vu ce qu’était la pauvreté, que d’avoir une éducation parfois défaillante avec l’État qui n’investissait plus dans ces quartiers. 

Après, je me suis engagée à travers mon travail. Je suis arrivée il y a neuf ans chez Positive Planet. Depuis, je constate ce qu’il se passe sur les territoires.

 

  • Quel est votre regard sur les événements qui se sont déroulés ?

Les violences sont tout à fait inexcusables d’autant qu’elles détruisent parfois les outils de travail de ses habitants. 

En revanche, ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas excusables qu'elles ne sont pas explicables. Ce qui arrive aujourd’hui était prévisible. Cela fait des années qu’on sent des tensions. Cela fait des années que l’État essaie d’investir, mais ne le fait pas suffisamment. Les jeunes ont le sentiment qu’il y a une inégalité profonde et qu’ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone.

Chez Positiv, on voit qu’il y a beaucoup de compétences, de talents dans les quartiers. Beaucoup de gens ont envie de s’en sortir. En revanche, ces jeunes ont l’impression qu’il n'y a pas d’opportunité, que toutes les portes sont bouchées.

 

  • La structure est née après les violences de 2005. 18 ans après, nous avons  l’impression que ce sont les mêmes problématiques qu’à l’époque. Pourquoi selon vous n’a-t-on pas assez progressé ?

On ne s’est pas assez saisi du sujet. On a pris des décisions qui, à mon sens, n’ont pas répondu aux problèmes. Il y a eu de l’argent mis sur la table pour rénover les quartiers. Mais cela ne suffit pas, car je pense que l’on s’est intéressé qu’à un problème précis, sans s’investir sur l’ensemble des problématiques. Il n’y a pas eu de gestion holistique.

Dans ces quartiers, il y a moins de professeurs, moins de médecins qu’ailleurs. Pourtant la jeunesse y est prédominante. Autour de cette question des quartiers, c’est tout l’avenir du pays qui est en jeu. 

La question qu’il faut se poser, c’est comment on arrive à créer un nouvel avenir pour les quartiers. Il y a eu une accumulation de non-prises de décisions.

Il faut traiter la paupérisation de ces territoires. Un enfant sur deux vit dans une famille pauvre. Il faut investir sur l’égalité. 

Je pense qu’il faut beaucoup de courage pour essayer de trouver des solutions. Il faut s’appuyer davantage sur les habitants et les associations. Ils ne sont pas assez écoutés.

 

  • Vous êtes un acteur de terrain. Quel a été votre rôle durant les protestations des dernières semaines ?

Nos locaux n’ont pas été vandalisés, nous avons pu continuer de mener à bien notre action sur les territoires. Certains de nos collaborateurs, très ancrés dans les quartiers, ont été mobilisés pour essayer d’apaiser la situation. On a eu ce rôle, pas forcément au titre de Positiv.

Ce travail de médiation, on le fait quotidiennement. Nous sommes présents dans les quartiers depuis 2006. On y était hier, on y est aujourd’hui, on y sera demain. Nous y serons toujours plus. 

Nous souhaitons aussi pouvoir faire le pont entre le gouvernement et la réalité des habitants des quartiers. On aimerait davantage être le porte-voix de ceux que l’on entend pas. 

 

  • En quoi l’entrepreneuriat peut être bénéfique dans les quartiers ?

C’est un constat : la nouvelle génération souhaite entreprendre. En revanche, je ne pense pas que tout le monde puisse devenir entrepreneur. Il faut avoir certaines compétences, caractéristiques. 

Pour certaines personnes, l’entrepreneuriat les mettrait dans une situation encore plus précaire qu’actuellement.

Dans ces quartiers, il y a une débrouillardise, une force, des talents, qui matchent très bien avec l'entrepreneuriat.

Derrière les révoltes actuelles, il y a un besoin de reconnaissance, d’être écouté. L'entrepreneuriat peut y répondre. Il y a une fierté à créer une entreprise, on valorise énormément les chefs d’entreprises. 

 

  • Est-ce que les événements des semaines passées vous ont questionné sur votre activité ? Souhaitez-vous faire plus ou différemment ?

Nous avons mis en place un plan stratégique 2022-2027. L’ambition est d’accompagner 6 000 personnes dans les quartiers par an en 2027, donc de faire davantage. Mais ce ne sont pas les événements récents qui ont créé notre envie de faire plus.

En revanche, cela a renforcé l’envie de faire et montré à nos équipes leur importance. Nous sommes des agents d’espoir sur ces territoires, nous leur montrons qu’il y a un avenir autre que celui auquel ils pensent.

En revanche, nous ne pouvons pas être seuls. Il faut que les politiques se saisissent de ces sujets-là. C’est un peu la dernière chance. Soit on fait quelque chose, soit cela se reproduira.

 

  • Quelles mesures pourraient être mises en place à court ou moyen terme à ce sujet ?

Il faut sortir de la boucle police contre jeunes. Sinon, il n’y aura pas  de bonne solution. Il y a un sujet autour de la police de proximité qui est important. 

Il y a quelques temps, nous avons mis en place des zones franches urbaines. Au départ, ce n’était pas un mauvais dispositif. Mais finalement, elles ont servi de boîte-aux-lettres à des entreprises. On pourrait réfléchir à des zones franches avec un quota d’habitants du quartier embauchés par ces entreprises.

Ensuite, il y a beaucoup de micro-entreprises dans les quartiers. Ce statut est facile pour se lancer, mais peut mettre en difficulté et s’apparenter à du salariat déguisé. Nous militons pour un micro-accompagnement très court, qui donne les bases aux micro-entrepreneurs, pour éviter qu’ils se mettent dans une situation chaotique.

Il y a beaucoup de structures de l’ESS qui font de l’accompagnement à l’ESS, mais ils n' arrivent pas à toucher les habitants des quartiers. Or, si on laisse les habitants des quartiers prendre du retard et créer des entreprises qui ne prendraient pas en compte leur impact environnemental, social, cela pose un problème. Dans 5-10 ans, cela deviendra un désavantage concurrentiel de ne pas être responsable. Nous militons pour qu’il y ait un fonds de soutien et d’investissement aux entreprises positives qui prennent en compte leur impact.

Enfin, sur la partie éducation, les stages de troisième, qu’on appelle les “stages kebab” dans les quartiers ne sont pas très utiles, car il faut avoir un réseau pour être  utile. Une proposition : au lieu du stage, permettre aux jeunes de créer une entreprise fictive en une semaine. 

Il y a enfin la question de la protection sociale des dirigeants. Nous souhaitons que les droits des salariés et des dirigeants se rapprochent, pour faire prendre le moins de risque à ceux qui se lancent en étant dans une situation parfois difficile.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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