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Par Carenews INFO - Publié le 3 octobre 2025 - 12:26 - Mise à jour le 3 octobre 2025 - 13:08 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Sécurité sociale de l’alimentation : quels premiers retours pour l’expérimentation de Montpellier ?

L’expérimentation de caisse alimentaire commune, inspirée de la sécurité sociale de l’alimentation, à Montpellier a fait l’objet d’une recherche-action de 2022 à 2024. Réduction de la précarité et du stress, pouvoir d’agir, lien social, violence symbolique… Pauline Scherer, sociologue, revient sur les principaux enseignements de leurs travaux.

La Mona est une monnaie locale créée spécifiquement pour l'expérimentation. Crédit : Pauline Scherer.
La Mona est une monnaie locale créée spécifiquement pour l'expérimentation. Crédit : Pauline Scherer.

 

À Montpellier, l’expérimentation inspirée par la sécurité sociale de l’alimentation portée par plusieurs organisations, a débuté en 2022. La première étape a d’abord été la mise en place d’un comité citoyen chargé de définir les règles de fonctionnement de la caisse alimentaire commune, avant le lancement officiel de cette dernière en février 2023.  

 


 

Son mode de fonctionnement repose sur un principe simple. Les participants tirés au sort cotisent de manière libre selon leurs revenus, entre 1 et 180 euros mensuels, et reçoivent en retour chaque mois 100 monas, une monnaie numérique locale créée spécifiquement pour l’expérimentation. Avec cette somme, ils peuvent réaliser des achats alimentaires dans les établissements conventionnés par le comité citoyen et sélectionnés selon des critères de durabilité. 

Le but de ce dispositif est triple. Il s’agit à la fois de lutter contre la précarité alimentaire par un mécanisme de solidarité, de favoriser des pratiques d’alimentation durable chez les participants et de soutenir les exploitations et initiatives locales œuvrant en ce sens.  

  

Une expérimentation pour « répondre à des limites systémiques » sur l’alimentation 

  

Impliquée depuis une dizaine d’années sur ces questions dans le milieu associatif, Pauline Scherer est sociologue et coordinatrice recherche et expérimentation de l’association Vrac et Coccinas. Elle fait partie des acteurs à l’origine de l’expérimentation, avec Nicolas Bricas, vice-président de Vrac France et titulaire de la chaire Unesco Alimentations du monde de l'Institut Agro Montpellier et du Cirad. 

« Il y a eu une convergence entre le monde associatif et le monde de la recherche, qui est la continuité ce qui existait déjà sur les questions alimentaires », rembobine-t-elle. À la sortie de la crise du Covid-19, des opportunités de financements ont été créées par les pouvoirs publics locaux et ont réveillé chez plusieurs personnes de la région « cette envie d’action et d’engagement ». « Nous touchions tout le temps à des limites pour améliorer l’accès de tous à une alimentation de qualité et nous voulions faire quelque chose de plus ambitieux », raconte Pauline Scherer.  

 


À lire également : Des associations chiffrent « l’injuste prix de notre alimentation »


 

Le binôme a donc lancé en même temps que l’expérimentation, une démarche de recherche-action, rassemblant une dizaine de chercheurs, ainsi que des membres de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) pour le conseil scientifique. « C’est une posture de recherche assez impliquée où nous intervenons pour animer des ateliers par exemple. Mais il y a aussi une approche d’observation avec des questionnaires auprès de tous les participants, remplis avant de rentrer dans la caisse et à l’issue de la première phase en 2024, ainsi que des entretiens individuels et collectifs », explique Pauline Scherer. Depuis le début de l’expérience, 318 questionnaires ont été remplis par les participants à l’arrivée et 232 à la fin de la première phase. 48 entretiens individuels ont également été menés, ainsi que des échanges avec une trentaine de points de vente conventionnés et trois entretiens collectifs. 

  

Savoir que ce budget revient chaque mois n’agit pas seulement sur l’alimentation, mais aussi sur la réduction du stress ». Pauline Scherer.  

Des effets bénéfiques d’un point de vue alimentaire mais aussi psychologique et social 

  

De ce travail de recherche, plusieurs points saillants ressortent. « Au niveau de la réduction de la précarité alimentaire, nous avons des résultats assez forts », détaille par exemple Pauline Scherer. Les 100 monas par mois correspondent à environ un tiers du budget minimum d’alimentation d’une personne seule, estimé à 280 euros. « Pour les familles, c’est plus anecdotique. C’est pour cela que nous avons voulu augmenter le volume des monas en fonction de la composition du foyer. Cela peut désormais monter à 220 monas par mois », explique la sociologue. 

Pour les personnes en situation de précarité, le versement d’un budget régulier dédié à l’alimentation a eu des effets bénéfiques sur un plan matériel, mais aussi d’un point de vue psychologique, rapporte la chercheuse. « Savoir que ce budget revient chaque mois n’agit pas seulement sur l’alimentation, mais aussi sur la réduction du stress », pointe-t-elle. « Nous avons aussi des résultats importants sur des produits perçus comme plus qualitatifs, notamment plus d’achats de fruits ou d’aliments plaisirs », détaille-t-elle encore. 

L’aide budgétaire à l’alimentation joue également un rôle social. « Nous avons beaucoup de données sur le fait qu’avoir accès à de nouveaux produits permet de renouer des liens, comme inviter de nouveau ses amis ou sa famille chez soi à partager un repas », souligne Pauline Scherer.  

  

Le soutien aux producteurs locaux plus difficile à évaluer  

  

Du côté du soutien aux points de vente conventionnés, les bénéfices sont moins visibles. « Les résultats observés sont légers, car nous sommes encore jeunes et petits », relève la chercheuse. L’étude des tickets de caisse des 404 foyers participants montrent néanmoins que plus de 80 % des achats réalisés avec les monas concernent des produits issus de l’agriculture biologiques. Deux points de vente ont quant à eux capté 60 % des dépenses.  

« L’effet économique est très disparate d’un point de vente à l’autre. Les producteurs sur les marchés ont par exemple capté moins de monas proportionnellement que la Cagette ou Biocoop [NDLR : deux magasins bios de centre-ville], mais la part de chiffre reste non négligeable pour certains d’entre eux », met en avant Pauline Scherer. « Ce que nous ne pouvons pas dire, c’est si la caisse permet de sécuriser leurs débouchés de manière pérenne », ajoute-t-elle. 

L’expérimentation a également permis une plus grande mixité sociale dans les commerces montpelliérains de l’alimentation durable. Un apport à double tranchant. « Une diversification de la clientèle a été notée de façon importante. L’effet plus négatif est que cela s’est accompagné d’une forme de violence symbolique pour certaines personnes en situation de précarité, qui ne se retrouvaient pas dans ces lieux et trouvaient les prix trop chers », explique la sociologue. « Comme ce sont des lieux plutôt accueillants, les craintes ont souvent fini par être levées », tempère-t-elle néanmoins. 

 

 Nous voudrions toucher des personnes qui ont des moyens mais qui ne sont pas forcément engagées dans des pratiques alimentaires durables. Pauline Scherer.  

Un aspect démocratique fort, relèvent les chercheurs 

  

À l’avenir, la caisse commune de l’alimentation de Montpellier souhaite toutefois apporter une attention particulière sur la diversité des lieux conventionnés, pour que chacun des participants puissent se sentir à l’aise, et pour y inclure davantage de lieux de proximité.  

Pour Pauline Scherer, l’enjeu est aussi de parvenir à fédérer de nouveaux milieux sociaux. « Nous voudrions toucher des personnes qui ont des moyens mais qui ne sont pas forcément engagées dans des pratiques alimentaires durables. Car l’objectif de la caisse est de lutter contre la précarité alimentaire mais aussi d’inciter l’ensemble de la population à faire évoluer leurs pratiques alimentaires », met-elle en avant. 

La chercheuse relève notamment des effets importants du comité citoyen de la caisse commune, composé aujourd’hui d’une soixantaine de personnes et dont la moitié connaissent la précarité.  

« Il y a un vrai aspect démocratique, avec beaucoup d’effets sur le développement du pouvoir d’agir par rapport à l’alimentation. Cela se traduit par un goût du collectif retrouvé, le développement de davantage de confiance et d’une estime de soi, ainsi que le développement de compétences et de connaissances », analyse-t-elle. Cet effet, très fort chez les membres du comité citoyen, est néanmoins plus faible lorsque qu’il est pris au niveau de l’ensemble des participants. « Chez certains participants orientés par des travailleurs sociaux, la caisse est vécue comme une aide sociale. Ce n’est pas une fierté, alors que pour les membres du comité citoyen, c’en est une grande », rapporte Pauline Scherer. 

  

Un dispositif à étendre ? 

  

Aujourd’hui, la caisse commune de l’alimentation de Montpellier est financée à 50 % par les cotisations des participants, et à 50 % par des subventions publiques ainsi que des mécènes privés. Depuis cette année, un second volet a été mis en place avec la ville et la métropole de Montpellier. Il s’agit d’une caisse d’investissement destiné aux acteurs du système alimentaire. 

Un financement apporté par la Banque des territoires devrait également permettre de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2029. « Cela dépendra de l’évolution du dispositif et de l’engagement des personnes. C’est tout un écosystème humain qui doit perdurer pour que la caisse continue dans ces valeurs », pointe Pauline Scherer. Quant à la possibilité d’étendre l’expérimentation à plus grande échelle, la sociologue reste prudente. « Entre l’expérimentation actuelle et le projet politique de sécurité sociale de l’alimentation, il y a un écart important. Nous sommes en train d’inventer quelque chose, mais nous ne sommes pas encore arrivés à un modèle d’action bien ficelé qui pourrait essaimer partout », conclut-elle. 

 

Élisabeth Crépin-Leblond 

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