Avec le film « Les Éclaireurs », Hélène Cloître et Arthur Gosset continuent d’explorer la transition écologique du travail
Les deux réalisateurs nous emmènent à la rencontre de personnes engagées pour la transition écologique de leur métier ou de leur entreprise dans un documentaire. Auparavant, Hélène Cloître et Arthur Gosset ont co-produit un film sur les étudiants « bifurqueurs » et ont créé une association pour faire connaître les métiers durables en Bretagne.
400 personnes sont venues les applaudir, au cœur de Paris, ce 6 novembre. Hélène Cloître et Arthur Gosset présentent leur nouveau film, Les Éclaireurs, à une salle conquise. Face au public, ils expriment leur joie et leur reconnaissance. Cela fait trois ans qu’ils travaillent sur le documentaire, dans lequel ils s’attaquent à un enjeu de très grande ampleur : la transition écologique dans le monde du travail.
Le duo se met en scène pour nous faire découvrir le parcours de Soizic, un gendarme qui a créé une application pour mieux réagir face aux crimes environnementaux et souhaite la généraliser, ou de Sophie, une cheffe d’entreprise en train de réinventer son modèle de production de cosmétiques pour bébé, en renonçant à du chiffre d’affaires. Ils suivent aussi les péripéties de Jules, un doctorant qui conçoit du béton durable dans une société du bâtiment, sans oublier les salariés qui ont repris dix ans plus tôt leur usine de production de thé, sous forme de coopérative.
Un premier film sur les « bifurqueurs »
Au départ, il y a une démarche devenue presque classique. Hélène Cloître et Arthur Gosset, 30 et 28 ans, font partie de ces étudiants de grandes écoles qui se sont interrogés ouvertement sur leur cursus et les manières les plus efficaces de contribuer à la transition dans leur activité professionnelle.
Son diplôme de l’Iéseg en poche, en 2018, Hélène Cloître passe un an et demi dans une multinationale de la grande distribution. Mais elle fait très rapidement face à des désillusions, quand elle constate l’ampleur du gaspillage ou quand sa direction rejette le projet de vente de lessive en vrac sur lequel elle a longuement travaillé. Pour « s’aligner avec [ses] convictions », elle fonde une conserverie anti-gaspi et quitte l’entreprise.
Arthur Gosset, lui, choisit très vite la caméra. Alors qu’il est en année de césure à Centrale Nantes, et sans formation de documentariste, il filme Hélène et cinq autres étudiants de Centrale, Polytechnique ou Sciences po qui empruntent des voies professionnelles perçues comme « alternatives ».
Une association pour accompagner les étudiants
Intitulé Ruptures et co-produit par Hélène Cloître, le film sort en 2022. 900 projections sont organisées dans des cinémas, des festivals, mais aussi des collectivités, des entreprises et des établissements de l’enseignement supérieur. « Ce qui a poussé Ruptures, ce sont les étudiants eux-mêmes », raconte Hélène Cloître.
Quatre ans après le début des « Marches pour le climat », le mouvement d’une partie de la jeunesse demandant aux gouvernements de renforcer la lutte contre le changement climatique, des mobilisations ont toujours lieu dans les grandes écoles. En juin 2022, des étudiants d’AgroParistech appellent par exemple leurs camarades à « déserter » les emplois néfastes pour la transition écologique.
Au fil des projections, Hélène Cloître et Arthur Gosset rencontrent des milliers d’étudiants, pas forcément issus de ces établissements prestigieux. Certains leur font remarquer qu’ils rencontrent des difficultés pour identifier les emplois engagés sur leur territoire.
Naît alors l’idée d’un forum des métiers durables. Le duo fonde une association appelée Séisme pour l’organiser à Rennes : Hélène Cloître s’est entre temps éloignée de la conserverie, désormais gérée par son associée, pour diffuser le film. La première édition a lieu en octobre 2023 et réunit 2 500 étudiants. L’association emploie aujourd’hui quatre salariés, un troisième forum a été organisé cet automne. 6 000 personnes y ont participé.
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Dépasser le clivage entre travail et environnement
Le besoin d’identifier des employeurs potentiels n’a pas été le seul retour des étudiants lors des projections. Beaucoup ont fait remarquer aux réalisateurs que bifurquer était un « privilège ». Pour certains, l’accès à un métier rémunérateur est indispensable, après des études supérieures parfois coûteuses.
Mais peut-on contribuer à la transition au sein du monde économique existant ? Au départ, Arthur Gosset est sceptique. « Je voyais les grandes entreprises comme des “grands méchants”. Je pensais qu’il fallait quitter le monde du travail conventionnel pour s’engager », explique-t-il. Hélène Cloître le convainc cependant de s’embarquer dans un nouveau documentaire sur le monde du travail, produit par la coopérative qui les emploie, Séisme, liée à leur association.
« Il y a des grands méchants, des entreprises que nous n’aurions jamais filmées », précise-t-elle. Certains modèles économiques, reposant sur « l’extractivisme » ou la « croissance à très court terme », par exemple, ne leur semblent pas « pérennes ». « Mais une entreprise, ce sont des humains », poursuit la réalisatrice. Ceux sont eux qui intéressent Hélène Cloître et Arthur Gosset. « Avec Ruptures, on s’écartait de certaines personnes. Il n’y a pas qu’une seule manière de s’engager, il y a des personnes qui s’engagent partout », insiste-t-elle.
Des « projets radicaux » dans les entreprises ?
D’où le choix de filmer Mahault, vendeuse dans un magasin d’une chaîne de bricolage bien connue, à Quimper (Bretagne), dans le documentaire. Celle-ci s’évertue à faire évoluer les pratiques de ce magasin. Elle veut notamment mettre en place un système de location d’outils de bricolage. Le spectateur suit son parcours, les difficultés qu’elle rencontre et les manières dont elle les dépasse parfois. Aujourd’hui, Mahault a quitté cet emploi, mais le groupe a généralisé un système de location sur tout le territoire à partir de cette initiative.
Tourner dans cette grande entreprise – dont le nom n’est pas cité dans le film – a fait débat entre les deux réalisateurs. Mais cette dernière leur a laissé la liberté dont ils avaient besoin pour le tournage. Et filmer ces scènes leur permettaient de s’adresser aux employés de grands groupes. Au moment de Ruptures, « je manquais franchement de nuance », estime Arthur Gosset. Aujourd’hui, en raison de ce tournage, il pense que des « projets radicaux » peuvent être menés au sein des entreprises comme en dehors.
Le film décliné par secteurs ?
Les Éclaireurs a demandé beaucoup de travail, d’abord pour mieux comprendre le sujet, interroger des spécialistes des enjeux de transition écologique et rencontrer les personnes engagées, dont les images n’ont pas toujours été retenues. Hélène Cloître et Arthur Gosset ont filmé 125 heures à deux, parfois aidés d’une troisième personne, qui a participé au montage. Trouver des partenaires a également demandé beaucoup d’efforts. TV5 Monde les a finalement soutenus : le documentaire est disponible gratuitement sur la plateforme en ligne de la chaine. S’ils se disent très satisfaits de cet appui, la recherche de partenaires a fait prendre conscience à Hélène Cloître que « les sujets environnementaux n’intéressent plus les chaînes de télévision ». « Ça reviendra », lui répond Arthur Gosset.
Depuis la sortie de Ruptures, en tout cas, le contexte a bien changé. Un collectif d’entreprises qui avait diffusé ce premier documentaire leur a répondu que l’écologie ne faisait plus partie des priorités des adhérents, davantage concentrés sur des enjeux économiques ou de management.
Mais les deux réalisateurs ne perdent pas leur optimisme pour autant. « Je crois en la force des récits », affirme Hélène Cloître. L’objectif, désormais, est de trouver d’autres partenaires, pour décliner le documentaire par secteur d’activité et embarquer ainsi dans leurs interrogations et leurs réflexions toujours plus de travailleurs. Sans penser, toutefois, que la transition sera uniquement le résultat d’actions individuelles. Comme le montre le film et le déclare la voix d’Arthur Gosset dans sa conclusion : « ce n’est qu’en collectif que nous pourrons créer un monde du travail robuste et résilient ».
Célia Szymczak 