Transition écologique des entreprises : « il faut qu’on “ESSise” la société »
L’économie sociale et solidaire constitue un modèle pour le reste de l’économie face aux défis écologiques et sociétaux. Mais à condition de parvenir à passer à l’échelle, selon les intervenants à l’une des tables rondes du Congrès de l’ESS le 12 juin à Paris.
Un monde frappé par les conséquences du changement climatique : chaleurs extrêmes, pénuries d’eau, chocs sur la production agricole, inondations... Et en retour, un monde où la sortie du pétrole et du gaz serait engagée, l’adaptation au changement climatique intégrée à la Sécurité sociale, les pratiques alimentaires et de mobilité transformées, la solidarité améliorée et les vulnérabilités réduites.
Ces deux mondes, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte les décrit en introduction et en conclusion de la table ronde « Pour une planète vivable : l’urgence à agir », organisée dans le cadre du Congrès national de l’économie sociale et solidaire d’ESS France le 12 juin à Paris. Le premier monde est celui que l’on connaît aujourd’hui, alors que les conséquences du changement climatique s’aggravent. Le second, c’est celui dans lequel Valérie Masson-Delmotte espère vivre dans dix ans.
Pour voir advenir cette société, il faut transformer les modèles économiques. Et dans ce but, l’ESS est une inspiration. Sylvain Waserman, le président-directeur général de l’agence gouvernementale de la transition écologique, l’Ademe, le souligne en introduction. Il constate la multiplication d’indicateurs de performance des entreprises sur les plans écologiques et sociaux. Ces données sont renseignées en parallèle des indicateurs financiers. « En quelque sorte, l’ESS devient mainstream. Vous avez préfiguré un chemin qui, de plus en plus, concerne l’ensemble du monde économique », lance l’ancien chef d’entreprise aux personnes présentes dans la salle.
Un effet tache d’huile sur les grandes entreprises ?
« Les entreprises de l’ESS sont les premières à avoir travaillé sur cette mesure de l’impact social et environnemental », abonde Caroline Neyron, la directrice générale du Mouvement impact France (Mif), un groupe d’entreprises engagées appartenant aussi bien à l’ESS qu’à l’économie conventionnelle. À ses yeux, l’ESS peut montrer aux structures désireuses de se transformer comment améliorer le partage de la valeur, du pouvoir et l’impact écologique, avec des objectifs chiffrés promus à l’échelle nationale et européenne.
« Il faut qu’on “ESSise” la société, appuie Yves Pellicier, le président de la mutuelle d’assurance Maif, l’entre-soi n’apporte rien ». Pascal Demurger, directeur général de la Maif, préside le Mif dans cette optique. Récemment, la Maif a aussi mis en place un dividende écologique. Cela signifie que l’entreprise réserve 10 % du résultat du groupe au financement de projets environnementaux. « On peut (...) faire la démonstration [aux autres entreprises] que c’est souhaitable et que c’est possible », assure le président de la mutuelle.
Des objectifs à plus grande échelle
Afin de jouer son rôle de modèle, l’ESS fait face à plusieurs défis. Renforcer « les passerelles » avec les autres entreprises d’une part et « passer à l’échelle » de l’autre, estime Sylvain Waserman. « Quand on pense passage à l’échelle, on pense à la méthode industrielle » précise Catherine Mechkour Di Maria, secrétaire générale du Réseau national des ressourceries et recycleries. Notamment à l’accroissement de la taille des structures. « Cette méthode (...) nous conduit dans la catastrophe dans laquelle nous sommes », considère-t-elle. Elle appelle plutôt à construire un réseau de « structures à tailles humaines connectées entre elles ».
Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, alerte toutefois sur un risque. Celui que les structures de l’économie sociale et solidaire restent des organisations de proximité et délaissent les champs nationaux et internationaux, où se décident les normes. Il faut inscrire dans la loi un salaire maximum et réglementer les écarts de rémunération, soutient-elle par exemple. Dans la même optique, Caroline Neyron appelle à favoriser les entreprises engagées avec des aides et une fiscalité dépendante des engagements sociaux et environnementaux.
Financement des organisations de solidarité
Catherine Mechkour Di Maria déplore quant à elle l’inégalité dans les financements accordés aux start-ups par rapport aux organisations citoyennes. « Si vous n’êtes pas capitalistiques, vous n’êtes pas crédibles(...). Il y a eu une espèce de lavage culturel », fustige-t-elle. Pourtant, les organisations solidaires manquent de moyens. La secrétaire générale du Réseau national des ressourceries et recycleries fait référence à l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur la situation financière critique des associations. Elle pointe aussi les « syndromes d’épuisement professionnels (...) dramatiques » dans le secteur.
Pourtant, les organisations de solidarité ont un rôle clé dans la transition écologique. Valérie Masson Delmotte a rappelé en introduction la nécessité d’une transition juste. « On ne peut pas s’attaquer au changement climatique sans s’attaquer de manière simultanée à la question des injustices sociales », rappelle Cécile Duflot.
Célia Szymczak