L’économie sociale et solidaire, fer de lance de l’entreprise responsable
Au congrès des dix ans de la loi ESS, un atelier soulignait le rôle de l’économie sociale et solidaire comme figure de proue de l’entreprise responsable, préoccupée par ses impacts sociaux et environnementaux, mais également soucieuse d’associer les différentes parties prenantes aux décisions et de partager la valeur créée, qu’elle soit économique, sociale ou environnementale.
« Les sociétés à mission ont été inspirées par les entreprises de l’économie sociale et solidaire » : c’est le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui soulignait ce point lors du congrès des dix ans de la loi ESS organisé par ESS France les 12 et 13 juin. « Les acteurs de l’ESS ont montré la voie pour s’interroger sur le sens que peut avoir une activité entrepreneuriale, au-delà de la simple recherche du profit », ajoutait-il.
Alors les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) peuvent-elles être des fers de lance de l’entreprise responsable ? La question faisait l’objet de l’un des ateliers organisés dans le cadre du congrès. De fait, les structures de l’ESS ont été les premières à revendiquer d’autres objectifs que la recherche du profit. D’initiative citoyenne, elles créent des activités pour répondre à des besoins sociaux identifiés et non satisfaits par le marché, par le biais d’entreprises détenues collectivement, à gouvernance démocratique et à gestion désintéressée. Parallèlement, elles affirment de plus en plus leur dimension d’utilité sociale ou environnementale.
L’intérêt des sociétaires au cœur des préoccupations
Entreprise majeure de l’ESS, la Maif se définit comme « assureur militant ». Comme le rappelle Annick Valette, qui en a été longtemps la vice-présidente, « la Maif est une mutuelle d’assurance qui a été créée par une centaine d’instituteurs il y a 90 ans, des hussards noirs de la République, pour affirmer certaines valeurs face aux assureurs capitalistes qui apparaissaient alors ».
Depuis 2020, elle a adopté la qualité de société à mission, qui lui a permis d’affirmer une raison d’être et cinq objectifs sociaux et environnementaux associés. Le premier : placer l’intérêt de ses sociétaires au cœur de ses activités. « Nous ne proposons à nos sociétaires que les contrats dont ils ont besoin, les contrats les plus couvrants possibles, et avec une qualité de service qui doit être irréprochable », souligne Annick Valette. Autre exemple : « pendant la crise sanitaire, les gens ne pouvaient plus se déplacer, si bien qu’il n’y avait quasiment plus de sinistre automobile. Cela aurait pu nous permettre de faire 100 millions d’euros de bénéfices. À la place, nous avons décidé de rembourser une partie de leur prime d’assurance aux sociétaires, avec la possibilité de reverser le montant à une association. »
En 2022, la Maif a par ailleurs créé le dispositif du « dividende écologique », sur le même modèle que le « dividende sociétal » du Crédit mutuel Alliance fédérale, également entreprise de l’ESS et société à mission. Le dividende écologique de la Maif prévoit que 10 % des résultats du groupe soient utilisés pour financer des actions en faveur de la planète : préservation et régénération de la biodiversité, ou soutien à des sociétaires vulnérables aux effets du changement climatique.
« Le montant des bénéfices des entreprises au niveau mondial atteint 1 700 milliards d’euros par an, note Annick Valette. Si toutes les entreprises faisaient comme nous ou le Crédit mutuel, cela permettrait de mobiliser 170 milliards d’euros chaque année pour soutenir la transition écologique, vous imaginez ! »
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Statuts d’ESS et qualité de société à mission peuvent se compléter
Coprésident de la Communauté des entreprises à mission, Guillaume Desnoës est lui aussi dirigeant d’une entreprise de l’ESS, Alenvi, également société à mission, spécialisée dans l’accompagnement à domicile des personnes âgées. Il estime que les statuts d’ESS et la qualité de société à mission se complètent bien : les statuts d’ESS garantissent une gouvernance démocratique et une gestion désintéressée, tandis que la qualité de société à mission permet de fixer des objectifs sociétaux et environnementaux inscrits dans les statuts de l’entreprise. « Cela permet de prouver son utilité sociale de manière continue, car nous devons rendre des comptes régulièrement sur les objectifs que nous nous sommes fixés », indique-t-il. Au contraire, les preuves à apporter de son utilité sociale dans le cadre de la demande d’agrément Esus sont, selon lui, « un peu légères » et mériteraient d’être renforcées.
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Comme il le souligne, les associations ne sont pour l’instant pas éligibles à la qualité de société à mission, mais nombre d’entre elles s’y intéressent et plaident pour pouvoir y accéder. C’est le cas notamment de la Fédération française de rugby, mais aussi du club sportif Lyon-La Duchère ou du club de rugby de Niort.
RSE et guide des bonnes pratiques de l’ESS
Sabine Buis, secrétaire permanente de la Plateforme RSE, rappelle que son organisation, installée au sein de France Stratégie depuis 2013, a pour rôle de transmettre des recommandations aux pouvoirs publics sur les questions sociales, environnementales et de gouvernance soulevées par la RSE. La plateforme regroupe cinq collèges, dont celui des entreprises, où sont représentés le Medef et la CPME, mais aussi l’Observatoire de la RSE (Orse) et ESS France. Pour Sabine Buis « l’ESS est inspirante et rassurante pour le reste des entreprises, car elle montre qu’il peut exister des entreprises qui se portent bien tout en se préoccupant de leur ancrage territorial et des questions de solidarité ».
Nicolas Martin, lui, est gérant de la Scic ESS Pratiques, chargée d’accompagner les acteurs de l’ESS sur la mise en place du Guide des bonnes pratiques de l’ESS. Adopté en juin 2016 par le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS), ce guide vise à aider les entreprises de l’ESS dans leur démarche d’amélioration continue sur huit thèmes : la gouvernance démocratique, la concertation dans l’élaboration de la stratégie de l’entreprise, la territorialisation de l’activité économique et des emplois, la politique salariale et l’exemplarité sociale, le lien avec les usagers/bénéficiaires/clients, la diversité au sein de l’entreprise, le développement durable, et l’éthique et la déontologie. Les acteurs de l’ESS peuvent donc s’appuyer sur cet outil pour mener une politique RSE renforcée, adaptée aux spécificités de l’ESS.
Nicolas Martin constate que « beaucoup d’acteurs de l’ESS ont du mal à intégrer les enjeux de la transition écologique et de la RSE, et ont besoin d’être accompagnés sur ces sujets ». Pour lui, le Guide des bonnes pratiques leur permet de capitaliser collectivement sur leurs bonnes pratiques, de les partager, mais aussi de valoriser ce qu’ils font, de « nourrir une démarche de plaidoyer » et de « repérer des signaux faibles ».
« Lorsque le salarié entre dans l’entreprise, il ne laisse pas sa citoyenneté à la porte »
Quant à la Confédération générale des Scop et Scic (CG Scop), elle a mené en 2022 un important travail autour de la notion de « citoyenneté économique ». « L’idée est que lorsque le salarié entre dans l’entreprise, il ne laisse pas sa citoyenneté à la porte, et que l’entreprise doit lui permettre de continuer à exercer cette citoyenneté en son sein », explique Fatima Bellaredj, déléguée générale de la CG Scop.
La confédération a identifié quatre piliers de la citoyenneté économique :
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La gouvernance partagée, qui permet aux différentes parties prenantes de participer aux délibérations et aux décisions dans l’entreprise ;
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Le partage de la valeur, qui permet de répartir plus équitablement les fruits du travail de chacun ;
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Le bien-être au travail ;
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Et la citoyenneté exercée en dehors de l’entreprise.
Par leurs caractéristiques, les entreprises de l’ESS sont particulièrement bien placées pour favoriser cette citoyenneté économique et montrer la voie au reste des entreprises.
Camille Dorival