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Par Carenews PRO - Publié le 24 avril 2024 - 17:12 - Mise à jour le 24 avril 2024 - 18:04 - Ecrit par : Camille Dorival
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ESS France : les 4 défis de la présidence de Benoît Hamon

Benoît Hamon prendra ses fonctions de président d’ESS France le 12 juin prochain. Politiser l’ESS, la faire connaître, la développer, sécuriser ses financements : Carenews a identifié les 4 grands défis de sa présidence.

Benoît Hamon lors d'un débat organisé par la Cress Ile-de-France le 22 avril. Crédit : Arnaud Breuil.
Benoît Hamon lors d'un débat organisé par la Cress Ile-de-France le 22 avril. Crédit : Arnaud Breuil.

 

Le 10 avril dernier, Benoît Hamon a été élu à la présidence d’ESS France, la structure représentative des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS). Son mandat durera trois ans, renouvelables une fois. Il prendra ses fonctions le 12 juin prochain lors de l’assemblée générale de l’association. Il succédera ainsi à Jérôme Saddier, président d’ESS France depuis 2018, dont le bilan est largement salué. De l’avis général, l’actuel président a contribué à redynamiser ESS France, mais aussi à unifier et mettre en mouvement l’ESS, notamment au travers de son projet « La République de l’ESS ».

Benoît Hamon entend poursuivre la dynamique engagée par Jérôme Saddier. Mais quels seront les grands défis de sa présidence ? Carenews en a relevé quatre principaux.

 

1. Politiser l’ESS, sans pour autant la faire apparaître comme une économie d’opposition systématique

 

La loi de 2014 sur l’ESS porte le nom de Benoît Hamon, car elle a été votée à son initiative, alors qu’il était ministre délégué à l’ESS. Cette loi définit l’économie sociale et solidaire comme « un mode d'entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l'activité humaine ». L’ESS se définit comme rassemblant des organisations fondées sur la gouvernance démocratique, la lucrativité limitée et l’utilité sociale, plutôt que sur la recherche du profit et l’enrichissement des actionnaires. A ce titre, le mouvement se positionne comme porteur d’un projet de société alternatif au modèle capitaliste, fondé sur des valeurs de démocratie, de proximité et de solidarité.

Dans ce sillage, ESS France a souhaité, depuis quelques années, affirmer l’ESS comme une « économie politique », au sens d’une économie qui se préoccupe de ses finalités et de son impact et qui porte un projet de société. Comme il l’a souligné notamment dans sa lettre de candidature à la présidence, Benoît Hamon restera sur cette ligne.

En tant qu’ancien responsable politique, le risque, néanmoins, serait pour lui de faire de l’ESS une économie pas uniquement politique, mais partisane. « Benoît Hamon doit se montrer exigeant vis-à-vis des pouvoirs publics, porter des ambitions fortes pour l’ESS, fixer des lignes rouges si besoin. Mais il doit éviter de s’enfermer dans un rôle d’opposant systématique à la politique macroniste, et veiller plutôt à être une force de proposition vis-vis du gouvernement », décrypte Timothée Duverger, directeur de la chaire Territoires de l’ESS à Sciences Po Bordeaux et fin observateur de l’écosystème de l’ESS. « Benoît Hamon a su assumer le clivage au cours de sa carrière politique. Il a notamment quitté le gouvernement Hollande sur des désaccords importants. Or, l’ESS fonctionne plus au compromis qu’au clivage ; il faudra qu’il s’adapte à ce mode de fonctionnement. Mais il sait aussi créer du compromis : c’est ce qu’il avait réussi à faire en 2014 lors de l’élaboration de la loi ESS, qui avait donné lieu à de nombreuses concertations parmi les acteurs et avait abouti à une loi satisfaisant les différentes familles de l’ESS ».

« L’enjeu, c’est aussi l’unité du mouvement, ajoute Timothée Duverger. Car si Benoît Hamon s’oppose trop systématiquement au gouvernement, tout le monde ne suivra pas. »

L’équilibre ne sera donc pas simple à trouver. D’autant que le président d’ESS France aura aussi pour rôle de s’opposer aux pouvoirs publics de manière ferme lorsque cela sera nécessaire, par exemple à propos des coupes budgétaires imposées par le gouvernement. Celles-ci impacteront les structures de l’ESS de manière importante, comme l’a dénoncé l’Union des employeurs de l’ESS (Udes), et pourraient aboutir à des baisses contraintes d’effectifs dans de nombreuses associations.

 

2. Apporter à l’ESS la reconnaissance qu’elle mérite

 

Deuxième défi pour Benoît Hamon : permettre à l’ESS d’obtenir la reconnaissance qu’elle mérite. D’abord en faisant en sorte que la voix de l’ESS soit davantage prise en compte. De ce point de vue, sa notoriété, notamment auprès des décideurs politiques et du monde de l’entreprise, constituera un atout incontestable. L’ancien ministre a l’oreille des gouvernants et n’a pas besoin d’insister pour être reçu dans les ministères.

Mais l’enjeu est aussi, comme l’ambitionnait déjà la loi de 2014, de « polliniser » ou d’« ESSiser » le reste de l’économie. De fait, l’ensemble des entreprises, à travers la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou les démarche ESG (environnement, social, gouvernance), se préoccupent désormais davantage de l’impact positif ou négatif qu’elles peuvent avoir sur la société ou sur l’environnement. L’influence de l’ESS y est certainement pour quelque chose, même si les liens entre ESS et entreprises conventionnelles restent encore trop peu développés.

« La directive CSRD, applicable depuis le 1er janvier 2024, est une opportunité pour créer plus de liens entre ces deux types de structures, estime Timothée Duverger. Car si les entreprises conventionnelles veulent travailler sur l’inclusion dans l’entreprise, elles auront tout intérêt à travailler plus avec les acteurs de l’insertion par l’activité économique ; si elles veulent s’améliorer sur l’économie circulaire, elles auront forcément affaire à des structures de l’ESS, qui ont été pionnières dans ce domaine. »

Ces liens pourront se faire de plusieurs manières : par le mécénat, par des partenariats, l’attribution de marchés privés, voire même des joint-ventures sociales, que la ministre Olivia Grégoire, en charge de l’ESS, souhaite développer.

Autre opportunité importante pour l’ESS : Olivia Grégoire a annoncé, lors du Sommet de la mesure d’impact, le 18 avril, envisager « un texte législatif autour de la démocratisation de l’entreprise », qui viserait notamment à développer les modèles de la société coopérative de production (Scop), de la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) ou de la société anonyme de participation ouvrière (Sapo). Ou comment les modèles de l’ESS pourront inspirer le reste de l’économie, voire en devenir la norme.

 


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3. Favoriser le développement de l’ESS dans les territoires et par filières d’activité

 

Troisième défi : développer l’ESS. La loi de 2014 confiait notamment la mission aux chambres régionales de l’ESS (Cress) « l'appui à la création, au développement et au maintien des entreprises » de l’ESS sur leurs territoires. Mais depuis 2014, « on a constaté un fort écart entre l’ambition et la réalité », estime Youssef Achour, président de la Cress Ile-de-France, notamment du fait du manque de moyens financiers accordés aux Cress. « Le budget total des 18 Cress françaises atteint 14 millions d’euros, dont deux millions seulement proviennent de l’État. Rapporté au nombre d’entreprises concernées, c’est 50 fois moins que ce que perçoivent les réseaux consulaires, notamment les chambres de commerce et d’industrie (CCI) ou les chambres des métiers », déplore-t-il.

Face à cela, la solution pourrait être de réorienter vers les Cress une partie de la « taxe pour frais de chambres » payée par l’ensemble des entreprises, y compris celles de l’ESS, et versée aux chambres consulaires. Cette solution aurait l’avantage de ne pas représenter de dépenses supplémentaires ni pour l’État ni pour les entreprises. Mais les CCI ne l’accepteront sans doute pas si facilement. Il s’agira en tout cas sans doute de l’un des combats à mener par le nouveau président d’ESS France.

Autre enjeu : la structuration de filières économiques, favorisant le développement d’organisations de l’ESS dans certains secteurs d’activité. En février dernier, les acteurs du réemploi solidaire ont pris l’initiative de se regrouper pour créer une filière de ce type et affirmer leurs spécificités face aux acteurs lucratifs du réemploi. De fait, le modèle de l’ESS, non lucratif et orienté vers le long terme, est particulièrement pertinent dans toutes les filières liées aux enjeux de transition écologique. Il l’est aussi dans les secteurs liés au soin des personnes, comme la prise en charge des personnes âgées dépendantes ou la petite enfance. A contrario, le modèle lucratif y a largement démontré ses limites et les risques qu’il contient, et l’ESS a de vrais atouts à faire valoir dans ces secteurs.

On pourrait donc imaginer la structuration de plusieurs filières d’activité regroupant des acteurs de l’ESS, afin de favoriser le développement de ces organisations. A ce titre, les « contrats de filières », envisagés par Olivia Grégoire à l’automne dernier – mais dont on ne sait pas grand-chose pour le moment –, pourraient constituer des outils intéressants.

 

4. Sécuriser et développer les financements publics et privés de l’ESS

 

Le développement de l’ESS dépend, de fait, beaucoup des moyens financiers dont elle dispose.

Côté financements publics, ESS France réclame une loi de programmation budgétaire, qui permette de sécuriser les financements de l’ESS sur plusieurs années. Ce qui constituerait une avancée considérable, notamment pour les associations, dont les modèles socio-économiques sont fragilisés par l’instabilité de leurs financements. Beaucoup d’entre elles exercent de fait des missions de service public et perçoivent des financements de l’État pour l’accomplissement de ces missions. Mais ces financements peuvent varier d’une année sur l’autre en fonction des priorités fixées par les pouvoirs publics. Par ailleurs, ils sont de plus en plus souvent versés au titre de la commande publique, sur des actions spécifiques, plutôt que sous forme de subventions pluriannuelles qui financeraient aussi le fonctionnement quotidien des associations.

Maxime Baduel, délégué ministériel à l’ESS, vient d’annoncer que pourrait voir le jour à l’automne 2024, une proposition de loi sur l’ESS, qui permettra certaines simplifications favorables au développement de l’ESS. « C’est très bien, reconnaît Benoît Hamon, mais on nous rejoue la fable de la Fontaine, "La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf" : ce que nous réclamons, c’est avant tout une loi de programmation et des moyens pour financer le développement de l’ESS ! ».

Autres enjeux importants : l’accès aux financements de la Banque publique d’investissement (BPI), pour l’instant très peu fléchés vers l’ESS ; mais aussi l’accès aux fonds européens, ainsi qu’à la finance dite « à impact », qui pourrait s’orienter davantage vers l’ESS. « Nous devons aussi trouver des moyens de financer l’innovation sociale, en grande partie portée par les acteurs de l’ESS », souligne Benoît Hamon.

Le Congrès des 10 ans de la loi ESS, organisé les 12 et 13 juin par ESS France à Paris, marquera le début de la présidence Benoît Hamon. Ce congrès vise à « penser la stratégie des 10 prochaines années de l’ESS », à « interpeller [notamment les pouvoirs publics] sur l’action publique vis-à-vis de l’ESS et son rôle systémique pour les 10 ans à venir », et à « publier un manifeste détaillant notre feuille de route collective pour le développement de l’ESS ».

Une véritable opportunité pour engager l’ESS dans la dynamique positive dont elle a besoin pour les années à venir. Face aux crises multiformes, le mouvement peut s’affirmer comme moteur pour porter les transitions écologiques, sociales et démocratiques qu’un nombre croissant de citoyens appellent de leurs vœux.

 

Camille Dorival 

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