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Par Carenews PRO - Publié le 26 avril 2023 - 10:00 - Mise à jour le 5 mai 2023 - 09:39 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Ces associations qui deviennent des entreprises : trajectoire logique ou dévoiement ?

Certaines associations décident de devenir des sociétés commerciales pour permettre l’évolution de la structure. Pourquoi se lancer dans un tel changement ?

Crédit : iStock.
Crédit : iStock.

 

Dix jours à peine se sont écoulés depuis son entrée dans un master à la prestigieuse ESCP Business School. Théo Scubla, 20 ans, décide de manière impulsive de créer une structure, Insertion du cœur, qui deviendra par la suite each One. L’idée ? Accompagner des réfugiés dans la recherche d’emplois stables, mais également les grands groupes dans leurs recrutements inclusifs. Cet entrepreneur dans l’âme opte en 2015 pour une structure associative, un peu par défaut admet-il. « Nous avions décidé du statut association, car il s’agissait de la forme la plus simple pour pouvoir commencer à avancer rapidement sur notre projet », se souvient Théo Scubla. 

 

Et each One devint une entreprise

Deux années s’écoulent, le temps du master. Finalement, avec le deuxième fondateur, Théo Scubla décide de monter une entreprise et de la faire évoluer en parallèle de l’association. Pourquoi finalement miser sur l’entreprise ? « Je me suis rendu compte que si nous voulions tenir dans la durée, il fallait développer un modèle économique qui allait nous rendre indépendant », considère Théo Scubla. 

Il estime qu’il est sain de joindre impact et recherche de revenus, plutôt que de dépendre notamment de subventions. each One développe alors un accompagnement global, qu’il souhaite plus performant qu’auparavant grâce à une simplification de la structure. Finalement, voyant l’entreprise se déployer davantage, toute l’activité va lui être transférée, l’association étant mise en sommeil. each One devient donc entièrement une société commerciale en 2020, ce qui lui permet de lever davantage de fonds auprès d’acteurs privés pour se développer. 

 

L’association, une entreprise comme une autre ?

Certains vont lui reprocher ce changement. En interne, une restructuration va avoir lieu puisque certains salariés, trop attachés au projet associatif, vont quitter le navire ne se reconnaissant plus dans la direction donnée. Or, pour Théo Scubla, « la structuration juridique ne dit rien de la vertu de sa structure, c’est plutôt ce que l’on en fait qui est évocateur, qui la détermine. »

Des trajectoires comme celle-ci, il en existe un certain nombre. L’école du numérique Simplon par exemple en est une autre. Outre atlantique, OpenAI, la société mère de ChatGPT, a suivi une trajectoire similaire pour pouvoir verser des dividendes aux investisseurs.

 

Un rapprochement des deux mondes

Associations, entreprises, même combat ? Deux statuts pour un même objectif ? Pour Adrien Laurent, maître de conférences en management à Paris Dauphine-PSL, spécialisé dans le monde associatif, il y existe un relatif rapprochement entre ces deux mondes : « des auteurs considèrent que certaines associations sont déjà des entreprises sans en avoir le statut, car elles sont relativement professionnalisées », relate-t-il. Il constate une sorte de mouvement de normalisation de l’association à l’égard de la sphère lucrative avec une adoption de certains modes de fonctionnement. D’ailleurs, toute association peut mener une activité lucrative, elle perd alors ses avantages fiscaux et est soumise à des obligations comme une entreprise.

Ainsi, passer de l’une à l’autre reviendrait uniquement à un changement de statut, mais toujours à poursuivre le même but ? « À partir du moment où vous avez des organisations associatives fortement managérialisées, gestionnarisées, professionnalisées, l’association n’est plus qu’un statut juridique très flexible, qu’on peut structurer comme on le souhaite », explique Adrien Laurent.

 

Vendredi, l’engagement des collaborateurs pour l’intérêt général

En 2014, alors étudiant à Sciences Po, Félix de Monts cofonde l’association Stagiaires sans Frontières. L’idée, proposer des stages hybrides à des jeunes : une grosse partie effectuée en entreprise, par exemple chez Danone et 20 % pour l’intérêt général, notamment dans l’associatif. Le modèle va se développer grâce à des participations financières libres des entreprises. Finalement, l’association renommée Vendredi va évoluer en proposant des missions de bénévolat directement aux salariés des entreprises. Avec la mise en place d’un outil numérique, les fondateurs souhaitent faire évoluer le financement et se diriger vers de la prestation payée par les entreprises. Le modèle devient donc marchand. 

Ils décident alors en 2018 de créer une nouvelle structure commerciale. Elle rachète les actifs de l’association, notamment la base de clients. Les contrats de travail sont transférés. 

Dans ce cas, c’est la marchandisation de l’activité qui entraîne un changement de statut. La forme entreprise correspond davantage à la trajectoire prise.

 

« Nous n’arrivions pas à trouver de l’argent »

Le choix aurait pu être fait de demeurer une association. Mais avec cette évolution marchande, la structure aurait perdu les avantages fiscaux offerts par le caractère d’intérêt général. « Nous n’avions plus les avantages fiscaux de l’association, et pas non plus les avantages de l’entreprise qui sont multiples notamment ceux pour trouver de l’argent », considère Félix de Monts. Avec la forme associative, « nous n’arrivions pas à trouver de l’argent chez les financeurs. Alors qu’en tant qu’entreprise, un financeur comme Bpifrance est plus enclin à réaliser des prêts. C’est aussi pour cela que nous avons changé », ajoute-t-il. La capacité à distribuer des bénéfices représente en effet un atout pour trouver des fonds. Motivation première pour un certain nombre de structures.

 

L’association comme rampe de lancement du projet entrepreneurial

Marianne Langlet est chargée de mission au Collectif des associations citoyennes. Elle a participé à la rédaction d’un rapport dénonçant la progressive marchandisation du secteur associatif. En observant les trajectoires des associations vers l’entreprise, elle se pose la question suivante : « Est-ce que l’association n’est pas devenue aujourd’hui un espèce de format juridique qui permet de tester, avec tous les avantages fiscaux qui vont avec, le modèle de l’entreprise pour ensuite réellement devenir une entreprise ? »

Elle se dit gênée par le rapprochement des deux univers : « Ce qui nous interroge c’est le flou qui existe entre ce qu’est une entreprise et ce qu’est une association », s’inquiète-t-elle. « Et cela va également dans l’autre sens. C’est-à-dire que nous observons plein de structures qui ont le statut associatif, mais qui ne se présentent pas comme telles, car c’est plus vendeur d'être startup sociale. C’est ce mélange des genres qui nous pose problème. »

Attention donc à ne pas tout confondre :

L’espace associatif est un autre espace et doit le rester si on ne veut pas que tout devienne marchand dans notre vie et notre société », prévient-elle.

 

La confusion autour du terme d’entrepreneuriat social

Même son de cloche du côté du chercheur Adrien Laurent. Il est nécessaire, selon lui, de garder en tête les spécificités du monde associatif vis-à-vis de celui de l’entreprise. « Il faut être vigilant et avoir en tête ce que permettent les associations », considère-t-il. «La non-lucrativité est un garde-fou qui va éloigner l’organisation de la seule quête du profit, et qui va notamment pousser les associations vers des missions inexplorées par les structures publiques ou les entreprises. » Il rappelle aussi que l'association fonctionne sur des bases démocratiques et sur la participation bénévole, contrairement aux entreprises. 

Il estime d’ailleurs que le terme populaire d’entrepreneuriat social, intégrant les notions entreprises et associations, entraîne un flou. « Finalement, aux yeux du grand public, qu’est-ce qui distingue une entreprise engagée sur le plan sociétal, environnemental, d’une association ? Ce n’est pas forcément évident. »

D’ailleurs, si cela était à refaire, Théo Scubla agirait différemment. Il lancerait directement une entreprise pour éviter le piège de la confusion. « Nous avons réussi le changement de statut, mais nous avons tardé à le faire, car idéologiquement, il nous a été  beaucoup opposé le fait que nous passions du bien au mal. »

 

Théo Nepipvoda

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