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Par Carenews PRO - Publié le 15 septembre 2022 - 10:00 - Mise à jour le 4 octobre 2022 - 11:22 - Ecrit par : Christina Diego
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Sobriété : « Une politique de sobriété, c’est une politique de renoncement », d’après Bruno Villalba

Nouvelle Série sur Carenews. La rédaction décrypte la notion de « sobriété » reprise sous tous les angles en cette rentrée. Nous avons rencontré Bruno Villalba, professeur de science politique à l’école AgroParisTech, membre du laboratoire de recherches Printemps, où il travaille sur les effets des contraintes écologiques sur l’organisation de la démocratie. Renoncement, équité sociale, fin de l’abondance... nous l'avons interrogé sur sa définition de la sobriété.

Série Sobriété.
Série Sobriété.

 

Bruno Villalba répond à nos questions sur la sobriété. Crédit : ©leovillalba.com
Bruno Villalba répond à nos questions sur la sobriété. Crédit : ©leovillalba.com

 

 

  • Qu’est-ce que la sobriété ? 

La sobriété est une réflexion sur le rapport à un produit. Sa définition implique un usage raisonné avec un produit. Ce qui pose problème est son mésusage, l’abus de ce produit. Et un usage juste du produit suppose que celui-ci soit accessible en abondance. Si la sobriété est un processus rationnel d’un usage optimisé de la ressource, alors c’est l’idée de maîtriser le processus du début à la fin. 

 

  • De quelle sobriété parle-t-on en pleine crise énergétique  ? 

Je pense qu’il s’agit plus d’efficacité. La sobriété induit un renoncement programmé et volontaire à la ressource. Quand Emmanuel Macron parle du passage des voitures thermiques à électriques, cela suppose de substituer une ressource énergétique, le pétrole, à une autre ressource, l’uranium, en considérant qu’il y a une compensation par une transformation du processus technique en changeant de ressource énergétique. Mais jamais, il est question de s’interroger sur notre dépendance à notre besoin énergétique. 

En 1974, dans le livre « Énergie et équité », l’auteur Ivan Illich expliquait, en plein choc pétrolier, qu’il ne s’agissait pas de crise énergétique, mais d'une crise du « besoin énergétique ». L’énergie était tellement abondante et faible au niveau du coût que nous avons créé des modes de vie basés sur cette abondance.

 

  • Comment est-on passé de l'abondance à la sobriété ?

Dans les travaux que je mène avec les étudiants, nous parlons de la sobriété à partir de la raréfaction de la ressource. Non pas la manière dont on va optimiser la ressource qui existe, mais la manière dont on va construire un rapport durable dans le temps en prenant en compte la raréfaction des ressources. 

Ce n'est pas la même chose de concevoir la fin de l'insouciance ou de l'abondance en se disant qu’il y aura une période compliquée, que cela repartira grâce au nucléaire, et faire comme à l’époque du pétrole était cher, où il fallait avoir « des idées » pour compenser. Nous sommes dans un monde où on nous a fait la promesse de l’abondance. Or, actuellement, nous vivons un décrochage fort de cette promesse face aux crises écologiques, énergétiques et sociales. 

 

  • Pourquoi la sobriété est-elle la solution avancée par le gouvernement ? 

Quand Emmanuel Macron parle de sobriété, il raisonne par rapport à l'accessibilité à la ressource. Il nous dit : « Momentanément, nous avons un problème d'approvisionnement de la ressource énergétique, nous allons donc devoir entrer dans une période de sobriété ». Terme qu’il ne définit jamais d’ailleurs. En revanche, il va borner la notion de sobriété par rapport à ce qu’elle n’est pas, l’austérité, la décroissance, et par rapport à ce qu’elle est positivement, une relation rationnelle avec le produit. 

Il ne nous demande pas de renoncer à l’excès d’usage énergétique, mais de proportionner rationnellement notre rapport à l’énergie. Sa manière de concevoir la sobriété, qui est plus proche de l’efficacité, correspond à une période d’ajustement entre le déficit d’une offre abondante énergétique, le gaz russe, avec une autre abondance qu’il nous promet avec la relance du programme nucléaire. 

 

  • Comment devenir une société sobre ?  

Dans une société sobre, il faut renoncer aux principes de l’activité salariale du revenu et du pouvoir d’achat. C’est une question extrêmement compliquée, car tout le monde est favorable à la sobriété, mais sans qu’il y ait d’impacts sur le pouvoir d'achat. 

Je pose la question (en tant qu’écologiste) : comment peut-on considérer qu’augmenter le pouvoir d'achat, et donc la consommation, est encore compatible avec la situation écologique catastrophique dans laquelle nous sommes ? 

Je ne pense pas qu’on puisse continuer à promettre qu’une société sobre n’aura pas d’impacts sur nos modes de vie et la manière de percevoir l’émancipation de chacun.

 

  • À quoi ressemblerait une politique de sobriété d’après vous ? 

Il est nécessaire de proportionner son rapport à la consommation. Une politique de sobriété, c’est une politique de renoncement. À quoi devons-NOUS renoncer si nous voulons que, socialement, il n’y ait pas de violences, que les générations futures aient la latitude de choisir leurs modes de vie et s’émanciper ? Si nous voulons encore - et c’est cela qui est en jeu également - que les limites planétaires ne se retournent pas trop violemment contre nous

La crise sociale est encore trop basée sur une norme de confort et un seuil de développement. Pourquoi le fait de ne pas partir en vacances est-il considéré comme un drame ? Parce que la norme de référence est la mobilité. Est-ce tenable encore longtemps ?  

 

  • Faudra-t-il profondément changer nos sociétés pour tendre vers la sobriété ?   

Nous n’avons pas le choix ! Si nous voulons que la grande majorité de la population ait accès à un minimum de ressources énergétiques, pour se nourrir et se chauffer, la question de la répartition des ressources va se poser. Je ne parle pas uniquement de la France. Quand on raisonne à l’échelle de huit milliards d’habitants, comment faire en sorte de répartir à peu près équitablement l’accès à la ressource ? C’est un jeu de négociation sur ce qui est possible de réaliser afin d’éviter la violence sociale entre les humains. Et celle à l'égard des animaux. Plus nous serons dans une logique d'alimentation carnée, plus cela sera préjudiciable pour la biodiversité et les écosystèmes. 

 

 

  • Finalement, sobriété égale contrainte, ce qui n'est pas toujours très populaire. Comment faire passer le message ? 

Que gagnerons-nous collectivement et individuellement à adopter une politique de la sobriété ? C’est la question la plus importante. Tant qu’il n’y aura pas de débat sur les raisons profondes de la mise en place des politiques de sobriété, on n’y arrivera pas. La Convention citoyenne pour le climat en était un début. À partir des constats catastrophiques de l’évolution du climat, des mesures douces et nécessaires ont émergé, mais regardez ce qu’elles sont devenues…

Tant que le débat se focalisera sur la technicité pour faire mieux sans changer sa manière de vivre, pourquoi voulez-vous changer ? Il faudrait se demander ce que la sobriété peut nous apporter en termes de bien-être, d’autonomie, comme rapport de proportion dans la dimension professionnelle. Car finalement, nous travaillons pour avoir un salaire, qui va nous permettre d'accéder à la consommation. On nous a inculqué l’idée que l’accès à la mobilité avec une voiture, aux vacances, etc… était des facteurs de bien-être. Il faut peut-être réinterroger ces idées-là. 

Les partisans de la décroissance avancent un slogan intéressant « moins de biens et plus de liens », qui est d’ailleurs très proche des valeurs de l’économie sociale et solidaire. La production peut avoir une autre finalité que l'accumulation financière et une utilité sociale.

Il faudrait débattre de ces questions : est-ce que les politiques de sobriété porteront atteinte au pouvoir d'achat ? Oui. Est-ce que c’est une bonne chose ? Oui. Est-ce que socialement cela sera facile à porter ? Non.  

  • Tout ceci angoisse beaucoup de citoyens. Comment peut-on dépasser cette éco-anxiété ?  

C’est une période, certes anxiogène, mais très intéressante. Nous sommes à un moment où nos marges économiques et sociales ne sont plus si amples que cela. Or, nous sommes encore dans cette pensée où les économies vont compenser le dérèglement climatique, en reconstruisant et en reboisant après une catastrophe naturelle par exemple. Comment ferons-nous quand nous ne pourrons plus le faire ? 

Les plus précaires sont assujettis aux aléas climatiques plus fortement que les riches. Les paysans de l’Afrique vivent durement les changements climatiques et veulent vivre dans le même bonheur matériel que nous, d’où les déplacements climatiques de personnes.

L’aspiration au confort moderne est-elle compatible avec les limites planétaires ? Comment va-t-on faire pour que des milliards de personnes puissent vivre aussi confortablement que nous ? Il faudra décroître. Qui devra le faire en priorité ? Les plus nantis. La question n’est pas tant de savoir ce qu’on y perd, mais ce qu’on y gagne. Je pense qu’on peut gagner tellement en coopération, solidarité et entraide. 

 

Christina Diego 

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