François Marty « Il ne faut pas avoir le melon car tout le monde veut être un héros »
À 66 ans, dont plus de quatre décennies d’engagement social, François Marty le président-fondateur de la Foncière Chênelet, qui veut apporter une réponse « logement » adaptée aux plus vulnérables et aux enjeux sociétaux des territoires, est prêt à passer le flambeau.
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Quand on veut mieux le connaître, François Marty aime se définir avec humour comme « le roi de rien mais avec panache ». Il évoque aussi sa jeunesse difficile où il était « bac -15 », une période au cours de laquelle les moines ont remplacé ses parents en Haute-Savoie. Il a ensuite fréquenté les babas cools du Larzac puis est allé s’occuper des réfugiés à Calais. Un parcours riche mais un fil rouge conducteur demeure pour ce père de cinq enfants au franc-parler qui a créé sa première entreprise d’insertion en 1986 : celui de l’engagement.
C’est parce qu’il a l’engagement chevillé au corps qu’il fonde en 2009 la Foncière Chênelet qui est basée à Landrethun-le-Nord dans les Hauts-de-France. L’entreprise agit comme un maître d’ouvrage spécialisé dans la conception et la construction de logements de très grande qualité à destination de publics vulnérables. Au-delà de la seule construction, le projet est de proposer un logement de qualité, à très faibles consommations, adapté au handicap et aux personnes âgées, mais surtout écologique. L’objectif est également de réinsérer des personnes en difficulté grâce au travail : François Marty revendique ainsi avoir réinséré près de 7 000 personnes en trois décennies.
200 logements construits et 30 millions levés
Côté financement, la Foncière Chênelet, qui a construit près de 200 logements, s’appuie sur un modèle hybride : un tiers provient de fonds propres, un tiers d’emprunts auprès de la Caisse des dépôts et consignations, le dernier venant de financements publics et privés. Au total, l’entreprise qui compte parmi ses investisseurs plusieurs banques, assurances et grandes entreprises (ENGIE, Amundi, AG2R La Mondiale, Crédit Agricole, BNP Paribas…) a levé près de 30 millions d’euros en une décennie. « Ce n’est pas la croissance et la réussite qui m’intéresse, c’est de loger les personnes les plus défavorisées dans des endroits où personne ne va », confie celui qui a été Fellow 2009 de l’organisation Ashoka et chevalier de la Légion d’honneur en 2017. Auparavant, ce proche de longue date de Guy Hascoët avait suivi son ami dans les couloirs du pouvoir lorsque celui-ci était devenu député du Nord en 1997 avant qu’il ne soit propulsé secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire dans le gouvernement Jospin. Après deux ans et demi en tant que chef de cabinet, François Marty était revenu à l’association et avait pris conscience du travail parcouru en son absence : « J’ai vécu un drame que je ne souhaite à personne… l’entreprise a super bien marché sans moi », rigole-t-il.
Une nouvelle génération qui « se lève par compétence »
L’entrepreneur, qui fut dans une première vie chauffeur de poids lourds, puis fréquenta les bancs de HEC pour un Executive MBA, s’émerveille aujourd’hui de la nouvelle génération « qui n’est plus une génération qui se lève par injustice, mais elle se lève par compétence ». Désireux de voir un vrai changement générationnel, il appelle les acteurs de l’ESS à bien vouloir passer le flambeau aux jeunes. « Je suis fatigué de la génération à laquelle j’appartiens où tout le monde a voulu être un héros. Les pontifes de l’ESS vont être dépassés et c’est tant mieux, c’est la vie. » Et d’ajouter, au sujet des aînés du secteur : « Est-ce qu’ils sont capables de laisser la place ou, même quand ils ne seront plus là, leurs dentiers parleront toujours ? » Lui en tout cas se prépare à transmettre le relai à Anne-Gaëlle Charvet, qui est déjà la directrice depuis 2012 de Chênelet Développement et lui succédera au sein de la Foncière Chênelet. S’il se retire des opérations, il garde en tout cas son humour. Quand on l’interroge sur son gros défi du quotidien, ce fort en gueule avoue spontanément : « Il ne faut pas avoir le melon. » Puis d’ajouter qu’heureusement sa femme est là pour veiller...
Pierre-Anthony Canovas