Thibault Lamarque (Castalie) : «Notre mission est de mettre fin à la folie des bouteilles d’eau en plastique »
Créée en 2011, Castalie est une entreprise sociale agréée ESUS qui installe des fontaines à eau filtrantes dans les restaurants, les hôtels et les entreprises. Avec 2500 machines et 2 millions d’utilisateurs tous les mois, elle estime avoir évité l’usage de 24 millions de bouteilles plastiques, rien qu’en 2019. Thibault Lamarque, son fondateur et dirigeant, a répondu à nos questions.
- D’où vous est venue cette vocation de travailler sur l’eau ?
Lorsque j’étais en master affaires internationales à Paris-Dauphine, j’ai rédigé un mémoire sur l’accès à l’eau. Puis, j’ai travaillé pour Veolia, qui est le plus grand producteur d’eau potable au monde. Cela m’a permis d’auditer à l’étranger de nombreuses filiales du groupe, ce qui était passionnant. En revanche, je me sentais un peu déconnecté du terrain. Un jour, j’ai lu dans Libération le portrait de Tristan Lecomte, le fondateur de la marque de commerce équitable Alter Eco. Je me suis retrouvé dans son ennui et l’envie de vouloir changer les choses. J’ai attendu pendant un an et demi qu’un poste se libère et j’ai été embauché comme directeur administratif et financier. J’ai découvert ce qu’était la vie d’une PME et la réalité des entreprises militantes. En auditant une coopérative de café en Bolivie, j’ai pu constater par moi-même l’impact considérable qu’un achat pouvait avoir sur la vie de centaines de familles.
J’ai toujours été entrepreneur dans l’âme. Étudiant, je montais des projets. Alors, quand j’ai découvert Sodastream, en 2006 (entreprise qui commercialise des machines pour gazéifier les boissons, NDLR), j’ai trouvé ça super, car cela réglait le problème des bouteilles d’eau ! Et en voyant un jour le prix d’une bouteille d’eau dans un restaurant de la place du marché Saint-Honoré à Paris, je me suis dit : « pourquoi ne pas me lancer et commercialiser un Sodastream BtoB » ?
- En quoi Castalie est-elle différente de toutes les entreprises qui louent des fontaines à eau ?
Nous n’avons pas inventé la fontaine à eau, mais 99 % des modèles sont en plastique et fabriqués en Chine. Ils coûtent en moyenne 15 euros par mois et ne font pas l’objet de maintenance. Nous avons en revanche réinventé le modèle autour de la fontaine à eau : les fontaines Castalie sont made in France, les kits filtres sont assemblés par un ESAT qui emploie 16 travailleurs en situation de handicap à Issy-les-Moulineaux. Nous avons gagné des prix de design car nos fontaines et les bouteilles en verre pour servir l’eau sont très esthétiques. Nous proposons également un très haut niveau de maintenance par rapport à ce qui se fait sur le marché (de l’ordre de quatre interventions par an). Notre proposition est de fournir la même qualité que l’eau en bouteille. L’enjeu pour nous est donc de développer des services et des usages de l’eau potable. Nous avons par exemple mis au point une fontaine connectée, qui permet d’obtenir de la data en permanence pour faire de la maintenance prédictive et du reporting environnemental pour nos clients. Notre modèle économique étant celui de la location, notre objectif est donc de faire durer le plus longtemps possible nos machines.
- Votre positionnement est donc plutôt haut de gamme ?
Oui, il est revendiqué. Castalie est une entreprise de l’économie sociale et solidaire agréée ESUS. Mais ce n’est pas parce qu’on est agréé ESUS qu’on doit faire des fauteuils en papier mâché ! Je défends l’idée que certains modèles économiques peuvent être rentables. On se cache hélas souvent derrière le fait que le modèle économique est mauvais pour demander des subventions.
ce n’est pas parce qu’on est agréé ESUS qu’on doit faire des fauteuils en papier mâché !
- Est-ce que c’est « ESS » de vendre de l’eau du robinet ?
Je suis un grand défenseur de l’eau du robinet. Un de nos plus gros clients est d’ailleurs Eau de Paris, avec qui nous avons installé des fontaines à eau pétillante dans la ville. Nous avons pour projet de réinstaller des fontaines urbaines car les points d’eau se font rares dans les grandes villes, ainsi que dans les gares et les aéroports. Partout où Castalie est distribuée, la carafe d’eau reste gratuite. Ce qui est « ESS », c’est de proposer au consommateur qui ne veut pas boire de l’eau du robinet une alternative à l’eau en bouteille bonne et moins chère. Notre mission, c’est de mettre fin à la folie des bouteilles d’eau en plastique.
- Quels sont les différents problèmes posés par les bouteilles en plastique ?
Le premier sujet auquel on ne pense pas toujours, c’est la question du transport des bouteilles d’eau de la source au consommateur. Ensuite, il y a la question du contenant : le verre, même consigné, a un impact carbone plus élevé que les bouteilles en PET. Nous avons mené une analyse du cycle de vie (ACV) qui nous a permis de constater que l’eau de Castalie avait un impact carbone 90 % inférieur à celui d’une bouteille en plastique. Notre eau n’est pas transportée et nos bouteilles pour verser l’eau sont réutilisées. De plus, 90 % des bouteilles en plastique consommées en France ne sont pas recyclées mais incinérées, enfouies ou finissent dans les océans. Et elles libèrent des micro-plastiques nocifs à la santé.
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- Vous avez levé 13,5 millions d’euros pendant le confinement ; quels sont vos objectifs ?
Nous avons levé auprès de fonds à impact (Amundi finance et solidarité, Raise) et auprès de Ring capital et SEB Alliance. Nous voulons grossir pour avoir davantage d’impact. Notre objectif est de rentrer dans la vie des gens. Pour cela, nous allons commercialiser une gourde en verre fabriquée en France, car actuellement toutes les gourdes, à l’exception d’une, sont fabriquées en Asie. Nous voulons aussi accélérer notre développement dans les entreprises et être présents dans tous les « restos attentionnés », envers leurs clients et l’environnement. C’est le cas des restaurants de Jean-François Piège, Yannick Alléno et Alexandre Couillon avec qui nous travaillons déjà. Au milieu de l’année prochaine, nous voulons aussi commercialiser une poudre bio à base de fruits déshydratés français pour aromatiser l’eau. À terme, on pourrait aussi proposer des machines grand public.
- Quels sont vos projets à venir ?
Avec la fondation Made Blue, nous allons créer des points d’accès à l’eau potable, à des toilettes et des douches à Adama, en Ethiopie. Pour 15 000 euros, l’ONG installe ces points d’eau et en donne les clés à un entrepreneur ou une entrepreneuse local·e. Ainsi, les enfants peuvent utiliser les installations en journée (ce qui accroît leur scolarisation), et le soir, ce sont les habitants des quartiers qui en profitent, soit 500 à 700 personnes. Après avoir financé 7,5 millions de litres d’eau, j’ambitionne de lever 600 000 euros auprès de mes clients pour créer 40 points d’eau. Les entreprises mécènes seront valorisées. Je pense que cette opération philanthropique rentre pleinement dans la mission de Castalie.
Propos recueillis par Hélène Fargues