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Par Carenews INFO - Publié le 28 août 2020 - 09:00 - Mise à jour le 10 février 2023 - 13:42
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Qu'est-ce que le spécisme ?

Le 29 août a lieu la Journée mondiale pour la fin du spécisme. De quoi s’agit-il précisément ? Et quelles sont les revendications de celles et ceux qui s’y opposent ? Notre journaliste Axelle Playoust-Braure, spécialiste du sujet, nous propose plusieurs clés de compréhension en faveur de la cause animale.

Happening lors de la Journée mondiale contre le spécisme, à Lausanne en 2019. | Crédit photo : Théo Héritier.
Happening lors de la Journée mondiale contre le spécisme, à Lausanne en 2019. | Crédit photo : Théo Héritier.

 

 

Rien qu'en 2016, plus de 70 milliards d'animaux terrestres ont été élevés puis tués à travers le monde pour l'alimentation, dont environ 66 milliards de poulets. C'est dix fois plus qu'il y a 60 ans, c’est moins qu’en 2020, et c’est sans compter les animaux aquatiques, qui sont entre 1 000 et 3 000 milliards à être tués annuellement pour la même raison. Si manger des animaux semble pour beaucoup la chose la plus naturelle du monde, nous sommes également nombreux·ses à ressentir un malaise, voire de l’indignation, face aux images d’extrême souffrance rapportées par les lanceur·se·s d’alerte depuis les élevages, bateaux de pêche et abattoirs.

Comment résoudre un tel « paradoxe de la viande » ? Pour certain·e·s, la solution consiste à consommer « moins et mieux », c'est-à-dire à promouvoir une amélioration des normes de bien-être animal et à consentir à un effort collectif de réduction de la consommation des produits d’origine animale. Mais pour d’autres — les antispécistes — notre rapport aux autres animaux doit faire l'objet d’une réforme bien plus ambitieuse : l’abolition de toute forme d’exploitation qui ne serait pas tolérée si les victimes étaient humaines. Les animaux, expliquent les antispécistes, sont victimes d’une discrimination fondée sur l’espèce, tout aussi arbitraire et injuste que les discriminations sexistes et racistes. Celle-ci doit donc être activement combattue, et les institutions qu’elle promeut, abolies.

 

Une discrimination injuste envers les animaux

Construit sur le modèle des mots racisme et sexisme, le spécisme désigne une discrimination injuste fondée sur l’espèce. « Les antispécistes estiment qu’on ne peut recourir au critère de l’espèce à laquelle appartiennent les individus pour leur accorder plus ou moins de valeur morale ou pour accorder plus ou moins de considération à leurs intérêts semblables, explique Valéry Giroux, docteure en philosophie, professeure de droit et coordinatrice du Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal. Un peu comme la couleur de la peau, l’âge, ou le sexe, l’espèce est une caractéristique strictement biologique qui n’a pas la pertinence requise pour cela. C’est ce qui nous oblige à reconnaître qu’il serait injuste, à savoir spéciste, de hiérarchiser moralement les individus en fonction de leur espèce. »

 

Plutôt que l’appartenance à telle ou telle espèce, les antispécistes considèrent que c'est le fait d’être doué·e de sentience qui devrait fonder l'appartenance à la sphère de considération morale. La sentience, estime Estiva Reus, chercheuse indépendante et autrice de plusieurs articles parus dans la revue Cahiers antispécistes, désigne « la chose la plus importante du monde, peut-être la seule qui importe : le fait que certains êtres ont des perceptions, des émotions, et que par conséquent la plupart d'entre eux (tous ?) ont des désirs, des buts, une volonté qui leur sont propres ». Tous les êtres sentients, complète Valéry Giroux, « doivent être considérés comme des “patients moraux”, ces individus envers lesquels les “agents moraux” responsables de leurs actes ont des devoirs directs ».

Quelles conséquences pratiques tirer de ce raisonnement moral ? Faut-il « donner le droit de vote aux poules », comme cela est fréquemment objecté aux antispécistes, comme pour leur signaler l’absurdité de leur projet ? Non, car l’égalité entre humain·e·s et autres animaux sentients promue par les antispécistes n’est pas une stricte égalité de traitement. Si ces êtres sont similaires à bien des égards, en particulier dans leur capacité à souffrir et à ressentir du plaisir, il ne s’agit pas de nier leurs spécificités ou de faire comme s’ils étaient identiques. Ainsi, « nous avons de bonnes raisons de soupçonner qu’une poule dont la patte est cassée souffre de manière comparable à un être humain adulte dont la jambe est fracturée. La poule et l’humain sont semblables en ce qu’ils ont tous deux intérêt à ne plus avoir mal ». Mais pour autant, « la poule et l’humain sont de poids très différents, si bien que la dose d’analgésique chacun d’eux a intérêt à recevoir ne sera pas la même. Il faudra donc traiter différemment les deux individus pour les traiter justement ». Une subtilité qui doit encore faire son chemin dans le débat public...

 

Mettre fin au spécisme

L’égalité animale des antispécistes n’est donc pas une égalité de fait, mais une égalité de considération morale. Il reste que des « transformations radicales et profondes de nos pratiques, de nos industries et de nos institutions » sont bel et bien à l’ordre du jour. Une prise en compte sérieuse des intérêts des autres animaux impliquerait en effet une refonte complète de l’organisation de nos sociétés. « Dans un monde débarrassé du spécisme, poursuit Valéry Giroux, tous les êtres sentients auraient des droits, tous seraient considérés comme des égaux d’un point de vue moral, juridique et politique. Les institutions reposant sur l’exploitation des animaux sentients seraient donc abolies. Plus d’élevage de cochons, de poules, de vaches ou de poissons pour l’alimentation. Plus d’expérimentation scientifique causant de la douleur à des animaux ou leur mort. Plus de production de cuir ou d’autres matières qui contreviennent aux intérêts des animaux utilisés. » Un programme qui ressemble en tous points aux revendications de la Journée mondiale pour la fin du spécisme, organisée depuis 2015 par l’association suisse romande PEA - Pour l’Égalité Animale — à qui l’on doit également la Journée mondiale pour la fin de la pêche. « La façon dont on traite et considère les animaux est profondément problématique, déplore Pia Shazar, présidente et porte-parole de l’association. Bien qu’on dise constamment se soucier de leur sort, les animaux sont considérés comme des ressources plutôt que comme des individus, et leurs intérêts propres ne sont jamais pris en compte. Si c’était le cas, il serait impensable d’élever des animaux dans le seul but de les tuer pour en faire de la viande, d’autant plus que nous savons aujourd’hui qu’il est tout à fait possible de se passer de produits carnés. » La Journée mondiale pour la fin du spécisme est donc l’occasion de rendre visible le traitement discriminatoire réservé aux animaux par nos sociétés, et de dénoncer le statut d’infériorité auquel ils sont relégués.

 

Pia Shazar a conscience de l’ambition de ce programme. « Les victoires que nous visons à très court terme sont plutôt d’ordre culturel ou idéologique. Quelques changements concrets sont toutefois possibles. En Suisse par exemple, nous voterons prochainement sur une initiative populaire contre l’élevage intensif. Si elle était acceptée, cela représenterait une immense victoire pour le mouvement, même au-delà de la Suisse. » En France, une initiative citoyenne similaire a vu le jour en 2020. Le Référendum pour les animaux souhaite mettre fin à certaines des pratiques les plus cruelles et les plus unanimement réprouvées par la population française : élevage en cage, élevage intensif, spectacles avec animaux sauvages, élevage à fourrure ou encore chasse à courre. Pour faire l’objet d’une proposition de loi et être soumis à référendum, le projet doit être soutenu par au moins 185 parlementaires et 10 % des inscrit·e·s sur les listes électorales françaises, soit 4,7 millions de personnes... Une tâche d’ampleur pour un mouvement jeune, encore peu professionnalisé et financé. « Le mouvement est presque entièrement basé sur du bénévolat, constate Pia Shazar. C’est un frein important pour le développement, voire au maintien du mouvement, parce nous comptons beaucoup sur la volonté des militant·e·s à donner de leur temps libre. Le militantisme passe après les obligations de chacun·e, comme le travail ou la garde des enfants, pour celles et ceux qui en ont. Ce n’est pas durable. » Le mouvement antispéciste ne dispose en effet pas des mêmes moyens que le système qu’il cherche à combattre. « Nous avons des opposants qui, eux, sont insérés dans des institutions et dont le métier est de faire la promotion des produits issus de l’exploitation animale. Leur lobbying auprès des politiques ralentit énormément les avancées que l’on pourrait obtenir pour les droits des animaux. »

Un projet de vivre ensemble

Les revendications de la Journée mondiale pour la fin du spécisme sont cette année reprises aussi bien en France, en Malaisie, au Brésil qu’au Liberia. Bien que l’exploitation animale soit un enjeu global, certain·e·s ont fait le choix de mener des campagnes localement, au niveau municipal. C’est le cas d’Amandine Sanvisens, qui a cofondé Paris Animaux Zoopolis (PAZ) avec Philippe Reigné, agrégé et professeur de droit. « Notre stratégie est résolument politique, expose celle qui tient également Vegan Folie’s, boutique parisienne de pâtisseries véganes. Nous nous adressons aux élu·e·s, en particulier à la Mairie de Paris, mais également au gouvernement, aux régions et aux communes partout en France. Nos campagnes ont toutes pour objectif d’en finir avec des pratiques cruelles et de faire émerger la question d’une cohabitation pacifique avec les animaux. » Fonctionnant elle aussi sur la mobilisation bénévole, PAZ a néanmoins huit campagnes et de belles victoires à son actif. « Notre plus grande avancée est l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques à Paris. Nous nous sommes battu·e·s pour cela pendant quatre ans. Nous avons également obtenu un vote à l’unanimité du Conseil de Paris pour la création d’un monument en mémoire aux animaux de guerre. » En parallèle de ces campagnes thématiques, l’association PAZ tente d’imposer le sujet de la condition animale dans le débat public, notamment en publiant des tribunes dans la presse.

À quoi ressemblerait une ville sans spécisme, qui prendrait en compte les intérêts de tou·te·s ses habitant·e·s ? « Ce serait une ville bienveillante envers tous les animaux, quelle que que soit leur espèce, anticipe Amandine Sanvisens. Une ville qui mettrait tout en œuvre pour trouver des solutions pour cohabiter pacifiquement, notamment dans la conception de l’espace urbain. Les pratiques cruelles comme la pêche n’auraient plus leur place. » Si une telle zoopolis n’est pas encore d’actualité, Amandine Sanvisens se dit confiante. « Nous assistons à un basculement dans l’attitude des élu·e·s, qui jusqu’à alors étaient réticent·e·s à nous soutenir, mais sont aujourd’hui en train de mesurer les attentes de la population autour de la condition animale. » Même espoir côté Suisse, où Pia Shazar estime que « le mouvement a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années ». Et il se pourrait bien qu’il grandisse encore et encore.

Axelle Playoust-Braure

 

Pour aller plus loin

L’antispécisme, Valéry Giroux, PUF, 2020

Site de la Journée mondiale pour la fin du spécisme

Site de la Journée mondiale pour la fin de la pêche

Référendum pour les animaux

Paris Animaux Zoopolis

Les Cahiers antispécistes

L214 - Éthique & animaux

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