À la Climate house, la mutation de la philanthropie au cœur des esprits
Face aux différentes crises que rencontrent les organisations d’intérêt général, quels modèles de philanthropie développer ? L’organisation à but non lucratif Egregor a organisé mardi 22 avril une soirée d’échange à la Climate house pour tenter d’élargir les horizons du secteur.

Faut-il réinventer la philanthropie pour la rendre plus adaptée aux besoins et efficace ? Et si oui, de quelles manières ? Egregor, une organisation à but non lucratif française dont le but est « de développer de nouvelles approches pour répondre aux obstacles dans le secteur de l’aide et du développement », a réuni plusieurs acteurs pour échanger autour de ces questions, mardi 22 avril, à la Climate house à Paris.
Les discussions ont d’abord porté sur la situation des organisations de solidarité internationale, confrontées à un contexte financier particulièrement difficile avec la suspension de l’aide humanitaire américaine et des coupes budgétaires dans l’aide au développement européenne. Une situation qui amène à repenser leurs sources de financement.
« Nous sommes entrés dans une phase de mutation de la solidarité internationale, qui ne permet plus aux organisations de déployer une pensée stratégique mais les met dans une posture où elles tentent de combler les failles », expose en préambule Fatou-Elise Ba, chercheuse à l’IRIS en charge du programme humanitaire et développement. « Cette situation ne touche pas seulement les associations mais aussi les organisations intergouvernementales. Du jour au lendemain, l’Organisation mondiale de la santé a perdu 45 % de son budget », ajoute Guillaume Soto-Mayor, président d’Egregor et chercheur indépendant sur les questions de sécurité et de politique en Afrique.
L’innovation en philanthropie, une réalité difficile à faire émerger ?
Pour dépasser cette situation de dépendance, il est nécessaire de valoriser de nouvelles modalités de la solidarité, considère Guillaume Soto-Mayor. Ce souhait se heurte néanmoins à certains obstacles, soulevés par d’autres intervenants.
« L’innovation sociale, notamment en philanthropie, est extrêmement difficile à faire émerger », rapporte ainsi Olivier Cueille. Il en veut pour preuve le refus de plusieurs fondations quand il leur a proposé son idée innovante, l’arrondi solidaire. Il a finalement choisi de créer une entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus), appelée microDon, pour la développer.
Déployé dans 15 000 magasins en France, le dispositif permet aux clients de faire des dons de quelques centimes à des associations lors de leur passage en caisse. Depuis sa création en 2009, il a permis de récolter 80 millions d’euros de dons, met en avant Olivier Cueille. MicroDon est inspiré d’une initiative mexicaine. « Les idées porteuses doivent circuler au-delà de nos écosystèmes et de nos zones géographiques habituelles. Il existe de nouveaux modèles à explorer », argumente Guillaume Soto-Mayor.
Un mal-être au sein des organisations, alimenté par la recherche d’objectifs chiffrés
« Nous sommes colonisés par le mercantilisme jusque dans notre langage », dénonce quant à elle Elsa Da Costa. Aux yeux de la directrice générale de l’association Ashoka France, le mécénat est parasité par des logiques d’investissement, alors qu’il devrait être un acte strictement désintéressé.
Pour accompagner la mutation du secteur, elle a notamment participé à l’élaboration du collectif « Racines », rassemblant différents acteurs issus des écosystèmes de la philanthropie, de l’innovation sociale et de la recherche.
Leur but : entamer un changement systémique de la philanthropie, alors que les associations se voient de plus en plus contraintes de s’éloigner de leurs objectifs principaux lors de la recherche de financements. En effet, l’élaboration de rapports chiffrés à la demande des financeurs tend à occuper une place de plus en plus importante dans leurs activités, jusqu’à grignoter le temps et l’énergie consacrés aux missions initiales.
Un appel à une philanthropie de la coopération
« Il y a une tendance partout dans le monde de l’intérêt général à l’épuisement et au mal-être », détaille à ce sujet Guillaume Soto-Mayor, estimant qu’il y a un enjeu de recréer une confiance « cassée par des logiques de domination » entre les financeurs et les associations.
Un constat auquel tentent de répondre plusieurs courants récents de la philanthropie, comme la « philanthropie de la confiance » ou « la philanthropie de la coopération ». « Le but est de diminuer l’importance de la concurrence et de privilégier le faire ensemble », explique notamment Frédéric Bardeau, cofondateur de Simplon, une entreprise sociale qui forme des personnes de différents horizons au numérique, et créateur du fond philanthropique « Join Forces », axé autour de cette deuxième philosophie.
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La philanthropie de proximité : une solution mise en avant
De son côté, Abdelaali El Badaoui, fondateur de l’association Banlieues Santé et cofondateur de Banlieues Climat, plaide pour une philanthropie ancrée dans la proximité et incluant les différents habitants des territoires. « Nous avons besoin de ce "plancton", cette biodiversité que l’on ne voit pas », argue-t-il, pour mettre en avant les multiples actions de solidarité sur le terrain, qui ne sont pas nécessairement fédérées par une structure.
Ce « fils de philanthrope », comme il se définit lui-même, infirmier, militant associatif et désormais élève de l’Institut national du service public (INSP), appuie sur la nécessité de s’ancrer dans des tissus territoriaux de solidarité.
« Il faut faire ensemble pour créer un modèle autonome de soutien au service des acteurs de terrain », appuie quant à lui Guillaume Soto-Mayor.
Élisabeth Crépin-Leblond