Annulation du chantier de l’A69 : une décision inédite en droit de l’environnement
Le tribunal administratif de Toulouse a annulé jeudi 27 février l’autorisation environnementale du projet d’autoroute entre Toulouse et Castres et ordonné l’arrêt immédiat du chantier. Cette décision, dont l’État a annoncé faire appel, pourrait faire évoluer la manière dont l’environnement est pris en compte lors de l’élaboration de projets d’infrastructures, estime l’avocate Marine Yzquierdo.

C’est un retournement de situation presque inespéré pour les opposants à l’A69. Jeudi 27 février, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’arrêté préfectoral autorisant le chantier de l’autoroute devant relier Toulouse à Castres et ordonné son arrêt immédiat.
Ce jugement intervient après que la rapporteuse publique Mona Rousseau ait demandé à deux reprises l’annulation du projet autoroutier, en novembre 2024 et en février 2025, argumentant que les gains attendus par la construction de l’autoroute étaient insuffisants en comparaison des atteintes portées à l’environnement.
De son côté, le tribunal administratif de Toulouse a considéré que « le projet ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) », une des conditions de fond fixé par le Code de l’environnement pour permettre la délivrance, par le préfet, d’une autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.
« C’est inédit », souligne Marine Yzquierdo, avocate au barreau de Paris. « C’est la première fois qu’un projet autoroutier est annulé par une décision de justice pour des raisons environnementales », détaille-t-elle. L’avocate est engagée, avec l’association dont elle est membre Notre Affaire à tous, en tant qu’intervenante volontaire en soutien de la requête des associations de protection de l’environnement, qui demandent l’annulation du projet d’autoroute.
Au premier rang de l’opposition à l’A69, se trouvent notamment le collectif La Voie est libre (LVEL), défendu par les avocates Alice Terrasse et Julie Rover, les associations France nature environnement, le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) fondé par Thomas Brailles et Les Amis de la terre France. L’avocat Alexandre Faro, connu pour avoir défendu France nature environnement, Greenpeace et WWF lors du procès de l’Erika en 2008, fait également partie de la défense des opposants.
Une « victoire historique » pour les militants
Depuis deux ans, l’autorisation du projet d’autoroute, délivrée par un arrêté conjoint du préfet de la région Occitanie, du préfet de la Haute-Garonne et du préfet du Tarn en date du 1er mars 2023, a été suivie d’une forte mobilisation citoyenne s’opposant à la mise en œuvre de l’infrastructure. La mobilisation a rassemblé des militants d’horizons divers, tentant d’empêcher l’aboutissement de l’autoroute, aussi bien par des recours juridiques que par des manifestations et des actions de désobéissance civile.
Les opposants à l’A69 critiquent notamment le passage de l’autoroute au milieu de certains villages, le grignotage de terres agricoles, et l’abattage de treize hectares de zones boisées, dont certaines contenant des platanes centenaires et abritant des espèces protégées. Autant d’inquiétudes, en partie apaisées par le récent jugement du tribunal.
« C’est la plus grande et belle victoire du jour », s’est par exemple immédiatement réjouit sur LinkedIn le collectif d’étudiants et de de jeunes diplômés Pour un réveil écologique. « Cette décision de justice vient récompenser l’expertise et l’abnégation des agriculteurs, scientifiques, militants, juristes, élus et riverains, ainsi que des associations et syndicats requérants, qui se sont mobilisés pendant des mois, parfois au péril de leur vie », souligne de son côté le Réseau action climat.
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À l’opposé, le ministère des Transports a dénoncé une « situation ubuesque » au lendemain de la décision et a annoncé que l’État interjetterait appel. La ministre de la Transition écologique, s’est également exprimée en faveur du projet autoroutier, vendredi 28 février sur France Info. « Tout projet humain a un impact sur l’environnement », a défendu Agnès Pannier-Runacher, estimant que la France « est un pays où les lois environnementales sont parmi les plus exigeantes au monde » et argumentant, à l’inverse du tribunal administratif, que le projet d’autoroute A69 est « d’intérêt majeur ».
Un arrêt des travaux tardif et encore en suspens
L’avocate Marine Yzquierdo salue le jugement prononcé par le tribunal mais estime « regrettable que la décision n’arrive qu’à ce stade du projet ».
« Dès lors qu’un porteur de projet reçoit son autorisation environnementale, il peut commencer les travaux. Les recours introduits par les associations n’ont pas d’effet suspensif. Dans le cas de l’A69, en plus d’être coûteux pour l’État, les travaux ont entraîné la destruction de terres agricoles et d’espèces protégées ainsi que l’abattage d’arbres alors que le chantier vient d’être déclaré illégal », déplore-t-elle.
En plus du recours introduit devant le tribunal administratif, quatre référés avaient été introduits par les associations pour demander la suspension des travaux, mais tous avaient été rejetés. Le jugement rendu le 27 février était quant à lui initialement prévu dans les deux semaines suivant l’audience du 25 novembre 2024, avant d’être reporté à la suite d’une note en délibéré envoyée par les préfets et invoquant un nouvel élément, résidant dans la baisse des tarifs de péage prévus.
Dans l’attente de la décision de la cour administrative d’appel de Toulouse, l’État peut encore déposer une demande de sursis à exécution. « S’il l’obtient, les travaux pourront reprendre », prévient Marine Yzquierdo. « Mais le jugement du tribunal est extrêmement bien motivé », positive-t-elle.
Un tournant dans la pris en compte de l’environnement lors de la construction d’infrastructures ?
L’issue en appel est encore incertaine, mais l’avocate salue d’ores et déjà « une décision remarquable » des juges qui « ont tenu bon malgré la pression politique et alors que tous les référés suspension avaient été rejetés ».
En cas de confirmation en deuxième instance de l’absence de RIIPM et donc de l’illégalité du chantier, l’affaire « pourrait marquer un tournant dans la manière dont le juge administratif contrôle la légalité des grands projets d’infrastructures », considère de son côté l’avocat Arnaud Gossement, dans un commentaire de la décision publié sur le site de son cabinet.
« Des grands projets d’infrastructures ont pu, par le passé, être annulés mais cette annulation intervenait alors plus tôt, au stade de la déclaration d’utilité publique », analyse-t-il estimant que « si ce jugement est confirmé en appel, ces projets ne pourront certainement plus être conçus comme par le passé ».
« Cela impose forcément de repenser la façon de concevoir les projets d’infrastructures », abonde en ce sens Marine Yzquierdo. « Il y a un véritable gâchis économique et environnemental », décrit-elle, concernant l’A69.
Si l’annulation de l’autorisation environnementale est définitivement confirmée, les ouvrages d’art, réalisés à plus de 70 %, devront être démantelés, et le concessionnaire indemnisé. Selon le maître d’ouvrage, 300 millions d’euros ont déjà été dépensés.
De nombreux contentieux en prévision
De leur côté, certains partisans de l’autoroute dénoncent un jugement à « la connotation très politique », à l’instar du député (Ensemble) du Tarn Jean Terlier.
Le sénateur (Union centriste) du Tarn Philippe Foliot évoque de son côté la possibilité de passer outre la décision des juges, via une loi de validation votée par l’Assemblée nationale. Un tel texte, à effet rétroactif, permettrait de purger l’irrégularité de l’arrêté préfectoral et de stopper toute possibilité de recours. « Si cela arrive, il y aurait un contrôle du Conseil constitutionnel. Mais cela signifierait que le gouvernement ne respecte pas la séparation des pouvoirs », estime Marine Yzquierdo.
Quoiqu’il en soit, au vu des motifs encore nombreux et non examinés par le juge administratif ainsi que de la détermination des différentes parties au procès, « il risque d’y avoir encore beaucoup de contentieux sur la construction de l'A69 », anticipe l’avocate. Notre Affaire à tous, avait appelé jeudi soir l’État à ne pas faire appel, craignant que le processus juridique « ne plonge le territoire dans l’immobilisme ».
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Élisabeth Crépin-Leblond