Associations : face aux difficultés, des risques de liquidation ?
Les associations font part de difficultés financières accrues depuis plusieurs mois. Certaines se voient contraintes de mettre fin à leur activité ou risquent de devoir le faire à l’avenir.

Études et chantiers Île-de-France existe depuis 2001. L’association met surtout en œuvre de l’insertion par l’activité économique (IAE) : elle embauche 350 personnes éloignées de l’emploi, autour de l’entretien d’espaces verts et d’abris vélos, de la réparation de vélos et d’activités de second œuvre dans le bâtiment, en plus de donner plusieurs formations. Son budget s’élève à 11 millions d’euros, et elle emploie 90 salariés permanents. Aujourd’hui, elle est en grande difficulté.
« Depuis plusieurs années, il y a des tensions de trésorerie », témoigne Céline Coubard, la présidente de l’association. Deux phénomènes sont en cause, selon elle. D’une part, « le temps de récupération des subventions est de plus en plus long », avec « de plus en plus de contrôle a priori sur l’argent public ». De l’autre, « on demande aux associations d’être à l’équilibre, de ne pas faire de bénéfices, ce qui n’aide pas les structures à sécuriser leur modèle économique ». Les subventions représentent un tiers des ressources de l’association.
« Ces derniers mois, la situation se tend de plus en plus », alerte Céline Coubard. Les aides aux postes d’insertion, fournies par l’État, ont été réduites de 50 millions d’euros en 2025. Elles représentent un autre tiers des ressources de la structure. L’enveloppe dédiée à la formation des salariés en parcours d’insertion a également été diminuée. Certains marchés publics ont été lancés avec des retards en raison de l’adoption tardive du budget de l’État, voire ne l’ont pas été du tout, déplore Céline Coubard.
Résultat : « nous étions au bord de la cessation de paiement début juin », indique-t-elle. « Aujourd’hui, nous n’avons pas déposé le bilan, mais notre activité est saisonnière, le risque sera à nouveau là en octobre. Nous regardons quelles activités sont viables ou pas, nous allons vraisemblablement devoir couper certaines activités, en réorienter d’autres », continue-t-elle. « Même si on ne meurt pas, on est en train de limiter notre impact », ajoute la responsable associative.
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Des difficultés importantes de trésorerie
En 2024, 489 liquidations d’associations ont eu lieu, soit une augmentation de 50 % en deux ans, selon le Mouvement associatif. Entre le 1er janvier et début mars 2025, sa présidente Claire Thoury déplorait déjà 93 liquidations.
« Il n’y a pas encore des défaillances en masse, mais la situation est préoccupante. Nous avons constaté une montée des impayés », indique de son côté Denis Dementhon, directeur général du réseau de finance solidaire France Active. Les notes attribuées par sa structure aux associations de son portefeuille se dégradent. « Il y a toujours des associations dans une situation délicate parmi celles qui viennent nous voir pour des financements. Mais habituellement, cela représente autour de 10 % d’entre elles. Là, c’est plutôt 20 % », pointe-t-il. Parmi les problèmes identifiés : d’importantes tensions sur les trésoreries et des comptes de résultat déficitaires sur un ou deux ans.
Il n’y a pas encore des défaillances en masse, mais la situation est préoccupante. Nous avons constaté une montée des impayés »
Denis Dementhon, directeur général de France Active
31 % des associations employeuses disposaient moins de trois mois de trésorerie en mars 2025, selon une enquête publiée par le Mouvement associatif, le Réseau national des maisons des associations (RNMA) et Hexopée. Plus de la moitié (54 %) d’entre elles rencontraient des problèmes de trésorerie de manière récurrente (23 %) ou ponctuelle (31 %). 69 % déclaraient que le montant de leurs fonds propres était fragile ou nul. En parallèle, 45 % des subventions attribuées étaient en légère ou en forte baisse.
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Une situation antérieure au vote du budget
Les explications de cette situation sont multiples. L’adoption tardive du budget de l’État pour 2025, avec des coupes budgétaires, a évidemment eu un impact, y compris sur les financements versés par les collectivités locales. Certaines ont choisi de diminuer, parfois drastiquement, les montants accordés à l’économie sociale et solidaire (ESS).
« La rapidité de retrait d’un certain nombre de financements rend les choses plus difficiles. Les associations ont peu de moyens pour s’adapter et investir, et en même temps, elles se retrouvent avec un trou dans les comptes de résultat », déplore Denis Dementhon de France Active. « Mais ce n’est pas la seule explication », soutient-il.
Les difficultés sont antérieures. Les associations ont fait face à l’inflation en 2022 et 2023. Les aides exceptionnelles versées dans le cadre de la pandémie de Covid-19 ont cessé en 2023, précise par ailleurs Denis Dementhon. Dans le même temps, la précarité augmente, ce qui a des conséquences sur la demande aux associations apportant de l’aide aux personnes les plus vulnérables. Le taux de pauvreté a atteint son niveau le plus élevé depuis 1996 en 2023, s’élevant à 15,4 % selon l’Insee. En un an, plus de 650 000 personnes sont devenues précaires, d’après le Collectif Alerte, réunissant des associations et fédérations de lutte contre la pauvreté.
Des mécènes « engorgés »
De façon plus structurelle, « les associations sont fragilisées sur certains secteurs d’activités, notamment ceux sur lesquels elles se retrouvent en concurrence avec des entreprises du secteur lucratif », souligne Denis Dementhon. C’est le cas, aux yeux du directeur de France Active, du secteur du médico-social : les établissements associatifs d’accueil de la petite enfance ou les services aux personnes âgées, par exemple. « Des entreprises lucratives viennent occuper les segments du marché les plus solvables. Les associations se retrouvent avec les clientèles les moins solvables et les plus dépendantes des aides des collectivités », explique-t-il.
Une note du Conseil économique, social et environnemental publiée en mai 2024 faisait état de la fragilisation des associations, liées à des « évolutions notables » ayant lieu « depuis deux décennies ». Les auteurs évoquaient notamment le remplacement des subventions par des commandes publiques, créant cette mise en concurrence des associations entre elles et avec des acteurs du secteur lucratif.
Les associations sont fragilisées sur certains secteurs d’activités, notamment ceux sur lesquels elles se retrouvent en concurrence avec des entreprises du secteur lucratif »
Denis Dementhon, directeur général de France Active
Pour sortir de cette situation, il paraît compliqué de s’appuyer sur la générosité des entreprises et des particuliers. Elle « n’est pas du tout à l’échelle de ce que sont les politiques publiques », affirme Denis Dementhon, qui rappelle que le soutien public ne se résume pas aux subventions. « Aujourd’hui, beaucoup d’associations se tournent vers les fondations et les mécènes. Mais les acteurs de la solidarité privés sont eux-mêmes engorgés », constate encore le directeur de France Active. La croissance des dons des particuliers, elle, ralentit : en 2024, France générosités a constaté la plus faible progression de ces dons depuis 20 ans hors situation d’urgence et excepté 2018, année du remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Des services à la société qui risquent de disparaître
Que faire, alors ? À la demande de la chambre représentative de l’économie sociale et solidaire, ESS France, le ministère en charge de l’ESS a mis en place une cellule nationale de liaison et d’accompagnement sur les défaillances, réunissant les acteurs concernés. Un « outil essentiel », aux yeux d’ESS France, de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) et du Mouvement associatif, qui ont appelé à le renforcer.
« Nous allons essayer de mettre en place un certain nombre d’aides financières pour laisser aux dirigeants le temps de mettre en place un plan d’évolution, éventuellement de redressement », déclare Denis Dementhon, présent lors de la première réunion de la cellule. France Active envisage de relancer un système d’aides remboursables sur 12 à 18 mois, lancé pendant le Covid-19. « Il faut aussi du conseil et de l’accompagnement, pour trouver comment changer les manières de faire, des sources d’économie ou de mutualisation », ajoute-t-il.
Le Mouvement associatif, Hexopée et le RNMA appellent à simplifier les démarches bancaires des associations, renforcer les acteurs de l’accompagnement intervenant auprès d’elles ou encore à accroître le financement pour le monde associatif lors du prochain projet de loi de finances et à adopter une fiscalité qui lui soit « davantage favorable ».
« Quand les associations n’auront plus les moyens de rendre les services, elles ne les rendront plus. Ils ne seront pas remplacés, avec des conséquences sociales qu’on peut déplorer. Ce sont des ciments qui tiennent la société qui disparaissent », prévient Denis Dementhon.
Célia Szymczak