BNP Paribas assignée en justice : les juges, nouveaux défenseurs du climat ?
Ces dernières années, la justice se met de plus en plus au service du climat lors de procès engagés par des ONG. La semaine dernière, BNP Paribas a été assignée en justice sur son devoir de vigilance. Tous les regards se portent désormais vers les juges. Quel rôle jouent-ils dans la bataille face au dérèglement climatique ? Peuvent-ils vraiment changer la donne ? Explications.
Près de 1 600 procès climatiques ont eu lieu dans le monde en 35 ans, rapporte le Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment de la London School, en grande partie aux États-Unis (1 312), mais aussi en Europe (57) et depuis quelques années en France (11). Des affaires qui visent les États ou/et les entreprises dont les actions ont un impact sur le climat. Le rythme s’est d’ailleurs accéléré depuis 2015, date de la signature de l’Accord de Paris, précise l’institut.
Une façon de répondre à l’immobilisme des grandes puissances et aux échecs successifs des dernières COP ? La société civile se demande, à raison, si on va assez loin et vite pour contrer l’accélération du réchauffement climatique. Les citoyens et associations se tournent désormais vers les tribunaux pour plaider la cause du climat. Les juges sont-ils devenus le nouvel espoir pour enrayer le dérèglement climatique ? Éléments de réponse.
LES PROCÈS POUR LE CLIMAT SE MULTIPLIENT
Les procédures administratives et judiciaires se multiplient. Condamné en octobre 2021 par le Tribunal de Paris, l'État avait jusqu'au 31 décembre 2022 pour réparer ses engagements climatiques non tenus entre 2015 et 2018. Une victoire jugée « historique » pour le climat avaient annoncé à l’époque les quatre ONG du mouvement l’Affaire du siècle, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France. Le préjudice climatique est enfin reconnu, une première en France.
Le rôle des juges s’avère donc primordial. Sur quoi s’appuient-ils ? « En termes de justice climatique, il y a des fondements juridiques, des arguments, sur lesquels on peut s’appuyer pour aller devant les juges », détaille Emma Petrinko, avocate en droit de l’environnement au sein du cabinet Fidal. Pour porter un recours devant les juges, il faut identifier une « obligation » dans un article de loi lié aux enjeux climatiques, pour faire valoir que telle entreprise ou tel État « doit ». « C’est uniquement une fois cette obligation identifiée qu’il est possible de saisir le juge pour dire que l’entreprise ou l’État ne la respecte pas », explique-t-elle.
BNP Paribas assignée sur son devoir de vigilance
Dans le cas de BNP Paribas, trois ONG (les associations Notre affaire à tous, Oxfam et Les Amis de la Terre) ont assigné la banque, jeudi 23 février dernier, au titre de sa « contribution significative » au réchauffement climatique. Cette mesure intervient trois mois après que les associations aient envoyé une mise en demeure pour demander à la banque de « cesser tout soutien financier à de nouveaux projets d’énergie fossile ». Contactée par Le Monde, BNP Paribas a assuré que « la page des énergies fossiles est en train d’être tournée ». Que risque la banque concrètement ?
Quels sont les risques ?
Dans le cas de BNP Paribas, les ONG s’appuient sur son obligation de devoir de vigilance et la mise en œuvre de manière efficace d’un plan de vigilance qui doit identifier les risques et prévenir les atteintes graves en termes de droits humains, santé, environnement, etc. « L’angle juridique choisi par les ONG pour engager la responsabilité de l’entreprise est celui du devoir de vigilance. Dans ce type de recours, le juge peut aller jusqu’à demander à la banque de repenser son plan de vigilance, et donc in fine de revoir son axe stratégique ». D’ailleurs, si le nouveau plan de vigilance présenté par la banque n’est à nouveau pas aligné sur les principes du devoir de vigilance, « les ONG pourront resaisir le juge », précise l’avocate.
L’enjeu numéro un pour les entreprises est réputationnel. « Cela les oblige à répondre officiellement, à diffuser des communiqués de presse pour justifier leur plan de vigilance », évoque-t-elle. Que peut changer la décision des juges ?
Quel rôle joue vraiment la justice climatique ?
Pour Emma Petrinko, « Le juge civil pourrait servir d’aiguillon pour dire aux entreprises de faire plus ou que ce n’est pas suffisant ».
En effet, le juge ne pourra pas dicter à une entreprise son plan de vigilance dans le détail, « mais pourra d’une part se prononcer sur la suffisance d’un plan de vigilance et d’autre part lui enjoindre de le réviser en prenant en compte tel ou tel paramètre ». Du coup, qu’est-ce que cela peut changer ? « La justice climatique fait partie des leviers qu’il est utile d’actionner. Dans une certaine mesure, le juge viendrait pallier ce qui pourrait être considéré comme insuffisant chez l'entreprise », indique-t-elle.
Le juge viendrait donc apporter un nouvel angle d’attaque pour essayer de contraindre les entreprises à respecter leurs obligations. « C’est très positif dans le sens où c’est un nouvel outil qui pourrait servir à contraindre une entité à respecter ses obligations en termes de lutte et d’adaptation au changement climatique », souligne l'avocate. Devant un juge, les entreprises doivent se justifier et fournir des rapports, des explications.
Les juges sont-ils bien armés face aux recours sur le climat ?
Les juges sont-ils assez formés pour juger ces affaires ? « En principe, les avocats sont spécialisés dans une matière et donc formés sur cette spécialité, comme par exemple en droit de l’environnement. Dans la plupart des cas, (sauf exception, comme par exemple le juge des enfants), les juges sont formés sur l’ensemble des thématiques qu’ils seront amenés à traiter dans le cadre de leur carrière, et ne sont donc pas spécialisés dans un unique domaine ; ils ont une formation bien plus large », analyse Emma Petrinko.
Par ailleurs, les affaires dites de justice climatique soulèvent des débats à la frontière entre le juridique et le scientifique, « comme toutes les affaires touchant au droit de l’environnement de manière générale – comment déterminer la suffisance d’un plan de vigilance, établir un lien de causalité, qualifier et quantifier un préjudice écologique, etc. »
Il est donc essentiel que les jugent puissent comprendre tous les aspects et la complexité de l’affaire, « le rôle de l’avocat dans la présentation des éléments de faits et la formulation des éléments de droit est ici primordial pour faciliter autant que possible le travail des magistrats », précise-t-elle.
Il est fréquent que les juges demandent des explications et précisions sur tel ou tel point technique dans une affaire climatique. Devront-ils devenir de plus en plus experts sur les questions climatiques ? « Ce qui est très intéressant, c’est que le débat soit porté devant les juges. Cela va permettre de clarifier les choses en termes d’obligations pesant sur les entreprises et on pourra se dire que tous les leviers ont été actionnés pour lutter contre le réchauffement climatique. La justice est un levier essentiel et aujourd’hui on ne peut plus faire sans », conclut Emma Petrinko.
Quel autre levier existe-t-il finalement pour contraindre les entreprises à faire mieux et plus, quand les actions de plaidoyers des ONG ne suffisent plus ? La justice semble être devenue incontournable.
Christina Diego