Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 30 septembre 2025 - 11:13 - Mise à jour le 30 septembre 2025 - 13:02 - Ecrit par : Célia Szymczak
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Burn-out : comment la dégradation des conditions de travail dans les entreprises menace la santé des salariés

En France, de nombreux salariés sont exposés à des conditions de travail pouvant susciter du stress. Lorsque celui-ci devient durable et impossible à gérer, il peut se traduire par un burn-out, aussi appelé syndrome d’épuisement professionnel. Un risque qui doit être pris en charge par les entreprises en s’interrogeant sur l’organisation du travail et leurs responsabilités.

Le syndrome d'épuisement professionnel, ou burn out, se traduit par une absence d'énergie, en raison d'un stress chronique. Crédit : iStock.
Le syndrome d'épuisement professionnel, ou burn out, se traduit par une absence d'énergie, en raison d'un stress chronique. Crédit : iStock.

 

« Je me rappelle être devant le rapport et avoir l’impression que mon cerveau était vide, de ne plus être capable de réfléchir, d’aligner une phrase. Je tremblais tous les matins en allumant mon ordinateur, j’avais mal au ventre, des sueurs froides, je ne dormais pas ». Marion (*), 33 ans, travaille dans un institut réalisant des études marketing. Fin juillet 2023, moins d’un an après son arrivée dans l’entreprise, elle vit un burn-out

En cause : ses conditions de travail. « On ne m’avait jamais demandé d’être multi-projets à ce point dans mes précédentes expériences », précise-t-elle. Alors qu’elle s’étonne d’une quantité de travail qui « déborde » sur sa vie personnelle, sa manageuse répond que « tout le monde le dit en arrivant ». « C’est compliqué, mais on apprend tous, c’est hyper formateur », lui assure-t-elle.  

Pour Marion, la surcharge de travail se traduit surtout par une souffrance psychologique et physique. « J’étais payée 38 heures et j’en faisais 50, avec pas mal de pression. Je me suis sentie très déstabilisée, pas du tout en confiance, avec l’impression de ne pas être accompagnée », relate la professionnelle. Ses responsables jugent qu’elle a des progrès à faire dans ses rendus, mais ne lui précisent pas ce qu’il faut améliorer. En parallèle, ils lui reprochent de ne pas suffisamment communiquer, de ne pas être suffisamment organisée.  

 

Un contexte économique compliqué  

 

En juillet, un manager demande à Marion de se pencher sur un projet, en plus des quatre qu’elle suit déjà. Elle accepte, mais précise qu’à la veille d’un week-end de vacances, elle ne pourra rendre qu’un travail « très brouillon ». Alors qu’elle présente son avancement, une directrice assiste au point. « Il va falloir que tu cravaches parce que là, franchement, il n’y a rien », assène celle-ci. « Cela m’a déclenché une crise d’anxiété », se souvient Marion. Elle rend le document à une heure du matin. Les jours suivants, dans l’entreprise, elle ne se sent plus capable de travailler, subit une angoisse croissante et des douleurs physiques. Son médecin lui prescrit un arrêt de travail. 

Le mois d’août passe. À son retour, en septembre, l’anxiété reprend : la première semaine, elle fond en larmes le matin, ce qui la conduit à un nouvel arrêt jusqu’en janvier. « Les premiers mois ont été une descente aux enfers. Tout devient compliqué : se nourrir, se laver, sortir », témoigne-t-elle. 

 

Les premiers mois ont été une descente aux enfers. Tout devient compliqué : se nourrir, se laver, sortir »

Marion (*), 33 ans, chargée d'études 

 

Marion a repris le travail, parce qu’il lui paraissait « insurmontable » de s’engager dans un nouveau processus de recrutement. « J’ai mis du temps à prendre conscience que ce n’était pas un échec de ma part », indique-t-elle aujourd'hui. D’après la jeune femme, plusieurs burn-out ont eu lieu dans l’entreprise le même été, dans un contexte économique compliqué et alors que les relations entre les chefs et les équipes étaient « tendues ». « Depuis que je suis arrivée dans le secteur, j’ai constaté des délais plus courts, une plus grande pression des clients. L’intelligence artificielle accélère ça, fait perdre un peu de sens au travail. On veut toujours produire plus et plus vite, ce qui retombe forcément sur les équipes si on ne veut pas embaucher pour ne pas rogner la marge », avance-t-elle. 

 

De mauvaises conditions de travail en France ?  

 

Le cas de Marion n’est pas isolé. Il est difficile d’évaluer la prévalence du burn-out en France, mais « la part des salariés déclarant que leur santé ou leur sécurité sont menacées à cause du travail », est « au-dessus de la moyenne des pays de l’Union européenne », souligne la sociologue Maëlezig Bigi, à partir de données datant de 2021. Il en va de même pour les salariés déclarant souffrir de douleurs musculaires, de maux de dos ou d’anxiété, qui font partie des conséquences du stress chronique.  

Le syndrome d’épuisement professionnel – nom français du burn-out –, résulte de ce stress installé dans la durée et auquel le corps ne sait plus réagir. Les personnes concernées peuvent aussi souffrir de migraines, de problèmes de sommeil, digestifs, de peau, d’immunité face aux maladies ou encore de troubles cognitifs, explique Margaux Bergamelli, psychologue du travail. « Plus on est plongés dans le stress, plus les choses deviennent inquiétantes », poursuit la spécialiste. « Une personne en burn-out ne peut plus rien faire alors qu’elle le veut. Elle n’a plus d’énergie ».  

 


À lire aussiEntreprises : quelles bonnes pratiques pour protéger la santé mentale des salariés ? 


 

 

Six grands facteurs de risque 

 

Face au burn-out, comme l’assure Margaux Bergamelli, « tout le monde est à risque ». Il ne concerne pas particulièrement des travailleurs plus « faibles » ou plus sujets au stress. « J’ai rencontré des personnes ayant un parcours professionnel dans lequel tout allait bien, dont la situation se dégrade d’un coup », constate-t-elle. Et ceux et celles qui viennent la voir dans son cabinet travaillent dans « tous styles d’entreprises, dans le secteur public comme dans des associations ». Ce qui différencie une organisation par rapport à une autre, selon elle, « c’est plutôt sa vision stratégique sur ces questions, la prise en compte des risques psychosociaux et la formation des managers à ce sujet ». 

 


À lire aussi« Je me suis mise à pleurer devant un bénéficiaire » : le phénomène du burn out des salariés dans les associations 


 

Les risques psychosociaux correspondent à des situations de stress ou de violence au travail. Dans la compréhension de leurs causes, le rapport dit Gollac, du nom du sociologue et statisticien Michel Gollac qui a contribué à sa rédaction, a constitué un « tournant », signale Margaux Bergamelli. 

Selon ce document publié en 2011, il existe six grands facteurs de risques psychosociaux : l’autonomie au travail, ce qui inclut la capacité à disposer de marges de manœuvre sur son action, à participer aux prises de décision et à prendre du plaisir au travail ; la nécessité de maîtriser ses émotions, face à des situations de souffrance par exemple ; l’insécurité de la situation de travail, qui concerne les dimensions socio-économiques, donc les personnes ayant un emploi précaire, et les risques de changement dans l’activité ; les rapports sociaux au travail, qui incluent les relations avec les collègues, les supérieurs et la reconnaissance du travail accompli ; une souffrance éthique liée à une action en opposition avec ses valeurs ; et l’intensité et le temps de travail. Près de six salariés sur dix (57 %) sont exposés à au moins trois dimensions de ces risques en France, selon les dernières données disponibles.  

 

Des conséquences physiques 

 

Comme pour Marion, c’est la surcharge de travail qui a précipité le burn-out de Joséphine (*). La professionnelle de 28 ans a été embauchée par un cabinet de conseil en développement durable en 2022. « J’adore mon métier », précise la jeune femme. Jusqu’en 2024, tout se passe « très bien ». 

Fin 2023, une vague de départs forcés est annoncée à la soixantaine d’employés, en raison du contexte économique. Joséphine n’est pas concernée, mais dit avoir « l’impression d’être sur la sellette tout le temps ». En mai, les projets s’accumulent. « Je me suis privée de toute vie sociale pendant un mois. J’étais extrêmement fatiguée quand je rentrais chez moi, je travaillais parfois le week-end et je pleurais beaucoup au travail. J’ouvrais des fichiers et j’oubliais ce que je cherchais : j’avais l’impression que mon cerveau était complètement grillé, dysfonctionnel », témoigne-t-elle. Elle subit à cette période une infection pulmonaire.  

J’avais l’impression que mon cerveau était complètement grillé, dysfonctionnel.»

Joséphine (*), 28 ans, cheffe de projets

 

Le mois suivant, elle est chargée d’un projet supplémentaire. « Il me pompait toute mon énergie, je n’arrivais pas à déconnecter du travail », se souvient-elle. 

 

 

« Une vingtaine de burn-out » en trois ans  

 

En août, un médecin lui prescrit un arrêt de travail. À son retour un mois plus tard, sous antidépresseurs, ses employeurs lui reprochent de ne pas avoir suffisamment communiqué avec eux – alors qu’elle a fait part de ses difficultés – et de s’imposer trop de pression. En janvier, lorsqu’elle demande un changement de statut, il lui est refusé. « Mes projets étaient rentables, les clients satisfaits. C’est comme s’ils me disaient “tu as fait un burn-out, tu n’es pas capable” », comprend alors la cheffe de projet.  

« Ils n’ont jamais reconnu leurs torts », dénonce Joséphine. Fin juillet 2025, elle a profité d’une procédure de rupture conventionnelle collective pour quitter l’entreprise. « Je me suis mise à pleurer quand j’ai accepté », se souvient-elle.  

 

Quand on veut rentabiliser et maximiser le profit, on tire sur la corde »

Joséphine (*), 28 ans, cheffe de projets

 

Dans le cabinet, « une quinzaine, voire une vingtaine de burn-out ont eu lieu en trois ans ». « Je pense que c’est assez structurel dans le monde du conseil. Quand on veut rentabiliser et maximiser le profit, on tire sur la corde », considère-t-elle, pointant dans son cas un management « déshumanisé », concentré sur les résultats économiques. Comme ses collègues, elle devait inscrire dans un logiciel les heures qu’elle consacrait à chacun des projets auxquels elle participait, afin de démontrer qu’ils étaient facturables au moins les trois quarts de son temps. « Nous étions un peu fliqués », souligne Joséphine.  

 

Moins de négociation sur les conditions de travail  

 

« De plus en plus d’organisations doivent répondre à des objectifs financiers plutôt qu’à des objectifs de qualité », confirme Maëlezig Bigi, évoquant le rôle de « la financiarisation de l’économie » dans la dégradation des conditions de travail. Dans le secteur public, les fonctionnaires doivent « faire plus avec moins de moyens, réduire la dépense tout en améliorant la qualité du service rendu aux usagers », observe-t-elle. 

Depuis les années 1980, le travail s’intensifie, poursuit la sociologue : il s'agit de l'une des « grandes causes » de la dégradation des conditions de travail. « On attend des personnes qu’elles respectent des processus très cadrés, avec peu de marge de manœuvre, et en même temps, qu’elles puissent faire preuve de flexibilité, s’interrompre pour répondre à la demande d’un collègue ou d’un bénéficiaire par exemple ». La numérisation « contribue à ajouter des contraintes, à rendre les activités plus procédurières, plutôt qu’à libérer le travail des tâches pénibles et routinières », ajoute la chercheuse.  De trop nombreux changements dans le cadre professionnel ont aussi des effets négatifs sur la santé psychique des salariés. 

Face à cela, les marges de manœuvres sont limitées. Le monde du travail en France se caractérise aussi par une « faible participation des salariés », par rapport à d’autres pays européens. « Cela s’inscrit dans un contexte où les syndicats ont du mal et de moins en moins de moyens pour s’impliquer sur les conditions de travail. Les employeurs font des choses, mais de plus en plus axées sur les individus », soutient-elle.  

De plus, ces actions portent davantage sur la réparation du mal-être que sur sa prévention. « Elles ne sont pas inutiles, mais permettent de ne pas aborder la question de l’organisation du travail », déplore la spécialiste, avant de conclure : « il ne faut pas adapter le travailleur au risque : il faut diminuer les risques ». 

 

 

* : les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins.

Célia Szymczak 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer