Carnets « Urgence écologique » : une série de récits personnels pour parler de changements structurels
Dans un entretien avec Carenews, Ingrid Kandelman évoque la collection Sous le pavé la plage : elle comprend une série de carnets rassemblant les récits d’acteurs des secteurs de la gastronomie, de l’influence, du journalisme et de la mode. Engagés sur les questions écologiques, ceux-ci racontent leurs parcours et leurs projets. Destinée au grand public, la collection entend évoquer des sujets de fond, la transformation de secteurs d’activité.
Ingrid Kandelman est consultante et accompagne la transformation des organisations, en particulier sur les questions écologiques. Avec les Éditions La Plage, elle est la créatrice de la collection Sous le pavé la plage lancée fin septembre 2024. Pour l’instant, elle se compose de quatre carnets d’une soixantaine de pages. Ils évoquent les secteurs de la gastronomie, de l’influence, du journalisme, ou de la mode « face à l’urgence écologique ». Ils donnent la parole à une dizaine d’acteurs de chacun de ces domaines, qui racontent leurs parcours et leur engagement écologique.
- Vous indiquez que vous souhaitez dépasser avec cette collection la logique des « petits gestes », des petites actions individuelles pour l’écologie. En quoi permet-elle de le faire, puisqu’elle rassemble des témoignages de parcours individuels ?
Un récit individuel peut être un peu anecdotique, même s’il est inspirant et positif. C’est forcément à l’échelle d’une seule personne. Quand on lit dix récits, on commence à voir comment se dessine l’enjeu du secteur et par quel bout il faut prendre les sujets.
Ces récits parlent aussi de travail et pas d’engagement dans la sphère privée. Dans le carnet sur la gastronomie, le chef Pierre-André Aubert explique comment il a construit un four solaire, d’autres parlent des produits dont ils sont privés, des nouvelles filières qu’il va falloir mettre en place, de comment on réinvente la créativité dans la cuisine… Tout cela concerne vraiment leur métier. C’est aussi en cela que les carnets ne parlent pas de petits gestes.
Les autres ouvrages des Éditions La Plage portent plus sur les individus et les modes de vie individuels : comment je me construis une maison autonome ou comment je mange végan, par exemple. C’est très important et cela apporte des réponses à beaucoup de gens. Mais les actions individuelles c’est 25 % de ce qu’il faut faire. Nous avions envie d’un livre qui parle des 75 % restants, des sujets structurels.
Quand on lit dix récits, on commence à voir comment se dessine l’enjeu du secteur et par quel bout il faut prendre les sujets.
Ingrid Kandelman
- À qui s’adresse cette collection : à des personnes déjà sensibilisées, à des professionnels ou au grand public ?
Notre envie est de s’adresser à tout le monde. Nous avons une réflexion sur la manière dont on parle des sujets de fond sur l’écologie, avec une ligne ou un format qui nous permet de toucher le plus de personnes possible. Les carnets sont petits, il me semble qu’ils ne sont pas trop chers [6,95 euros, ndlr]. Nous parlons de changements dans des secteurs d’activité, en ayant une approche très facile d’accès et qui n’est pas moralisatrice.
Dans les festivals où nous avons présenté les livres, il y a des gens engagés qui les achètent parce qu’ils sont déjà sensibilisés et qu’ils ont envie de découvrir des personnalités, ou parce que le secteur les intéresse.
J’ai rencontré beaucoup d’autres personnes qui voulaient réfléchir sur les parcours de formation. Beaucoup de gens l'ont également acheté pour leurs enfants et leurs petits enfants en trouvant intéressant le fait qu’ils se posent ces questions.
Nous parlons de changements de secteurs d’activité, en ayant une approche très facile d’accès et qui n’est pas moralisatrice.
Ingrid Kandelman
- Il y a un parrain ou une marraine pour chaque ouvrage, puis une dizaine de témoignages. Comment avez-vous choisi ces personnes ?
Les parrains ou marraines sont des gens que l’on connaissait déjà un peu et en qui nous avions confiance pour pouvoir être juges des bonnes personnes à interviewer, qui sont capables d’avoir une grille de lecture spécifique du secteur.
L’idée du carnet était d’avoir différentes approches et degrés d’engagement pour ne pas être écrasant pour le lecteur, au-delà du fait n’y a pas de personnes parfaites qui font tout. Les personnes ne sont pas toutes aussi engagées mais elles sont sincères dans ce qu’elles font et ne sont pas dans une logique de greenwashing ou de cynisme.
Dans le carnet sur la mode, il y a des personnes qui n'interrogent pas leur système de performance et leur rapport à la croissance parce qu’elles sont aussi attachées au fait que leur entreprise se développe, qu’elles produisent de la qualité en nourrissant un écosystème. D’autres disent qu’on est prisonniers d’un système de croissance qui ne fonctionne plus. C’est plutôt chouette, les lecteurs peuvent aussi voir les différences.
L’idée du carnet était d’avoir différentes approches et degrés d’engagement pour ne pas être écrasant pour le lecteur.
Ingrid Kandelman
- Les parcours et les projets sont également divers. Par exemple, dans l’ouvrage sur la gastronomie, il y a des chefs comme Claire Vallée ou Jean Sulpice, la cofondatrice d’associations Yamina Aïssa Abdi et même un maire-adjoint, Gilles Pérole. Cette diversité est-elle importante pour vous ?
On essaie toujours de réfléchir à la question de la diversité des points de vue. Cela ne veut pas forcément dire la même chose dans chacun des carnets. Si nous n’avions interrogé que dix chefs de restaurant, les propos auraient pu se ressembler un peu. Le fait qu’il y ait Yamina Aïssa Abdi, qui a lancé son projet associatif dans les quartiers, me paraissait par exemple très important à raconter, pour mettre en avant ces projets. Comme on parle d’un secteur, il faut parler de tous les acteurs de ce secteur, cela rend la lecture plus riche.
Nous essayons aussi d’apporter une diversité de genre et nous voulons également réussir à avoir plus de témoignages de personnes racisées.
- Pourquoi avoir choisi ces quatre secteurs d’activité ?
Tous les secteurs sont importants à traiter. Nous avons d’ailleurs des réflexions sur des carnets futurs qui pourraient porter sur la mobilité, le logement ou encore la santé.
L’influence et le journalisme ont des statuts un peu à part : ce n’est pas tant leur activité en tant que telle que leur force d’influence qui a un impact. On trouvait que c’était important de le raconter.
- Les ouvrages insistent davantage sur les initiatives que sur l’urgence écologique en tant que telle ou sur les problèmes. Avez-vous une volonté de présenter des solutions ?
Ce que nous voulions montrer, c’est que des personnes y arrivent. C’est possible, on peut continuer à y croire et on a raison d’y croire : si chacun s’y met, ça finira par transformer des secteurs. Nous voulions que la lecture des carnets ne soit pas plombante et en même temps en parlant des sujets de fond.
J’ai interviewé un certain nombre de personnes pour le carnet portant sur la gastronomie, et c’est vrai je me sentais super bien à chaque fois que je raccrochais mon téléphone !
- Vous vous occupez du programme de la Convention des entreprises pour le climat (CEC), un parcours en six étapes destinées à faire prendre conscience aux chefs d’entreprises de la crise climatique et à les inciter à transformer leurs modèles d’affaires. Cela a-t-il contribué à la naissance de cette collection ?
À la CEC, je côtoie des gens qui ont envie de s’engager sur ces sujets là. Leur récit individuel est toujours très touchant. Récemment par exemple, j’ai rencontré le directeur général d’une entreprise familiale. Après avoir fait la CEC, il a décidé de vendre cette entreprise parce qu’il se dit que ce n’est plus possible de faire son métier. C’était quand même son héritage familial.
Les gens changent des gestes, des pratiques habituelles dans lesquelles nous sommes un peu enfermés et dont on se dit qu’elles ne peuvent pas changer. Cela leur coûte un effort, c’est difficile, mais ils le font. C’est une inspiration très forte.
Propos recueillis par Célia Szymczak